La température grimpe, le monde se fracture et le cinéma se fait écho d’une humanité qui se consume. 2024 était une année brûlante, au sens propre comme au figuré. Notre équipe dresse un état des lieux du 7e Art. Des coulisses de sa production au grand écran, quels sont les déterminants du cinéma d’aujourd’hui ? Malgré une sous-représentation numéraire dans un milieu encore très masculin, le cinéma au féminin s’enracine et s’impose. Du film de genre Titane, Palme d’or de Julia Ducourneau en 2021, à Coralie Fargeat qui inondait la croisette d’hémoglobine avec sa comédie body-horrifique The Substance, le regard féminin donne à voir d’autres représentations. Oui, la scène indépendante domine un Hollywood vieillissant et des plateformes avilissantes. Retour sur une année hors normes.

De notre perspective, 2024 s’achève aussi en beauté. Depuis trois ans et nos premiers articles, le chemin parcouru nous semble immense. Trois ans et déjà 1300 papiers, plus de 150 vidéos dont 7O interviews filmées, traduites ou doublées des acteurs et réalisateurs du cinéma et du jeu vidéo des quatre coins du globe. Un travail collectif et bénévole aussi acharné que passionné sans autre soutien que notre détermination portée par l’enthousiasme. Cette année encore, l’équipe aura exploré les festivals de Cannes à la Mostra de Venise en passant par Neuchâtel, Gérardmer, Annecy, Genève et Strasbourg. 2025 s’annonce engageante avec des soutiens des festivals qu’on sillonne contre vents et marées. Certaines de nos interviews devraient également avoir une seconde vie pour la sortie des supports physiques des films visionnés. MaG grandit et s’enrichit de nouveaux contributeurs pour une petite équipe internationale entre la France, la Suisse, la Belgique, le Canada et les États-Unis. Plus que jamais, MaG aura besoin de votre soutien les prochaines années pour mener à bien notre projet : donner à réfléchir dans un monde à toute allure qui empêche de comprendre le présent et de penser l’avenir. Bonne année à nos fidèles lecteurs toujours plus nombreux. Notre unique résolution pour 2025 : faire mieux !

Sommaire

Bilan de KillerSe7ven​

TON REGARD SUR LE MONDE DU CINÉMA EN 2024

Alors que l’année s’achève par un cadeau de Noël gouvernemental digne du diner de cons, c’est l’occasion de revenir sur tout ce qui gravite autour du 7e Art. Au delà de la production filmique, quels sont les marqueurs de notre temps ? L’année passée, une partie du vieux monde du cinéma poussait des cris d’orfraie découvrant, stupéfait, que l’ogre Depardieu avait autant d’appétit pour le pâté que pour les fillettes amatrices de sport équestre. Depuis la révolution #MeToo, il apparaît de plus en plus clairement que la parole se libère dans tous les milieux, des plus privilégiés aux provinces reculées de Mazan, où la vie n’y est pas plus tranquille. L’affaire est désormais entendue, la culture du viol n’est pas une fantaisie de quelques gauchistes énervés, ni l’apanage de riches décadents ou de prolos désœuvrés. Le procès Mazan sera probablement adapté au cinéma un jour et on se demande déjà si on arrivera à faire pire que les prévenus et avocats qui ont sorti le bingo du qui sera le plus odieux.

« Maldoror », attendu pour le 15 janvier, péche par manque de radicalité vis-à-vis de l'héritage maldororien.
« 2073 », film engagé et engageant mais dépassé par l'horreur du réel ?

Représenter l'horreur, anticiper la SF

En dehors de la presse indépendante, le discours médiatique fléchit peu, conforté par les circonvolutions d’éditorialistes soucieux de ripoliner les agresseurs en victimes de valkyries féministes sanguinaires. Ils forment le premier verrou de la pensée qu’il faudra bien faire sauter. Des médias interchangeables soumis à la même logique marchande délimitant cadre et sujets, confondant faits et affects et substituant l’analyse par le commentaire permanent du vide. Réel et fiction s’enchevêtrent, nous y reviendrons.

Malgré leurs qualités respectives, le film Maldoror, librement inspiré de l’affaire Dutroux, et le docu-fiction 2073 sur l’effondrement qui vient (films attendus pour 2025) m’ont semblé vains pour des raisons similaires : leur retard par rapport à l’horreur du réel passée et à venir. Reste que le film d’Asif Kapadia avait le mérite de poser la question de la SF d’anticipation qui serait aujourd’hui dépassée comme nous l’évoquions avec la fille de Stanley Kubrick cet automne. Comment prévenir quelque chose qui est déjà là sous nos yeux ? Quant au thriller de Du Welz qu’on avait interviewé au FEFFS 2021, il ne fait malheureusement que survoler l’héritage de Lautréamont qu’il convoque artificiellement. Comme une « rencontre [manquée] sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Dommage car il avait des qualités sincères, néanmoins insuffisantes pour que les lecteurs assidus du comte lui pardonnent sa filiation protocolaire. Il y avait matière à développer la passation du mal de façon bien plus audacieuse, du « monstre de Charleroi » à la constitution d’un réseau pédophile tentaculaire qui défraya les chroniques belges et françaises.

Violences sexuelles : anatomie d'une chute

Les coulisses du cinéma en 2025 avaient elles aussi un air de mauvais feuilleton télévisé ; chaque année charrie son lot d’affaires sordides qui n’ont rien à envier aux romans les plus noirs. 2025 se solde par le procès du réalisateur Christophe Ruggia, jugé pour agressions sexuelles sur la jeune Adèle Haenel, alors âgée de 12 ans. Éprouvée, la courageuse actrice retirée du métier mais farouchement engagée dans toutes les luttes sociales s’est fendue d’un « ferme ta gueule ! » salvateur. Un cri aux airs de délivrance après près de neuf heures d’audience et un symbole collectif pour combien de victimes silencieuses. Le supplice du procès ou l’anatomie d’une chute. Son agresseur, lui, choisissait la défense la plus infâmante : celle de la légèreté blâmable teintée de paternalisme crasse et dont le vrai nom n’est rien d’autre que le déni.

Ruggia a déblatéré à la barre toutes les inepties possibles. Comme un récital du bon et du mauvais violeur, où chaque prise de parole l’enfonçait plus encore dans le tombeau de l’indignité. Le réalisateur a expliqué avoir suggéré à Adèle Haenel de changer de nom pour la protéger, précisant qu’elle lui « faisait penser à Truffaut » en référence à L’histoire d’Adèle H, titre d’un de ses films et récit d’une femme dévorée par une passion dévorante. Un scénario éculé et maintes fois revisité qui enchaîne sa victime à son bourreau, inversant les rôles et oubliant par la même la logique inopérante du critère du consentement chez des enfants qui sont par nature… des enfants. Un truisme qui n’est pas encore évident pour tout le monde semblerait-il.

L'histoire d'Adèle H
« L'histoire d'Adèle H. » de Truffaut (1975)

Produire sans détruire

Difficile de faire plus à côté de la plaque comme défense. Les hommes accusés de violences sexuelles semblent toujours habités par une forme de romantisation à la Don Juan qui excuserait les actes criminels de leurs auteurs. Une vieille rengaine qui ne fléchit pas avec le temps malgré des signes qui laissent tout de même présager une rupture lente mais perceptible de la société vers d’autres représentations moins obtuses. C’est ce qui ressort d’une partie de l’expression artistique contemporaine encore à la marge, même si l’équilibre est pour le moment chancelant, sinon incertain pour les produits culturels.

La question des conditions de production est désormais posée sur la table. Comment préserver les jeunes acteurs et actrices sur les plateaux ? Quel équilibre trouver entre un réalisateur roi et un tournage balisé avec une présomption d’agresseur à renverser pour les auteurs, laquelle pourrait constituer un frein à la création ? C’est à ce numéro d’équilibriste que répondaient certaines autrices interrogées sur la question dans le n°806 des Cahiers du Cinéma avec des réponses loin d’être univoques dans le milieu, même féminin.

« Dune, deuxième partie » a fait évoluer la technique mais également d'autres aspects de la production d'un film, même d'un blockbuster.

Un premier élément de réponse réside sans doute dans la recherche d’œuvres davantage axées sur une démarche moins individuelle et plus collective. Certains s’y essaient avec succès depuis longtemps ou sur certains points du film comme l’OST. Expérimentale, la musique de Dune, deuxième partie (lire notre dossier) qu’on attribue un peu trop vite à Hans Zimmer seul a par exemple été conçue par l’équipe avec un management très horizontal, chacun pouvant proposer ses idées au compositeur sur un même pied d’égalité. Rien n’indique qu’il ne soit pas permis d’étendre ce type de logiques aux autres métiers du cinéma, ce qui est déjà partiellement le cas selon les auteurs. Moins de verticalité pourrait limiter les configurations propres aux abus de pouvoir, sans recourir exclusivement à des métiers dédiés à la prévention, même s’ils peuvent jouer un rôle utile. La clé de voute du problème restera toujours la question du patriarcat et d’une éducation à déconstruire avec le temps.

Poser les termes : dire

Tout mon respect à celles et ceux qui portent ces combats sous le feu des projecteurs mais aussi dans l’ombre au quotidien. J’aimerais voir plus d’acteur.ices faire société et prendre part à des causes politiques autrement que devant la caméra au service d’autres. Des collectifs comme l’ACID s’y essaient avec succès à chaque édito, n’hésitant pas à dévier vers des sujets connexes à la production. Non pas par pur altruisme, mais avant tout car il s’agit d’une question existentielle face à un monde qui démontre chaque jour sa capacité de repli sur lui-même et le peu de consistance de ses valeurs supposées universelles.

Outre la qualité générale des films de l'association, l'ACID vise à « s'emparer des enjeux liés à la diffusion des films, à leurs inégalités d'exposition et d'accès aux programmateurs et spectateurs ». Le verbe s’emparer prend tout son sens ici.

L’espoir réside-t-il aussi auprès de la jeune génération ? Aux USA, même des vedettes comme Jenna Ortega ont surpris en adressant un bras d’honneur à son producteur Netflix. L’actrice a soutenu la cause palestinienne en posant des termes aussi lapidaires qu’explicites. Deux mots lâchés sur Twitter : « Decolonize Palestine ». Simple. Basique. Fait rare et encore plus aux USA où la liberté d’expression s’est heurtée de plein fouet à la répression, qui rappelle celle menée contre les mouvements pacifistes contre l’impasse de la guerre du Vietnam.

L'accusation d'antisémitisme fait florès pour disqualifier les défenseurs du droit international.

Le documentaire No Other Land, réalisé par un collectif palestino-israélien donne matière à penser les zones d’ombres d’une guerre coloniale qui ne dit pas son nom, bien qu’elle n’avance plus masquée depuis des lustres. Un film précurseur : en six mois, l’ONU a répertorié plus de 700 attaques de colons israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie. Un chiffre glaçant pour des crimes perpétrés en toute impunité et dont le silence médiatique est assourdissant. En parallèle, pour quel autre conflit, chaque dépêche rappelle systématiquement qu’il s’agit d’une réponse au massacre du 7 octobre ? Sortir de la sidération et de la sempiternelle injonction à condamner les violences pour réfléchir et prendre le Droit international comme seule et unique boussole. Point commun des chancelleries occidentales : l’instrumentalisation et la saignée méthodique de l’accusation d’antisémitisme portée contre toute la société civile, des comiques en passant par les ONG et les journalistes. Il y a comme une odeur rance de chasse aux sorcières. Une accusation dévoyée désormais tristement vide de sens et dont les premières victimes seront les juifs eux-mêmes comme en attestent les chiffres sur la montée bien réelle du racisme et ce que laisse augurer la vague brune européenne.

Malgré ses distinctions, « No Other Land » n'a fait qu'un bref passage en salle, regrettable au regard de sa démarche portée par un collectif palestino-israélien qu'on pourra difficilement taxer d'antisémitisme.

Documenter le réel, donner à voir

Dans un article paru dans Le Monde mi-novembre et intitulé « Pour vous, nous sommes des monstres ? », Isabelle Mandraud, l’envoyée spéciale du journal de référence évoque le suicide d’un soldat israélien, père de quatre enfants et conducteur d’un bulldozer déployé à Gaza. Quatre-vingt-six jours sur le terrain qui le conduisirent au suicide après avoir reconnu ressentir du « sang invisible » s’écouler de son corps. Une semaine après sa mort, son copilote avait affirmé, devant une commission parlementaire de la Knesset que les soldats avaient dû, à de nombreuses reprises, « écraser » des Palestiniens, « morts ou vivants, par centaines ».

Et l’on tergiverse encore sur l’intention coupable de ses commanditaires à l’heure où des « death zones » sont pratiquées et revendiquées par « l’armée la plus morale du monde » aux quatre coins de ce qu’il reste de Gaza, c’est à dire rien. La réalité alternative est le nouveau fléau du siècle et la cécité le signe de la ruine de notre humanité commune. Mais continuons de proscrire le mot génocide. Nombre d’acteurs, artistes, enseignants, universitaires et intellectuels en auront payé les frais cette année pour avoir simplement dénoncé ce qui était exhibé de façon obscène par les bourreaux eux-mêmes. Le cinéma, là encore, aurait pu nous permettre de voir. Comme l’explique avec justesse Jonathan Glazer, « Nous avons besoin que le génocide ne soit pas un moment calcifié de l’histoire ». Son film glacial, La Zone d’intérêt, interrogeait avec brio « l’inconscience du génocide » qui répond directement à la logique sémantique du terme juridique dont l’objet est d’effacer l’autre. Nous y sommes. C’est aussi l’objet même du film de rejeter la « la fétichisation et la spectacularisation du génocide » que nous mettions en lumière dans notre critique cannoise et que confirmera Glazer l’hiver suivant dans une interview accordée au Monde.

La Zone d'intérêt
Dans « La Zone d'intérêt » dont on vous parlait au festival de Cannes 2023, Glazer se refuse à rester cantonné au passé et préfère dénoncer le paradoxe du musée et ses fétiches.

Loin de la mise à distance de la presse en continu, le cinéma fait donc office de miroir. Le brillant reportage Homegrown de Michael Premo qu’on interviewait à Venise dépeint les fractures de l’Amérique et préfigurait peut-être la victoire de Trump. Idem pour l’excellent Apocalypse in the Tropics qui éreinte les tiraillements d’une société brésilienne prise en chasse par des intégristes évangélistes. Une critique acerbe avec des parallèles éclairants en histoire de l’Art. Deux documentaires brillants qui seront, on l’espère, programmés prochainement en France.

« Le Jugement dernier », tryptique de Hans Memling, apparaît dans le documentaire « Apocalypse in the Tropics » de Costa Petra qui explore le fondamentalisme et le messianisme évangéliste qui menace le Brésil.

Se réapproprier l'espace critique

Le cinéma doit épouser le réel pour en délimiter les marges. Déranger et non simplement divertir au sens étymologique de ces termes. Sortir des rangs, bousculer nos croyances et non détourner notre attention. Comme dans une réalité alternative, des séries pourtant pas bien finaudes comme The Boys ont même été récupérées par tout un pan du public persuadé que le personnage d’Homelander était un plaidoyer au masculinisme et la série, une lettre d’amour à l’extrême droite. Le point culminant a été atteint quand des vidéastes pourtant sensés en ont été réduits à produire une vidéo d’une heure trente pour expliquer au tout venant que The Boys est une série de gauche.

Mon propos vous semble acide ? La réalité l’est tout autant. Il apparaît de plus en plus évident que le discours  universaliste nous glisse des mains. Les ingérences de la Silicon Valley ne se répercutent pas seulement dans un espace numérique virtuel mais bien dans la vie réelle. Cette année, la presse indépendante a pu relever l’accélération du phénomène et les dernières élections étasuniennes, moldaves et géorgiennes devraient sonner l’alarme. L’hypercentralisation de la communication en continu précipite cette mutation vers un monde en perte de repères. Et la nécessité de réintroduire des intermédiaires est d’autant plus pressante.

Homelander, personnage ambigu de la série « The Boys » aura été subverti et réapproprié par la fachosphère.

Sortir de la servitude volontaire aux IA

Faudra-t-il bientôt demander ce qui est de gauche ou de droite à ChatGPT, nouvelle marotte d’Hollywood qui a annoncé exploiter des dizaines de milliers de scénarios de films et séries pour entraîner des IA ? Jamais le précipice ne m’a semblé aussi proche, et la société tout entière y saute à pieds joints sous couvert de technophilie, prête à sacrifier ses derniers choix, le corps et la voix des acteurs étant sur le point d’être une cession de droit d’auteur comme une autre. Même des festivals comme Annecy et Strasbourg commencent à programmer des films réalisés en IA dans des sélections de films d’auteurs, ce qui me semble indiquer une erreur fondamentale négligeant les enjeux de la production humaine.

Les corps et les voix des auteurs commencent déjà à être cédés sous contrat pour des productions futures.

Tous les corps de métier sont et seront impactés. Dans un article de Libération intitulé « Dans l’audiovisuel, avec l’IA, les traductions se perdent », l’auteur explique, chiffres à la clé, les premières répercussions sur le métier de traducteur. Il relève de nombreux exemples des aberrations de l’IA incapable de distinguer vouvoiement et tutoiement, alternant à tue-tête au cours d’un même épisode de série. De récentes études unanimes démontrent l’effet de substitution de l’IA sur les œuvres des auteurs. Il n’y aura pas de destruction créatrice suffisante du fait du caractère exponentiel de ces technologies qui s’auto-alimentent sans cesse par le vol d’auteurs identifiés comme anonymes.

Les tarifs sont déjà tirés vers le bas et les spectateurs s’habituent à un abaissement du niveau de langue qu’on constate même dans des médias comme Le Monde qui se félicitait benoitement d’établir une charte sur l’IA alors que leurs articles sont de plus en plus truffés de fautes. Enfin, il m’apparait évident qu’à aucun moment la question du progrès n’a été directement posée. Quel bénéfice tirera la société humaine à se libérer des taches intellectuelles et créatrices ? Les pressions de libertariens aux portes de la maison blanche et la résignation de politiques européennes inféodées au Capital ne préfigurent pas un avenir heureux pour les artistes, déjà précarisés par des comportements prédateurs. Combien de temps l’exception française du Droit d’auteur, plus protecteur des créateurs que ne l’est le copyright, pourra-t-elle enrayer cette lame de fond ?

L'air abruti de nos anciens présidents face à l'irruption de Musk lors de la réouverture de Notre Dame traduit très bien leur soumission présente et à venir aux transhumanistes en roue libre. (© T24)

Le corps féminin supplicié, fil rouge de 2025

Le cinéma en 2025 reste un refuge ; la France, malgré le spectacle rance de sa politique toujours plus réactionnaire, fait office de tête de proue d’une nouvelle vague engagée de Ducournau à Fargeat en passant par toutes les sensibilités que comporte le spectre du mot féminin. Cette année encore, de nombreuses réalisatrices du monde entier ont signé des films audacieux d’un point de vue formel comme Mi Bestia, Body Odyssey, Love Lies Bleeding ou encore The Substance. Des œuvres souvent crues ou aux démarches artistiques radicales qui ont pu déranger tout un pan du public, désemparé par l’absence d’explication de texte ou incapable de saisir le discours critique derrière une société de l’image qui dévore ses icônes et se complait dans la consommation du film du dimanche soir.

La question des corps féminins est explorée en profondeur par une nouvelle vague de réalisatrices à suivre.

Changer les corps, changer la société

Heureusement, des réalisateurs à la marge comme Sean Baker ont su produire des films offrant une image plurielle de la femme avec le remarquable Anora. Pour peu qu’on adhère au genre, Audiard a également fait preuve d’audace avec sa comédie musicale Emilia Pérez (même si je n’ai pas ressenti d’émotion) et Mohammad Rasoulof s’est disputé la Palme d’or avec l’excellent Les Graines du figuier sauvage révélant en creux la révolution dans la révolution par le prisme d’un foyer familial percuté par le mouvement Femme, Vie, Liberté. Si l’on fait fi des grosses productions hollywoodiennes où l’inclusisme au forceps me donne la nausée, le cinéma tâtonne, évolue et c’est tant mieux. Le succès de la comédie body-horrifique The Substance laisse présager de beaux jours pour les films de genre, cheval de Troie et miroir des angoisses et espoirs de notre époque.

Affiches 2
Trois films qui se sont disputé la Palme d'or à Cannes cette année.

Chapeau bas également à Aaron Schimberg, réalisateur du film A Different Man qui renverse – autrement que par le prisme de la pitié – toutes les représentations propres au handicap de l’acteur Adam Pearson atteint de neurofibromatose. On tient là notre Elephant Man moderne. Cette année encore, il y avait matière à voir pour peu qu’on veuille sortir des sentiers battus d’un algorithme Netflix avilissant. Sans plus tarder, voici les sept films qui m’ont le plus marqué en 2024 et qui participent, chacun à leur manière, à ouvrir le cinéma (et l’esprit) vers d’autres représentations. Une sélection très subjective qui aurait très bien pu intégrer certains films précités déjà vus en 2023 comme La Zone d’intérêt.

A different Man
« A Different Man » n'est pas parfait mais quelle audace dans sa manière d'interroger notre regard sur le handicap.

LES FILMS QUI T'ONT MARQUÉ CETTE ANNÉE

The Brutalist

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Brady Corbet | Date de sortie : 12 février 2025 | Découvert à la Mostra de Venise | Critique à venir

Il y a des jeux de mots un peu facile qu’on jette au visage du spectateur dans les bandes-annonces pour attirer le chaland. Et pourtant je n’ai pas pu faire autrement que de m’incliner et recourir au même procédé devant le monument que constitue le dernier film de Brady Corbet. Découvert à Venise au cours d’une séance de près de 3h30 avec entracte, j’ai glissé petit à petit en marge du temps, suspendu à la vie d’un homme, László Toth, architecte juif hongrois et rescapé des camps de la mort. Incarné par Adrien Brody, au sommet de son art, László émigre aux États-Unis avec son épouse Erzsébet, restée un temps bloquée à la frontière et diminuée physiquement à cause de son passage dans les camps.

Rien qu’écrire ces quelques lignes ravive en moi le sentiment d’une séance époustouflante. Quelle justesse de l’interprétation et un sens de la mesure qui emporte le spectateur sans artifice, ni spectacle. La question du traumatisme de la Shoah est traitée en toile de fond avec autant de justesse et de pudeur que La Zone d’intérêt, film autrement plus subtil que les gros sabots d’Hazanavicius, dont son film d’animation, La plus précieuse des marchandises, est comme écrasé par son propre héritage, incapable de prendre de la hauteur face à ce qui a déjà été dit. The Brutalist, lui, est diamétralement opposé sur le fond comme sur la forme à l’exercice très scolaire d’Hazanavicius qui récite le Bescherelle de la Shoah.

« La plus précieuse des marchandises » n'est pas un mauvais film mais il élude son personnage le plus intéressant : le bûcheron qui n'arrivait plus à détester les juifs.

Porté par plusieurs chapitres qui se répondent, The Brutalist détruit systématiquement ce qu’il a entrepris à l’acte précédent. D’abord d’un point de vue formel, qu’il s’agisse de sa photographie captée en 70 mm qui évoluera au cours du film ou de sa narration qui ne cesse de prendre des trajectoires inattendues. Il se dégage de l’œuvre une atmosphère étouffante et le sentiment d’une véritable symphonie où aucune image n’est gratuite. Ensuite, The Brutalist est un franc succès grâce à son écriture et son histoire qui se vit au plus près de ses personnages. L’intimité du couple rend palpable les traces de l’Holocauste sous la chair et les âmes. Superbe interprétation de Felicity Jones qui se réapproprie petit à petit son corps, comme une seconde rencontre de deux êtres séparés par la guerre. Sans pudeur ni passion. Un simple rapport qui paradoxalement sépare autant qu’il réunit.

Avec « The Brutalist », Adrien Brody signe l'un de ses plus grands rôles avec László Toth, architecte talentueux accroc à l'héroïne.

Brady Corbet, peu connu du public français comme ces deux précédents films n’ont pas été distribués en salle en France, propose une œuvre chorale magistrale qui rappelle les films grandioses de Coppola. À juste titre, certains festivaliers ont aussi pu le comparer à There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. Séquencé en chapitres qui débutent par un même thème orchestral qui inonde l’image, The Brutalist réussit à nous mettre à la hauteur de ce chantier titanesque auquel participe László Toth… jusqu’au dernier acte à la Mostra de Venise même. The Brutalist est un chantier fou et le film l’est tout autant, comme si Corbet ne s’était fixé aucune limite.

« There Will Be Blood » savait entretenir la pression jusqu'à son dénouement sous forme d'apothéose.

Fait d’autant plus renversant, The Brutalist n’est pas un biopic à proprement parler. C’est une « histoire virtuelle », un exercice de mémoire cinématographique qui, bien qu’il soit une fiction, possède une résonance sidérante avec le réel. Le film, fruit de sept ans de travail, est dédié à « ces artistes qui n’ont pas pu accomplir leur vision », précise Corbet. Sans l’ombre d’un doute, The Brutalist est ma plus belle expérience cinématographique. Je suis sorti du cinéma, le pas chancelant comme un marin qui remettrait pied à terre après avoir traversé l’océan. Comme quoi, il y a encore bien des choses à dire sur l’envers du rêve américain comme sur les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Ne vous laissez pas tromper, The Brutalist n’a rien d’un film classique et ne manquez surtout pas sa sortie en salle le 12 février 2025.

Love Lies Bleeding

Provenance : Angleterre | Réalisatrice : Rose Glass | Date de sortie : 12 juin 2024 |  Découvert au NIFFF | Critique à lire ici

Il se murmure qu’un festivalier sur deux m’a entendu vanter les mérites du dernier film de Rose Glass. Lou, salariée d’un club de gym, tombe amoureuse de Jackie, une culturiste ambitieuse qui prépare la compétition de ses rêves à Las Vegas. Cette rencontre passionnelle va de fil en aiguille les précipiter dans une spirale de violence où s’entremêlent désirs, vengeance et stéroïdes. Rose Glass multiplie les références de notre imaginaire collectif en apportant sa propre signature. Les cheveux bouclés de Jackie fleurent les années 70-80. Notre inconscient nous rappelle au souvenir de l’archétype de l’héroïne forte de l’époque comme l’était Ellen Ripley. Et son nom renvoie peut-être secrètement à Jackie Brown, hôtesse de l’air qui officiait parallèlement en tant que trafiquante d’armes dans le film éponyme de Tarantino.

Assurément Love Lies Bleeding est un écho contemporain de Thelma et Louise où deux femmes en cavale répondaient par les armes à la violence masculine. Le film de Ridley Scott, lui aussi à la croisée des genres, avait suscité la polémique pour son caractère subversif, sa fibre irrévérencieuse et intimement jusqu’au-boutiste vis-à-vis du patriarcat décrié. La fusion absolue envers et contre la violence des hommes est valable autant pour Thelma et Louise que pour Love Lies Bleeding. Film coup de poing et libérateur, touchant et incisif, Love Lies Bleeding interroge notre rapport aux genres et parvient à raconter une histoire d’amour entre deux femmes sans tomber dans des représentations carabinées sur une supposée essence féminine. Hasard des calendriers, le magnétique Body Odyssey offrait un autre angle sur le culturisme féminin, cette fois ci du côté des athlètes seniors.

Anora

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Sean Baker| Date de sortie : 30 octobre 2024 | Découvert à la première à Cannes | Critique à lire ici

Anora raconte la fulgurante ascension d’une jeune strip-teaseuse de Brooklyn qui voit sa vie changer après avoir dansé pour un client fils d’oligarque. Anora redessine les cartes des relations humaines sous forme de montagne russe émotionnelle. Alors qu’elle accepte de se marier avec ce jeune fils à papa qui mène une vie de luxure, la famille russe, elle, voit leur union d’un autre œil. Cette dernière est bien décidée à faire capoter le mariage. Quoi qu’il en coûte…Le film n’a rien d’une romance fleur bleue et c’est d’ailleurs ça qui le rend si pertinent.

Anora a un tempérament explosif et saisit les opportunités sans arrière pensée aucune. C’est naturellement qu’elle voit cette proposition de mariage comme une fenêtre vers une autre vie. Pourtant, contrairement à Cendrillon, Anora n’a rien d’un récit misérabiliste. Et le film de Sean Baker a tout d’un négatif moderne à Pretty Woman. Même si Anora ne manque pas de répondant, en tant que strip-teaseuse et oiseau de nuit des clubs de Brooklyn, c’est avant tout par son corps qu’elle s’exprime. Une façade qu’on ne connaît que trop bien et qui trouve toute sa symbolique lors de son magnifique épilogue. En mariant les registres avec intelligences, Anora est un plaisir de chaque instant et une grenade dégoupillée dont on attend qu’elle explose à tout moment. Une raison de plus pour découvrir la filmographie à contrecourant de Sean Baker.

The Sweet East

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Sean Price Williams | Date de sortie : 13 mars 2024 | Critique à lire ici

Ecrit à quatre mains entre Sean Price Williams et le critique américain Nick Pinkerton, The Sweet East est un voyage au pays des merveilles postmoderne. Porté par la magnétique Talia Ryder qui campe le rôle de Lilian, une jeune fille prête à poursuivre le premier lapin blanc venu, The Sweet East singe une Amérique moderne déphasée, où chaque coin de rue est une hétérotopie à part entière. Ici ce sont des anarchistes de salon, là des néo-nazis et islamistes frustrés. Ce passage écrit par Lewis Caroll traduit très bien la fuite en avant permanente de Lilian : « Un instant après, Alice était à la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait ».

Car c’est bien ça qui fait le charme du film de Sean Price Williams. Tout au long de cette échappée punk, il n’est jamais vraiment question de revenir à l’ennui du quotidien. Lilian a quitté le bus de cette sortie scolaire balisée pour recouvrer sa « liberté libre ». Une éternelle fugue en poupée russe où la belle use et abuse de son air lascif et sa candeur apparente pour mener sa barque dans une société profondément malade mais où un reliquat d’humanité reste perceptible chez chacun de ses désœuvrés. Le sourire de Lilian, c’est aussi celui de Sue dans The Substance, celui d’une société qui cherche à commander nos émotions les plus naturelles. Un vrai vent de fraîcheur qui donne à respirer dans notre monde où les individus sont de plus en plus algorithmés.

The Substance

Provenance : France | Réalisatrice : Coralie Fargeat | Date de sortie : 6 novembre 2024 | Découvert à la première à Cannes | Critique à lire ici

Sauf à considérer que vous soyez resté cloîtré dans un bunker antinucléaire cette année, vous avez sans doute entendu parler du dernier film coup de poing de Coralie Fargeat. The Substance franchit un cap dans le cinéma de genre en mariant le body horror à la satire pour un résultat dont le propos déborde à chaque image. Certes les gros sabots sont de sortie, mais personne n’avait osé dénoncer avec un tel cran nos représentations en osant littéralement tout à l’image. L’outrance fait partie intégrante du dispositif scénographique.

Coralie Fargeat invente un nouveau genre, la comédie body-horrifique et parvient à s’imposer comme une autrice punk susceptible d’ouvrir le public à de nouvelles considérations critiques : celles d’une société paradoxalement plus axée sur la surface que sur les êtres, alors que notre regard dicté par le marché s’évertue à détruire scrupuleusement les deux. Régressif, outrancier mais jubilatoire, The Substance est une comédie noire féministe taillée sur mesure pour Demi Moore. Un bras d’honneur titanesque adressé à notre société du spectacle et ses égéries kleenex selon la bonne vieille recette capitaliste appliquée aux êtres.

Nosferatu

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Robert Eggers | Date de sortie : 25 décembre 2024 | Critique à venir

Mention spéciale de dernière minute à Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse, The Northman) qui propose une lecture très contemporaine de Nosferatu que j’ai découvert au lendemain de Noël. Le réalisateur rend hommage aux films expressionnistes allemands tout en apportant sa pierre à l’édifice du vampire. Il reprend à son compte la version de Murnau de 1922 qu’il associe au somnambule du Cabinet du docteur Caligari (1920) avec un côté Possession (1981) où Isabelle Adjani aurait cédé sa place à Lily-Rose Depp. Un film très (trop ?) shakespearien qui joue sur l’emphase permanente et son côté lyrique assumé à l’excès quitte à étouffer ses séquences, écueil fréquent chez Eggers. Qu’importe, j’ai glissé dans ce rêve crépusculaire, comme une paralysie du sommeil étrangement familière où l’asphyxie finit par nous sortir du sommeil. Nosferatu ne fait pas peur (et ce n’est aucunement ce que je recherchais), mais il serpente les corps comme la figure de Maldoror.

L’absence d’effroi laisse la place à l’Étrange et au romantisme lugubre qui opèrent comme par magie noire. Le fantastique fait écho à la mélancholie de cette jeune femme, prise en étau entre ses angoisses morbides et une société religieuse qui enterre ses désirs refoulés. Une femme qui couve le secret de celles qui se sentent souillées avant de consommer le mariage. Un film aussi froid que sa photographie où la chaleur ne viendra que dans les dernières minutes du métrage… le soir de Noël, symbole païen récupéré par les Chrétiens. Les païens célébraient le solstice d’hiver, la plus longue nuit de l’année avant le retour de la lumière et la renaissance de la nature. Le film d’Eggers se solde par un dernier plan mémorable qui rappelle le genre de la nature morte. Y-avait-il meilleur cadre que Noël pour le retour de Nosferatu dans les salles obscures ?

Megalopolis

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Francis Ford Coppola | Date de sortie : 25 septembre 2024

Cette année était aussi révélatrice du repli des producteurs américains, toujours plus précautionneux pour financer des projets, même de réalisateurs qui n’ont plus rien à démonter. C’était le cas de Ridley Scott et son Napoléon l’année précédente, c’est aujourd’hui Kevin Costner et son film Horizon qui a à mon sens injustement été démonté par des critiques décontenancées par la forme lente d’une œuvre fordienne pensée comme une saga et non comme une série biberonnée aux cliffhangers. Idem pour Megalopolis de Coppola qui traite un sujet rare en dehors de la SF : celui de notre rapport à l’Utopie, cet autre lieu inaccessible qu’interroge constamment le réalisateur à l’image jusqu’au plan transitoires qui s’éteignent comme depuis le regard de celui qui tiendrait une longue-vue.

Le kitsch et l’outrance font pourtant partie intégrante du dispositif qui a justement vocation à questionner nos perceptions de la modernité. Si cet objet baroque s’effondre sous son propre poids, c’est pour mieux mettre en lumière l’effondrement de notre civilisation et la dissonance discursive entre les actes et les faits. Un film qui volontairement épuise, à l’image de la Trilogie de Samuel Beckett qui épuise la langue, Coppola épuise l’image. La figure de Coppola traverse le personnage démiurge d’Adam Driver lors d’une scène guignolesque où le jeune prodige prix Nobel se lance dans une joute verbale contre le maire de la ville et son projet pharaonique de Casino. Un pied de nez évident adressé au Hollywood d’aujourd’hui dont le pourrissement avancé annonce une chute inévitable. Comme pour Furiosa (lire notre dossier Mad Max) où chaque pixel de SFX souffrait la critique, le parti pris artistique de Megalopolis tranche et c’est tant mieux. C’est le rêve d’or vu par un seul homme. Un projet solaire qui devrait gagner ses lettres de noblesse avec le temps comme le prédisait Brice_le loup celeste à la première cannoise.

LE FILM QUE TU AS RATTRAPÉ ET QUE TU AURAIS AIMÉ DECOUVRIR AU CINEMA

Terrifier

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Damien Leone | Date de sortie : 9 décembre 2021

Cette année, j’ai enfin rattrapé le train Terrifier. Si chacun de ces films d’horreur apporte son propre angle, j’ai été captivé par le premier. Un film fauché terriblement angoissant qui interroge la logique du spectacle en nous rendant systématiquement complice des exactions du clown. Dès les premières secondes du film où Art prépare son attirail, Damien Leone annonce la couleur. Première victime exhibée sans fard et déjà le spectateur intègre que rien ne lui sera épargné. L’horreur dans sa forme la plus brute et qui adopte le même procédé que la pornographie : ne rien cacher de la chair à la moelle. Outre son sens de la mise en scène sadique, Damien Leone renouvelle la logique du croquemitaine comme personne n’y était parvenu depuis des années, sinon des décennies. Jusqu’à la dernière minute, Terrifier joue avec les codes du slasher. Un phénomène populaire inattendu et dont les enjeux n’ont pas toujours été saisis pour les bonnes raisons par un jeune public pas forcément coutumier du genre. Art est un artiste comique incompris qui s’adresse directement au spectateur à chaque crime raté. Et si c’était lui le vrai joker ?

LE FILM D'ANIMATION DE L'ANNEE

Arcane

Provenance : États-Unis / France | Réalisation : Riot Games / Fortiche Production | Date de sortie : 2021 / 2024 |Test technique à lire ici

Cette année encore, il y a eu de très belles productions : Mémoires d’un escargot et son humour acerbe, Totto-chan, la petite fille à la fenêtre, adaptation touchante du manga éponyme dont on parlera prochainement sur MaG avec son réalisateur, Anzu, chat-fantôme et sa superbe rotoscopie (voire notre interview de de Yōko Kuno et Nobuhiro Yamashita) ou encore Blue Giant, véritable prouesse musicale digne d’un concert-live de jazz. Le dernier Miyazaki, Le Garçon et le Héron, est sans doute l’un de ses films les plus noirs et le plus humain à la fois. Splendide legs à ceux qui suivront le maître et aux imaginaires éternels qu’il laissera derrière lui.

Vous allez rire aux larmes devant le procahin film des Looney Tunes qui a bien failli ne jamais sortir.

J’ai également ri à gorge déployée devant le prochain film Looney Tunes: The Day the Earth Blew Up: A Looney Tunes Movie qui aura enfin droit à une sortie en 2025. Préparez-vous, c’est un bijou d’animation à l’ancienne intégralement dessiné à la main. Surprise apprécié, le film est clairement destiné à un public pour adultes avec nombre de blagues grivoises qui font mouche. Le stop motion a également eu droit à un nouveau joyaux découvert à Venise. Réalisé par le jeune studio Chroma et soutenu par la maison de production Autour de Minuit qu’on ne présente plus, le court-métrage Playing God est stupéfiant.

Avec « Playing God », l’artiste italien Matteo Burani nous plonge dans un univers lugubre, un atelier d’où une créature pétrie dans l’argile vient à la vie. Neuf minutes intenses et un véritable tour de force pour tout amateur de stop-motion.

Comme d’habitude, difficile de trancher cette année vu la qualité des productions précitées. Aussi, j’ai donc décidé de récompenser une série et un film ex-aequo pour des raisons semblables : leur filiation assumée avec le jeu vidéo qui fait passer l’animation à un stade supérieur. Vous l’avez peut-être deviné, je fais référence à la série Arcane qui repousse techniquement les limites de l’animation au même titre que Spider-man: Into The Spiderverse et sa suite. Une série à destination adulescente mais qui a su me séduire par la force de sa direction artistique. On en avait déjà parlé cette année lors de notre conférence à l’école E-Art Sup sur l’histoire de l’animation et du jeu vidéo. Riot Games et le studio Fortiche ont parfaitement assimilé la grammaire du média. Arcane s’affranchit d’un cadre graphique unique pour symboliser, à l’image, tout le spectre des émotions qui traversent ses personnages tourmentés.

Comment ? En utilisant des techniques variées allant du fusain et l’encre de Chine pour représenter le deuil, ou l’aquarelle pour l’insouciance par exemple. Pourquoi se limiter à la 3D ou la 2D quand on peut tirer profit des deux approches ? C’est ce qu’on voit depuis longtemps à l’œuvre dans des jeux vidéo comme Indika qui marie 2D et 3D pour dénoncer la vacuité de la religiosité. Fortiche a également assimilé les techniques de filmage à l’épaule pour montrer l’impétuosité de Jinx, son anti-héroïne prolo-schizophrénique par opposition aux plans fixes de la ville haute trustée par la bourgeoisie et la noblesse.

Les relations contrariées du trio Jinx, Vi et Caitlyn sont particulièrement bien retranscrites dans « Arcane ». Pas de censure ni d'angélisme dans la représentation de la sexualité. L'anti Disney par excellence !

Si l’animation est d’une vivacité jamais vue, Arcane sait aussi proposer des panoramas qui reprennent le procédé des artworks dans le jeu vidéo. Outre le symbolisme de sa direction artistique fantastique, Arcane a de sérieuses qualités d’écriture à défendre concernant ses personnages et sait représenter une relation entre femmes sans tomber dans l’écueil mielleux. C’est sans doute la première fois qu’un anime retranscrit aussi bien une relation passionnelle féminine. Bravo aux artistes français de Fortiche qui ont travaillé d’arrache-pied pour dépasser les canevas du genre. Du grand spectacle !

Flow

Provenance : Lettonie | Réalisateur : Gints Zilbalodis | Date de sortie : 30 octobre 2024 | Critique à lire ici

Impossible également de ne pas parler de Flow, multi primé dans de nombreux festivals cette année. Là où nombre de films d’animation cherchent à anthropomorphiser les animaux, Flow choisit une approche radicalement opposée comme le faisait déjà le jeu Stray avant lui. On reconnaît systématiquement les bêtes et leurs mouvements et mimiques restent toujours bien ancrées dans le monde animal. Exit les dialogues, là encore la communication est systématiquement non verbale. À l’instar d’un film muet, seules les expressions des bêtes permettent de véhiculer l’émotion. Et c’est là que Flow réussit à tirer son épingle du jeu car c’est au spectateur de deviner entre les lignes les intentions des animaux, alors qu’une communication inter-espèce embryonnaire se développe entre ces bêtes différentes que tout oppose… à moins qu’il ne s’agisse de si peu… Même sans calquer les animaux sur des modèles humanisés et sans aucune ligne de texte, on arrive à lire des sensibilités différentes au sein de cette meute singulière.

Nouveau jalon pour l’animation, Flow doit là aussi beaucoup au jeu vidéo. Pour la première fois, le film a été réalisé en créant un environnement complet comme une map d’un jeu vidéo dans laquelle on déplacerait librement la caméra au moyen d’un unique plan séquence qui maintient le spectateur avec cette arche de fortune. Brillant et poétique, Flow mérite tout autant son titre de meilleur film d’animation de l’année. Ode à l’altérité, Flow est une allégorie réussie sur l’adversité et le vivre-ensemble. Une bouffée d’air frais à une époque où la peur de l’autre est instrumentalisée pour nourrir la division jusqu’à annihiler les conditions mêmes de la vie en communauté.

LA DÉCEPTION DE L'ANNÉE

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Fede Álvarez | Date de sortie : 14 août 2024 | Critique à lire ici

J’aimerais vous dire tout le mal que j’ai pensé d’Alien Romulus et combien son public a oublié ce qui faisait le sel des premiers films. Mais pour véritablement parler de déception, encore eut-il fallu que j’attende véritablement quelque chose d’une superproduction tombée sous le giron Disney. Sa sortie était paradoxalement un non-évènement et c’est presque à reculons que je suis allé le découvrir en salle. L’auto-référence permanente et le jeu du « Qui reconnaîtra la petite phrase » sont devenus la recette préférée de Disney depuis que le mastodonte a ruiné Star Wars. Il en va de même ici avec des personnages lisses pour des environnements lisses et des aliens lisses. L’explication de l’image est systématique. Fede Álvarez ne fait que dénaturer le xénomorphe pour en faire un monstre tout ce qu’il y a de plus générique, pas plus malin qu’un hamster. Ce n’est pas complètement de sa faute, car je doute que son contrat lui ait donné carte blanche.

Je ne m’étendrais pas ici car j’ai déjà écrit un très long réquisitoire qui compare le film à l’essence du travail de Giger au moyen d’une étude comparée des peintures et autres supports confondus qui revendiquent une paternité avec la bête de sexe qu’on connaît (lire notre analyse). Je lis actuellement la thèse de Morena Fais HR Giger Lecteur de Lautréamont ? que je vous recommande et je ne peux pas m’empêcher de penser que des licences monstres comme Alien devraient être confiées à des équipes indépendantes réduites, qui ont assimilé l’héritage de l’artiste Giger, ses origines et pourquoi le premier film était en conséquence si dérangeant. Les Polonais serbes d’Ebb Software et les Britanniques de Creative Assembly ont fait mille fois mieux avec respectivement Scorn (lire notre dossier) et Alien Isolation. C’est bien vers le jeu vidéo indépendant qu’il faut se tourner si l’on veut replonger dans l’univers du grand Hans Ruedi Giger sans avoir à ravaler son acide devant un produit filmique javelisé.

TES ATTENTES POUR 2025

« La Source », film tunisien en compétition à la Berlinale 2024.

Quand on navigue de festivals en festivals, on est moins porté par le calendrier des sorties. Néanmoins, sauf à considérer que je souscrive à l’annihilation de toute vie sociale, je rate beaucoup de films en salles et c’est normal. Du coup, les attentes sont toute relatives. Découvert par une simple bande-annonce au cinéma dans un petit cinéma de Cherbourg qui borde l’océan, je suis très curieux de voir La Source, en compétition à la Berlinale, festival que je compte bien explorer cette année. Le film séduit déjà par sa photographie splendide et ce regard d’acier de cette mystérieuse femme voilée et muette qui m’a rappelé le portrait de la petite fille afghane. La promesse d’une enquête dans un village reculé de Tunisie où Aicha et Brahim sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs fils, partis pour une guerre indicible jusqu’à leur retour avec cette fiancée mutique. Verdict très prochainement sur MaG puisque le film sort demain !

« La Chambre d'à côté » de Pedro Almodóvar devrait faire parler de lui en 2025.

Je suis également très intrigué par La Chambre d’à côté, prochain film d’Almodóvar que j’avais manqué à Venise. Pourquoi ? Parce que le ton a l’air très différent de ses précédents films qui ne font pas foncièrement parti de mon ADN cinéphile. Drame entre une mère imparfaite et une fille rancunière, La Chambre d’à côté sort là encore très prochainement, le 8 janvier. Et les quelques plans et séquences aperçus dans la bande-annonce laissent présager du meilleur. Déjà, on savoure ces images chirurgicales et la colorimétrie d’une photographie qui s’annonce magnifique.

Manuel Valls fera-t-il partie du casting de « 28 ans plus tard » ?

Si l’année dernière, c’est Nosferatu que j’attendais, cette année, ce sera Frankenstein de Guillermo del Toro, décidément lancé sur une très belle série fantastique et revisite de mythes populaires. Je suis aussi curieux de voir ce que donnera 28 ans plus tard, le film post-apo de Danny Boyle qui avait réalisé deux films coup de poing inégalés tout en renouvelant la grammaire du zombie sauce Romero. Du zombie à l’infecté, 28 jours plus tard préfigurait des chefs-d’œuvre comme The Last Of Us. Je me suis promis de ne rien regarder, pas même un trailer, dans le but de préserver la surprise, bonne ou mauvaise. En tant qu’amoureux du stop motion, je crépite d’impatience pour le projet Junk World, suite de Junk Head. On faisait partie des tout premiers à vous parler de ce film fou d’un seul homme au tout début de MaG. Takahide Hori arrivera-t-il à se dépasser lui-même ? Ma résolution pour 2025, aller interviewer Takahide Hori au Japon s’il ne vient pas présenter son film ailleurs !

« Junk World » devra mettre la barre haute pour détrôner son prédécesseur.

Bilan de Mr. Wilkes

TON REGARD SUR LE MONDE DU CINÉMA EN 2024

Il est plutôt amusant de constater à quel point l’offre alternative (plus petits budgets, plus indépendante, plus autonome) explose en créativité, inventant encore de nos jours de nouvelles manières de concevoir le cinéma, tandis que d’un autre côté l’offre mainstream s’effondre dans un miasme toujours plus puant. Sans s’y attarder, notons tout de même la capacité de l’industrie de recyclage Netflix (et son terrifiant – mais pas dans le bon sens du terme – Salaire de la peur, qui passe après Clouzot et Friedkin…), le retour raté des vieux de la vieille (on pense notamment au plantage en règle de Rebel Moon de Snyder sur la même plateforme) ou les catastrophiques Marvelleries qui parviennent au moins à ne plus être rentables, c’est déjà ça…

La catastrophe « Rebel Moon » de Zack Snyder, son space-opera nazi sorti tout droit des enfers.

À côté de ce cadavre fumant et malheureusement encore bien lucratif, le monde du cinéma en 2024 c’est aussi et surtout une pléthorique offre de films qui dialogue avec les vicissitudes de notre époque. Plus bas, le top 6 des films qui m’ont marqué cette année sera l’occasion de revenir sur ces œuvres là. Mais avant de les évoquer, impossible de ne pas remarquer une thématique particulièrement notable dans la cuvée 2024 : celle du journalisme. En particulier, c’est le reportage de guerre qui semble catalyser l’intérêt, avec pas moins de trois grands films sur le sujet de qualité assez diverse mais toujours conjugués au féminin. Le biopic Lee Miller narrant l’histoire de cette reporter durant la Seconde Guerre mondiale, le très décevant Civil War d’Alex Garland qui est peut-être ma grosse déception de l’année et finalement le grandiose À son image de Thierry de Peretti.

Civil War
« Civil War » d'Alex Garland.

Et n’en déplaise à Marek Zydowicz, 2024 a été une année de cinéma au féminin (et diablement bonne !). Si l’on écarte les espoirs douchés qu’avait représenté le Emmanuelle d’Audrey Diwan, l’année a été l’occasion de (re)découvrir des réalisatrices de talent. Pêle-mêle, je pense évidemment à Rose Glass, Coralie Fargeat et sa consécration horrifique, l’incroyable documentaire de Christine Angot Une Famille, Emma Benestan ou encore Noémie Merlant pour ne citer qu’elles… Toutes (et chacune dans leur genre) nous ont offert un cinéma riche, assez passionnant, plus hybride que jamais (Les Femmes au Balcon et son réjouissant mélange des genres, Eat The Night et la mixité de son médium…). Un cinéma souvent acerbe et critique qui explique peut-être les réactions politiques vis-à-vis du 7e art en 2024…

Autre grosse déception de l'année, le « Emmanuelle » d'Audrey Diwan.

Car si ce tableau est plutôt élogieux, il convient également de ne pas oublier les assauts répétés des politiques libérales à l’encontre du cinéma. Entre les multiples attaques contre le dispositif Collège au cinéma et les coupes budgétaires qui entêtent les subventions culturelles (pas moins de 73% de baisse en région Pays de la Loire grâce à la chevalière de la Légion d’honneur Christelle Morançais), on comprend bien que la culture dérange. Et que la France Macron-Hanouna-Lepen est bien tentée de lui faire la nique… Mais pour se remonter le moral, on peut toujours compter sur les droitardés de Sud-radio et leur fine analyse de la situation dans un article aussi lunaire que finalement assez marrant (Massacre à la subvention : les vérités qu’il faut dire sur le cinéma français). L’éditorialiste Philippe David parvient à étaler une telle quantité d’imbécilités à la ligne qu’il se murmure déjà qu’on l’envisage comme successeur de François Bayrou. Affaire à suivre…

LES FILMS QUI T'ONT MARQUÉ CETTE ANNÉE

À son image

Provenance : France | Réalisateur : Thierry de Peretti | Date de sortie : 4 septembre 2024 | Critique à lire ici

Découvert au GIFF, À son image a été mon gros coup de cœur de l’année écoulée. Narrant l’histoire d’un groupe de potes dans la Corse des mouvements indépendantistes, le film se concentre sur le personnage d’Antonia, une jeune photographe.

Maniant avec la même dextérité que ses derniers films l’art du plan séquence, de Peretti propose une plongée autant théorique qu’esthétique dans la Corse de ces années-là. Tour à tour conceptuellement passionnant, visuellement splendide et finalement assez bouleversant, À son image fait partie du doublet gagnant de l’Île de Beauté avec Le Royaume sorti un peu plus tard cette année.

La Zone d'intérêt

La Zone d'intérêt

Provenance : USA, Grande-Bretagne, Pologne | Réalisateur : Jonathan Glazer | Date de sortie : 31 janvier 2024 | Critique à lire ici

Si on risque un peu de l’oublier étant donné qu’il est sorti en tout début d’année (un peu comme La Bête de Bonello), La Zone d’intérêt est bel et bien le mastodonte de cette année ciné 2024. Glazer parvient le tour de force de créer une toute nouvelle grammaire de cinéma pour traiter pourtant d’une thématique vue et revue au cinéma, celle des camps de concentration. Film monstre, véritable rouleau compresseur, La Zone d’intérêt use du hors-champ, s’autorise l’expérimental et le méta, le tout au profit d’un film ultra-sensoriel qui fait l’effet d’un véritable coup de massue. En égrainant à un rythme plutôt très calme une filmographie alignant les chefs-d’œuvre, le britannique Glazer se place comme l’un des réalisateurs les plus singuliers de sa génération.

Les Chambres rouges

Provenance : Canada | Réalisateur : Pascal Plante | Date de sortie : 17 janvier 2024

Il y a fort à parier que vous ne connaissiez pas Pascal Plante avant Les Chambres rouges, c’était en tous cas mon cas. Pourtant, il a livré en 2024 l’un des grands films coups de poing de l’année, selon l’expression consacrée. Une œuvre qui transcende le simple fait divers (une femme qui s’entiche pour un tueur en série) pour s’élever à une réflexion glaçante sur l’obsession morbide et le voyeurisme contemporain. Avec une maîtrise assez stupéfiante, Plante noie son spectateur dans un huis clos mental et émotionnel d’une rare intensité tout en explorant les zones noires de cette fascination pour le mal.

Porté par une performance magistrale de Juliette Gariépy, dont le jeu à fleur de peau capte autant qu’il trouble, le film joue sur le fil du rasoir entre le suspense psychologique et le drame moral. La mise en scène, chirurgicale et claustrophobique, scrute chaque détail et chaque silence, créant une tension presque insoutenable dont on sort groggy. Dérangeant, percutant, Les Chambres rouges inscrit Pascal Plante au panthéon des réalisateurs à suivre.

Eat the Night

Provenance : France | Réalisateur : Caroline Poggi & Jonathan Vinel | Date de sortie : 17 juillet 2024 | Critique à lire ici

S’il y a bien un film cette année qui doit apparaitre dans le top de MaG, c’est bien Eat The Night. En mêlant dans sa narration le jeu vidéo et le septième art, le film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel tape exactement dans ce qu’est l’ADN du site ! Et il faut dire que son histoire de fratrie déchirée par la fermeture prochaine d’un MMORPG qui représentait toute leur vie, parvient non seulement à créer une véritable bombe émotionnelle, mais aussi à teinter le long-métrage d’une mélancolie prenante et poisseuse.

Le Successeur

Provenance : France, Canada, Belgique | Réalisateur : Xavier Legrand | Date de sortie : 21 février 2024 | Critique à lire ici

On a déjà parlé de film québécois avec Les Chambres rouges, mais impossible durant cette année 2024 de passer à côté d’un autre long-métrage canadien : Le Successeur. Xavier Legrand, après le remarqué Jusqu’à la garde dont on se souvient encore être ressorti le souffle court, persiste et signe dans le genre du thriller. Avec son histoire de succession qui tourne mal, il offre un drame glacé (et glaçant) mais aussi et surtout l’un des renversements de situation les plus terrifiants de 2024. Avis aux amateurs…

Le Royaume

Provenance : France | Réalisateur : Julien Colonna | Date de sortie : 13 novembre 2024 | Critique à lire ici

Après À son image, c’est au tour d’un autre film corse de figurer dans ce top de fin d’année : Le Royaume, de Julien Colonna. Comme le long-métrage de de Peretti, il se conjugue au féminin et explore les tentaculaires réseaux mafieux de l’Île de Beauté. Mais sous couvert de réaliser un énième film de gangster, Colonna propose plutôt une bouleversante histoire de filiation dans cette relation père-fille baignée de violence. Écrit avec Jeanne Herry et avec un casting non-professionnel assez sidérant, Le Royaume s’impose comme un film inoubliable de cette année de cinéma.

LE FILM D'ANIMATION DE L'ANNÉE

Outre Flow, c’est sans doute Mémoires d’un escargot d’Adam Elliot qui m’a le plus marqué cette année en animation. Le papa de Mary et Max revient en effet avec un film truculent, toujours aussi noir, toujours aussi triste, mélancolique et drôle à la fois. On y suit la vie de Grace Pudel, valeureuse collectionneuse d’escargots, dont la vie part en éclat après la mort de son père. Nous avons eu la chance de pouvoir le voir au FEFFS, mais le long-métrage sortira bel et bien en salles le 15 janvier 2025 !

TES ATTENTES POUR 2025

Je n’ai pas beaucoup de films dans le viseur pour 2025, même si la prochaine réalisation A24 Babygirl prévu pour le 15 janvier s’annonce vraiment prometteur. Un peu plus tard (le 12 février), c’est The Brutalist que je ne manquerai pas d’aller voir au cinéma, dont vous avez sans doute déjà lu des retours plutôt élogieux dont celui de KillerSe7ven à Venise. Début mars, ce sera le retour de Bong Joon-ho qu’il ne faudra pas manquer. Il revient avec Mickey 17, un intriguant film de science-fiction avec Robert Pattinson. Et finalement, pour la fin de l’année, c’est le troisième volet d’Avatar: Fire and Ash, qui retiendra mon attention.

« Mickey 17 » de Bong Joon-ho.

Bilan du loup celeste

TON REGARD SUR LE MONDE DU CINÉMA EN 2024

2024 aura été une année olympique pour la France, tant dans le sport que dans le cinéma. Car avec la présence de trois films français parmi les cinq premiers du box-office national, le cinéma français a réalisé une année ”ouf”… Surtout que pour la première fois depuis 10 ans, deux films français réapparaissent en haut du podium : l’or pour l’irrésistible comédie Un p’tit truc en plus avec ses 10,8 millions d’entrées et l’argent pour la romanesque cavalcade Le Comte de Monte-Cristo avec ses 9,3 millions d’entrées. Quant à la rocambolesque romance L’amour ouf et ses 4,7 millions d’entrées, c’est à la cinquième place qu’elle se positionne fièrement. Et pour rappel, l’année avait débuté avec le triomphe du drame judiciaire Anatomie d’une chute en Amérique (deux Golden Globes et deux Oscars). Cocorico, 2024 fut une très belle année pour nos productions tricolores, aussi bien en France qu’à l’international. Après ça, qui osera encore dire que le cinéma français c’est de la merde ?

Un p'tit truc en plus
« Un p'tit truc en plus », la comédie d'Artus qui vise à faire changer notre regard sur les personnes handicapées, a rejoint le club très select de « Bienvenue chez les Cht'is », « Le Corniaud », « Les Visiteurs » ou « Intouchables » en dépassant les 10 millions d'entrées.

En 2024, en plus d’avoir réussi à séduire les masses, les films français ont sauvé les salles obscures du désastre annoncé par la programmation en creux des blockbusters hollywoodiens (une baisse de près d’un quart du nombre de grosses productions) provoquée par la double grève des acteurs et des scénaristes de 2023. Au printemps, cette pénurie a eu des conséquences néfastes sur la fréquentation avec une chute stupéfiante de 36 % sur un an en avril. Fort heureusement, la surprise Un p’tit truc en plus a inversé la tendance…

Le Comte de Monte-Cristo (2024)
« Le Comte de Monte-Cristo », le blockbuster français qui a désarmé Hollywood.

Mais du coup, cette année de transition pour les gros hits cinématographiques de l’industrie hollywoodienne a-t-elle su s’organiser autour de licences fortes ? Pas vraiment, car hormis le grand spectacle épique Dune, deuxième partie et la tornade de divertissement Twisters, ni le menu maxi best of Alien: Romulus ni le voyage initiatique La Planète des singes: Le Nouveau Royaume, pourtant plaisants au demeurant (de même que la comédie romantique mouvementée The Fall Guy et le barbecue entre vieux potes Bad Boys: Ride or Die), ne seront parvenus à me marquer. Pire encore, la manœuvre commerciale cynique Deadpool & Wolverine aura réussi à m’écœurer des Comic-Book Movie (pour ma santé mentale, je me suis épargné Madame Web et Kraven The Hunter). Et que dire de Gladiator II, la redite autosatisfaite à la profonde vacuité ? Ou encore des déceptions à répétition issues de la lessiveuse Netflix ? En somme, 2024 ne restera pas une grande année pour le cinéma américain… Même si le triomphe Wicked, que je n’ai pas eu la chance de voir (ainsi que Beetlejuice Beetlejuice et Joker: Folie à deux que je rattraperai très bientôt en 4K Ultra HD), lui aura permis de finir l’année mieux qu’il ne l’a commencée. Une grosse pensée néanmoins pour le raté d’allumage Furiosa: Une saga Mad Max, qui n’a malheureusement pas fait vrombir son moteur au box-office alors même qu’il s’agit d’une claque comme il en existe trop peu. Et oui, les voies du Public sont impénétrables !

Deadpool & Wolverine
« Deadpool & Wolverine », deux mutants errant dans le néant du cynisme hollywoodien.

Pour finir, je tenais à évoquer qu’en 2024, les projecteurs se sont braqués sur les femmes. Car si depuis le mouvement #MeToo, le cinéma voit ses réalisatrices (encore trop peu nombreuses) et actrices prendre peu à peu la place qu’elles méritent, cette année aura su accoucher de films aux revendications féministes bien réelles (comme Love Lies Bleeding , Mi bestia ou encore le remake d’Emmanuelle) rappelant que les femmes ne cessent de payer les pots cassés du patriarcat… Tout s’est d’ailleurs accéléré lors de la 77e édition du Festival de Cannes, avec la Palme d’or Anora où son héroïne travailleuse du sexe n’a pas peur de la bagarre pour se débrouiller dans l’Amérique modeste, le Grand Prix All We Imagine as Light avec ses trois personnages féminins en recherche d’émancipation alors que les carcans emprisonnent les femmes en Inde, le Prix du scénario The Substance dans lequel l’obsession des hommes cis blancs pour la jeunesse se reflète sur les femmes de plus de 50 ans (invisibilisées du star-system) forcées de jouer le jeu de la séduction, le doublement primé (Prix du jury et Prix d’interprétation féminine collectif) Emilia Pérez qui regarde les femmes se relever du déterminisme social, et le Prix spécial Les Graines du figuier sauvage qui sèment celles du mouvement iranien « Femme, Vie, Liberté » dénonçant l’oppression du Régime.

All We Imagine as Light
« All We Imagine as Light », trois femmes solidaires porteuses d'un nouvel espoir.

LES FILMS QUI T'ONT MARQUÉ CETTE ANNÉE

Si The Substance, la fable noire féministe qui assume pleinement sa part comique dans sa quête de beauté éternelle menant au body horror, Civil War, le road trip dystopique sur la couverture des conflits qui lance un avertissement à une humanité minée par les divisions, City of Darkness, la bombe d’énergie adaptée d’un manhua qui rend hommage au ciné HK de l’âge d’or, La Morsure (voir notre interview de Romain de Saint-Blanquat), le teen-movie qui se cherche avec intelligence  en convoquant tout un pan du cinéma vampirique, et Godzilla Minus One, le grand film de monstre à échelle humaine qui retourne aux sources de la saga en parvenant à humilier le MonsterVerse hollywoodien, auraient très bien pu prôner ici-même, j’ai décidé de mettre en avant cinq autres œuvres prouvant que l’année 2024 a brillé dans sa diversité…

The Substance
Vomissant le strass du jeunisme hollywoodien, la Reine « The Substance » s'est imposée dans un geyser de sang proprement cathartique.

Qui dit l’année cinéma des femmes, dit forcément Furiosa: Une saga Mad Max et sa colère féminine tout moteur hurlant. Continuant de décliner ses obsessions tout en se réinventant une 5e fois, la mythique saga Mad Max débutée dans les années 80 reprend sa route dans le Wasteland de Fury Road, en construisant un monde superbement vaste et des enjeux émotionnels autrement plus profonds. Et s’il ne renouvelle pas le trip motorisé à la vélocité folle de son aîné, à raison au vu de l’ouverture de ses horizons, ce péplum mythologique post-nuke découpé en plusieurs chapitres est tout aussi généreux dans tout ce qu’il propose, même s’il laisse sur le bas-côté certaines pistes narratives. Plastiquement superbe malgré une étrangeté numérique plus marquée que par le passé, il faut dire aussi que la mise en scène favorise de furieuses envolées à la précédente métronomie du montage, il suit une magnétique Anya Taylor-Joy dans sa vengeance viscérale contre un magnifiquement pathétique Chris Hemsworth… Non sans croiser de virtuoses scènes d’action motorisées parvenant une nouvelle fois à se démarquer de ses prédécesseurs. Quand Ben-Hur visite le garage de Mad Max 2l’Homère australien continue d’écrire sa légende où le jardin d’Eden brûle avant que l’Apocalypse ne se termine dans le silence. À 79 ans, il n’est visiblement pas prêt de lever le pied !

Furiosa: Une saga Mad Max
« Furiosa: Une saga Mad Max », soyez témoins d'un anti-masculinisme vrombissant !

Présenté à Cannes en 2023 mais distribué sur notre territoire en tout début d’année, l’obscène tranquillité de  La Zone d’intérêt fut un immense choc. À la lisière de l’insoutenable, cette œuvre sensorielle sur l’indicible de l’Holocauste dans laquelle Jonathan Glazer nous fait côtoyer la banalité du mal, sonde notre propre rapport à l’Histoire pour que l’indifférence croissante due aux années cesse. D’une puissance confondante avec sa mise en scène géométrique tatillonne (qui ne montre presque rien), ses personnages à la sérénité proprement effroyable et son récit évocateur (librement adapté d’un roman de Martin Amis), cette vraie leçon de cinéma sur la mécanique de la déshumanisation s’impose comme un inconfortable huis clos engendrant un malaise profond. Les génocides (suivez mon regard) doivent cesser !

La Zone d'intérêt
Dans « La Zone d'intérêt », un coin de paradis cache l'horreur de la Shoah au fond du jardin.

Mentionné plus haut, le conte des laissés-pour-compte Anora n’aura pas volé sa Palme d’or (c’était aussi la mienne). Car avec un cœur gros comme ça, cette déconstruction du rêve américain (avec ses mioches dégénérés) où l’esprit des frères Coen emménage chez les Safdie, est un anti-Pretty Woman furibard qui débute comme un conte de fées trivial avant de virer au road-trip drolatique. Sensible, jouissif et enivrant, ce portrait étonnamment touchant d’une véritable bad ass (interprétée par la formidablement énergique Mikey Madison) s’impose comme le meilleur film de son réalisateur indé.

Anora
« Anora » brise le mirage hollywoodien.

De loin le film le plus vicieux de l’année, When Evil Lurks (voir notre interview de Demián Rugna) est un petit tour de force venu d’Argentine qui a fait sensation lors du 31e Festival de Gérardmer avant de tâcher les écrans français. Alors que les églises sont mortes depuis longtemps, cette possession démoniaque qui se répand telle une maladie infectieuse fête l’avènement de la ”fin du monde” en faisant un grand carnage à l’échelle grandissante. Traumatique et jusqu’au boutiste (elle n’épargne personne), cette œuvre horrifique sournoise aux relents macabres fulciens et à la fatalité inéluctable joue sur une peur imprévisible… À mille lieux donc des facilités ressassées d’un genre rincé depuis L’Exorciste. Quand le mal naît, la nature meurt !

When Evil Lurks
L'épidémie démoniaque de « When Evil Lurks » fait passer la COVID-19 pour un rhume des foins.

Plébiscité par la critique et largement récompensée dans le monde de l’audiovisuel (déjà 32 récompenses et 40 nominations à travers divers festivals et cérémonies internationales), le génial thriller musical Emilia Pérez s’est imposé comme une œuvre majeure de l’année 2024. Attendu que sur un sujet casse-gueule, Audiard a fait son coming out ciné avec cette comédie musicale transgenre sur fond de cartels mexicains éblouie par la fougue du trio SaldanaGascónGomez. Et quand il aborde, non sans laisser vivre des numéros exaltants à la grande diversité musicale, les tragédies du Mexique (les disparitions et les féminicides), c’est pour mieux parler du féminin au travers de trois portraits de femmes aussi poignants qu’éclatants. ”Changer de corps, c’est changer le monde”.

Emilia Pérez
« Emilia Pérez », une transition de cinéma qui regarde les hommes tomber.

L'INJUSTICE DE L'ANNÉE

Je me permets un petit hors-sujet (quoique !?) pour livrer mon ressenti sur la vague de préjugés, de propos haineux et de “negative review-bombing” qu’a reçu en pleine figure la série Star Wars The Acolyte (ni la meilleure ni la pire parcourant l’univers de George Lucas sur Disney+). Des attaques sur fond de racisme et de misogynie menées par des fanatiques hyper-conservateurs (ou pour certains, disons plutôt nostalgiques d’une époque forcément fantasmée) ayant jugé le projet de Leslye Headland trop “woke”. Une malveillance en ligne parfaitement symptomatique de la doctrine d’anti-fans (des fans préférant parler de ce qu’ils détestent plutôt que de ce qu’ils aiment) frustrés aux raisonnements aussi futiles que superficiels. Le problème à aujourd’hui, en plus de se cacher derrière un jugement critique de “spécialiste” pour déverser leur haine des femmes (dans le cas des masculinistes surreprésentés) et de se délecter à danser sur les tombes de tous ceux dont les œuvres ont flopé, c’est qu’ils semblent contrôler les décisions des producteurs. Pour preuve, la mise en place à venir par les studios hollywoodiens de groupes rassemblant des “super fans” de franchises comme Star Wars ou Harry Potter, pour essayer d’éviter des choix polémiques sur de nouveaux projets. À n’en point douter, une décision catastrophique pour la créativité.

The Acolyte
Victime d'un fandom toxique, la saison 2 de la série « The Acolyte » a été annulée alors même qu'elle explorait la période inédite de la Haute République.

LE FILM D'ANIMATION DE L'ANNÉE

Si l’animation américaine n’a pas trop démérité cette année avec sa crise d’adolescence Vice-versa 2 et sa conscience écologique Le Robot sauvage, c’est bel et bien l’animation japonaise qui est sortie victorieuse avec Le Garçon et le Héron. En effet, bien plus qu’un simple animé, cette œuvre testamentaire signée Hayao Miyazaki (son 12e long) est un profond recueillement métaphysique sur la nature de l’existence, l’interconnexion et la quête de sens. Un voyage introspectif guidé par le deuil qui, tel Alice au pays des merveilles, déploie ses ailes (non sans mélancolie) dans un monde onirique pour contempler les mystères de la vie, de la mort et de l’univers tout entier. Un opus visuellement majestueux et philosophiquement vertigineux.

Le Garçon et le Héron
« Le Garçon et le Héron », l'œuvre gigogne humaniste d'un Miyazaki au sommet.

LA DÉCEPTION DE L'ANNÉE

Pour éviter de faire des jaloux en cette fin d’année 2024, deux grosses déceptions… L’une française, l’autre américaine. À ma gauche, l’immense gâchis Le Mangeur d’âmes. D’après le roman d’Alexis Laipsker, ce polar poisseux sur fond de meurtres et de disparition d’enfants est aussi mal ficelé qu’archi-raté. Mise en scène télévisuelle, jeu d’acteur risible, incohérences à la pelle, situations grotesques, dialogues sans aucune crédibilité et invraisemblances procédurales viennent de fait polluer la scène de crime (glauque à souhait). Allumez plutôt votre TV pour retrouver la série policière à succès « Meurtres à… ». 

Le Mangeur d'âmes
« Le Mangeur d'âmes », l'incomestible version Wish des « Rivières pourpres ».

À ma droite, SOS Fantômes: La Menace de glace. Alors que SOS Fantômes: L’Héritage avait réussi a apporter un vent de fraîcheur à la saga, cette Menace de glace en panne d’inspiration (à un détail scénaristique près) nous sert du réchauffé dans un trop-plein de nostalgie qui étouffe la flamme (re)naissante. Reste une petite actualisation écolo opportune, de jeunes protagonistes sympathiques, un humour bon enfant qui fait sourire, des visuels plaisants même si passe-partout et une relation interdimensionnelle mignonnette (la seule nouveauté de cet opus).

SOS Fantômes: La Menace de glace
Dans « SOS Fantômes: La Menace de glace », l'élan créateur est aussi gelé que la ville de New York.

TES ATTENTES POUR 2025

Alors que les grosses machineries vont se bousculer en 2025 (suite aux nombreux reports imputables à la grève SAG-AFTRA de 2023), j’ai bien envie d’accorder ma confiance au film sur la F1 pour de la course automobile en IMAX, à la suite tardive 28 ans plus tard par Danny Boyle himself, au Superman de James Gunn (à la tête du nouveau DCU), à l’ultime mission de Tom Cruise dans Mission: Impossible – The Final Reckoning, au soft reboot TRON: Ares avec Jared Leto, à la nouvelle adaptation du roman Running Man qu’Edgar Wright promet plus fidèle à la précédente version, au développement de la franchise Universal Monsters avec Wolf Man (par Leigh Whannell, déjà derrière Invisible Man) et à Avatar: Fire and Ash, le troisième film de la série de SF de James Cameron. Pour ce qui est de Jurassic World: Renaissance, j’y jetterai un coup d’œil curieux pour son réalisateur Gareth Edwards (le Godzilla de 2014, Rogue One, The Creator), la saga s’étant perdue dans le Crétacé de la nullité avec l’escroquerie Jurassic World: Le Monde d’après. Autres temps forts espérés, la comédie de SF Mickey 17 de Bong Joon-ho (The Host, Okja), le thriller d’espionnage The Insider signée Steven Soderbergh, le biopic musical Better Man sur l’icône pop Robbie Williams (représenté par un chimpanzé en CGI) et surtout The Brutalist, l’épopée américaine en deux parties (séparées par un entracte) tournée en pellicule VistaVision 70 mm.

Tron: Ares
En 2025, les superproductions US vont-elles reprendre des couleurs ?

Découvert cette année au Festival de Cannes, je ne saurais trop vous conseiller le bouleversant Black Dog dont la sortie est prévue pour le 05 mars 2025. Puisque dans une Chine en ruines, alors qu’un jeune homme adopte un chien errant, la charge contre le régime menée par son réal montre les réalités d’un pays déliquescent où, (très) loin de son image vendue à l’international, tout n’est qu’apocalypse… Ou presque. Et c’est là, au sein de décors singuliers (sublimés par une incroyable photographie sablonneuse) qui semblent parfois sortir d’un Mad Max, que l’incongru surgissant des décombres va animer une histoire de survie peuplée de magnifiques marginaux. Car plus que tout, telles ces deux créatures meurtries qui se reconstruisent sur le même chemin, il ne faut jamais renoncer et croire en un avenir (peut-être) meilleur. Trouvera-t-il sa place dans mon bilan ciné 2025 ? Réponse d’ici un an !

Black Dog
« Black Dog », l'animal social de 2025 ?

Bilan de Guillaume Lopez

TON REGARD SUR LE MONDE DU CINÉMA EN 2024

J’adore les propositions cinéma de l’année 2024, les pépites apparaissent à qui veut bien les chercher. Un petit ciné peut cacher de grands films, et ce, même en province : quel bonheur d’avoir vu City of Darkness (lire notre critique) à Grenoble. Cette note positive déteint avec le manque de succès de blockbusters qui méritaient pourtant tous les honneurs en essayant des choses nouvelles. Inutile de cacher ma frustration, le choc d’un bide comme Furiosa à contrario d’un Godzilla X Kong me fait perdre tout espoir au retour du bon goût. Mais peut-être diriez-vous la même chose en voyant ma sélection de l’année ?

LES FILMS QUI T'ONT MARQUÉ CETTE ANNÉE

The Substance

Provenance : France | Réalisatrice : Coralie Fargeat | Date de sortie : 6 novembre 2024 | Critique à lire ici

La lutte de la vieillesse contre la jeunesse, un sujet sur lequel je reviens plus loin dans un autre film de cette sélection. Mais si cette thématique m’intéresse grandement, ici le propos est souligné, surligné, et entouré par son visuel très organique, qui suppure de douleur à en faire évanouir un Cénobite. Tout le monde cite David Cronenberg pour le côté body horror, à raison, même si je vois dans cet amas de chair quelque chose de très Akira : aller contre les règles et subir la punition du corps. Évidemment j’ai adoré ! Hommage à Carrie, Shining, j’ai aussi pensé au cinéma bis avec Basket Case et Frankenhooker, le film est autant jusqu’au-boutiste que grotesque, c’est comme se marrer avec une envie de gerber.

Elisabeth interprétée par Demi Moore est une star du petit écran, mais le temps passe et ne représente plus qu’une image de beauté en désuétude dont le star-system veut se débarrasser. Pour échapper à sa retraite, Elisabeth veut à tout prix retrouver sa plastique d’antan quitte à vendre son âme au diable. Impossible de faire impasse sur la méta du film, donc à l’actrice et sa carrière, on se rappelle alors de Ghost, Striptease, À armes égales ou encore Charlie’s Angels, il était grand temps qu’elle confirme sa place d’actrice incontournable, et dans ce film aux allures d’épisode des Contes de la crypte, Demi Moore crève l’écran grâce à sa magnifique performance. Ah ! Et je suis tout aussi impressionné par Sue, incarnée par Margaret Qualley ! Quel jeu et quel charme, rien de pire que de voir un idéal féminin s’effriter de la pire manière qu’il soit ; même Dorian Gray aurait eu de la peine pour elle.

City of Darkness

Provenance : Hong Kong | Réalisateur : Soi Cheang | Date de sortie : 14 août 2024 | Critique à lire ici

Je pense à la série Like a Dragon: Yakuza (2024), l’adaptation catastrophique du jeu vidéo du même nom produite par Amazon. Et je me dis que City of Darkness est sans aucun doute la meilleure adaptation cachée des jeux de la licence de Sega. City of Darkness est un film crépusculaire : grâce à la citadelle de Kowloon, j’ai cru me perdre dans la méga structure des mangas cyberpunk de Tsutomu Nihei. Un labyrinthe qui semble infini, avec des tuyaux et des câbles de partout. Si on me demande quel est mon personnage préféré du film, je réponds « la ville », sans hésitation. Les lascars du film sont des combattants au style de combat spécifique. On a ce côté manga des années 90, qui vacille entre arts martiaux surréalistes et furyo ou chacun respecte un code d’honneur. Au croisement de Yū Yū Hakusho et Racaille Blues se trouve City of Darkness.

J’évoque la ville, mais les personnages sont écrits d’une main de maître Soi Cheang dont l’émission Raging Fire Club pourra mieux que quiconque expliquer la magie de ce réalisateur fou comme les valeurs de la transmission comme thématique. Le film est porté par des bastons explosives et décomplexées pour maintenir un rythme effréné. Il ne m’en faut pas plus pour le qualifier de chef d’œuvre du cinéma d’action. Une leçon de mise en scène où chaque séquence d’affrontement met en valeur les talents d’acrobate des acteurs mêmes les plus loufoques. Hommage aux films HK d’avant la rétrocession, City of Darkness représente l’adage « entre tradition et pétage de dents mérités » (oui je l’ai inventé).

MaXXXine

Provenance : Etats-Unis | Réalisateur : Ti West | Date de sortie : 31 juillet 2024 | Dossier sur la trilogie à lire ici

Avant d’évoquer le film en question, j’aimerais revenir chronologiquement sur cette trilogie d’un seul et même réalisateur que j’apprécie énormément : Ti West. X sorti en 2022 est une perle du cinéma d’exploitation, un hommage à peine caché de Massacre à la Tronçonneuse, véritable foutage de gueule érigé contre le puritanisme hypocrite de la grande Amérique (d’ailleurs le film porno dans lequel va jouer Maxine s’appelle La Puritaine 2).

X nous montre la décadence de la fin des années 70, la graine du vice qui pousse dans l’esprit de la jeunesse, engendrant un monde de frustration dont un couple âgé en seront les héritiers. Les amants retraités sont les méchants du film, symbole du rêve américain brisé, cloîtrés dans leur ferme : la prison de leur désillusion. Façon Airbnb, ils accueillent un groupe de jeunes dans leur seconde résidence, venu pour tourner un boulard, un tournage dont les retraités n’ont pas été informés. Dans ce groupe d’actrices et d’acteurs, on retrouve Maxine, jeune femme cocaïnomane qui vend son corps à son petit ami, un réalisateur de film pour adulte. Prête à tout pour exister, Maxine veut briller dans le star-système qu’importe la morale conservatrice des religieux américain, mais les propriétaires ne vont pas voir ça du bon œil. Transformant l’aventure en un jouissif slasher. Pourquoi X est un film extraordinaire ? Parce qu’on assiste à des confrontations de morales opposées et générationnelles. Les vieux veulent éradiquer la jeunesse comme seule réponse acceptable pour combler leur frustration avec pour objectif de tuer le réalisateur de film de cul et éliminer la décadence. Les vieux amoureux seraient-ils les plus purs ? Les plus sages ?

 

Pearl
Pearl (2023) - Meilleur générique de fin ?

Sauf que.… Pearl est un préquel sorti la même année que X (2022) qui revendique le contraire. On pourrait revenir sur la performance de Mia Goth, une actrice épatante qui joue parfaitement la jeunesse de Pearl, soit la vieille femme du film précédent, et qui interprétait également Maxine. Le fait d’avoir une actrice qui incarne à la fois l’héroïne d’un slasher, et sa Némésis dans son préquel est un choix judicieux tant les personnages représentent les mêmes tares obsessionnelles de la course à la célébrité. Et en effet, Pearl est une jeune femme dont ses capacités artistiques se bercent d’illusion, jusqu’au jour où elle se confronte à l’épreuve impitoyables du casting..

Pearl nous montre que la pornographie existait déjà en 1918 avec des films pour adultes dévoilés par le projectionniste cinéphile dont Pearl s’amourache par curiosité et peut-être même par intérêt. Ainsi, être célèbre, « vouloir la vie qu’on mérite » n’est pas une problématique contemporaine, la dégénérescence de la jeunesse n’est qu’un fardeau qui traverse toutes les générations.

C’est sa conception du monde fictif, l’alternative à la réalité, qui fait de Pearl le chef d’œuvre spectaculaire de la désillusion. L’héroïne doit renoncer à sa condition de femme de foyer, cette vie de fermière qui l’ennuie, pour devenir artiste. Mais accéder le statut de comédienne est un privilège réservé à très peu d’élus. Pour monter les marches de la célébrité, on doit se mettre en difficulté et se confronter aux chasseurs de tête. Pour se revendiquer comme la perle rare du cinéma il faut que des professionnels nous reconnaissent comme telle. Pearl n’a que sa conviction comme argument, et la mesure erronée de son talent pourrait la faire tomber de haut. La jeune femme trouve l’exutoire de ses frustrations par le sexe et le meurtre, et si l’illusion de son personnage la dépasse, le monologue final transcende le propos du film. Pearl ne pousse peut-être pas les portes de la célébrité, mais Mia Goth, l’avatar de la réalité, est bel est bien de l’autre côté.

Entre The Substance et MaXXXine, l'image du grand Hollywood est défigurée au scalpel.

Est-ce que les efforts et la persévérance peuvent conduire au succès ? C’est la question que pose enfin MaXXXine, la suite directe de X, ou le film de la dernière réponse. D’un point de vue purement technique, c’est le film le plus abouti en terme de décors, de plans et de jeu de caméra, chaque séquence raconte et souligne sa référence : d’abord Psychose et cette éternelle salle de bain, mais aussi Breaking Bad avec Giancarlo Esposito, alias « Gus », mais aussi Showgirls ou Ave, César avec cette critique d’Hollywood. 

MaXXXine est une claque de cynisme qui frôle l’indécence. Maxine (toujours interprétée par Mia Goth) est une star du porno qui enchaîne les castings jusqu’à décrocher un rôle pour un film d’horreur qui la ferait devenir la star qu’elle pense être. Pendant ce temps, un tueur sévit dans la ville et réveille ses traumas passés. Maxine est une héroïne touchante et jusqu’au-boutiste, en parfaite opposition au personnage de Torres, un flic présent pour souligner la caricature d’un virilisme acerbe et dépassé qui ne fait qu’échouer dans chacune de ses interventions, la moindre de ses actions fait fuir Maxine. Une critique de l’homme ignorant sur la femme en détresse, ainsi le flic n’est jamais montré comme un héros.

Quand le film s’adonne au discours moralisateur de la rédemption, on assiste à une scène surréaliste : un gunfight entre forces de l’ordre et prêtres d’une secte en lien avec notre héroïne. Comme si le film se transformait en jeu vidéo façon shooter de salle d’arcade. Maxine quant à elle, doit rompre les liens avec son présumé tueur pour briller enfin. Mais rien ne se passe comme prévu et l’illusion ne marche pas. Tout n’est que chimère. Une sorte de Mulloland Drive avec plus de sang pour résumer.

MaXXXine propose au spectateur de choisir la version qu’il désire. D’un côté, Maxine est une star, après tout, devenir célèbre après être passé par le porno est courant. De l’autre, le choix de la désillusion : Maxine a échoué, tout est question de chance, même avec du talent, même avec du travail. J’ai ri, j’ai frémi, c’était jouissif comme pas permis. Sans conteste, une de mes trilogies préférées du cinéma. « I will not accept a life I do not deserve. »

Nosferatu

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Robert Eggers | Date de sortie : 25 décembre 2024 | Critique à venir

Comment éprouver le frisson avec un personnage de fiction présent dans mon esprit depuis mes premières années de vie. La figure vampirique est partout, de carnaval à Halloween, du cinéma à la télévision, n’importe quelle œuvre en mouvement fait référence à la créature emblématique du cinéma. Il y en a pour tous les âges, je pense à mon enfance devant le dessin animé Draculito, mon saigneur, je pense à toi aussi The Monster Squad film de Fred Dekker, une sorte de Super Smash Bros des films de monstres. Au-delà de mes souvenirs de mon plus jeune âge, me viennent à l’esprit les films de Mr. Vampire, la Ghost Kung-fu Comédie qui illustre des jiangshi toujours plus drôles, et quoi de plus facile que de se moquer de cette créature caricaturée en long en large et en jugulaire ? On en a vu des œuvres où le suceur de sang n’était qu’un moyen de rire, le rendant presque inoffensif, aucun vampire n’a pu faire peur à Buffy qui pouvait éliminer avec classe ses monstres nocturnes comme de simples mob de jeux vidéo. En parlant de style, je fais la connexion avec Blade, le précurseur du super-héros en cuir avant que ça soit la mode avec Matrix, sauf que là encore, c’était un gentil vampire.

A gauche le Dracula de Coppola, à droite le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher.

Pour trembler devant un film de canines qui fait froid dans le cou, il faut revenir au film définitif dont je ne jure que par lui depuis mon premier visionnage : Bram Stoker’s Dracula de ce bon vieux Coppola, histoire d’amour qui me fascine encore aujourd’hui. Mais 1992 c’est loin. On a bien eu des tentatives de résurrection de la créature sous sa forme la plus séduisante avec la série Dracula sur Netflix en 2020, réalisée avec plus ou moins de maîtrise avec parfois même de bonnes idées. Mais difficile de se sustenter avec les restes d’un Vlad Tepes si peu original. Reste l’option de dépannage, certains diraient la meilleure : le visionnage de classiques comme Le Cauchemar de Dracula, mais si je peux applaudir les qualités techniques et d’écriture de ce long-métrage, je ne peux pas prétendre à l’effroi pour un vampire de 1958.

Lorsque j’ai découvert la bande annonce de Nosferatu, j’aperçu l’espoir d’un vertige : la photo me plaît, les acteurs me plaisent, je veux voir ce film. Enfin à l’affiche, je me précipite en salle pour déballer ce qui est sans aucun doute, mon plus beau cadeau de Noël. Sur la défensive, je vis Nosferatu comme un Dracula de Coppola grisâtre. Je suis outré de voir encore et toujours une histoire qui ne s’éloigne jamais de ce foutu voyage jusqu’au château du Comte déshydraté. Puis vint le moment des tsiganes et leurs rites, et surtout ce carrosse cauchemardesque qui emporte Thomas Hutter sur les terres du diable en personne, succession d’événements horrifiques et de tableaux vivants de Caspar David Friedrich à couper le souffle. Enfin la rencontre, la créature apparaît ou presque, sa présence dans l’ombre étouffe, la caméra ne dévoile jamais le visage du seigneur du mal laissant le spectateur seul avec le jeu d’acteur d’Orlock, sa diction confère les plus sombres ténèbres.

Le romantisme noir traverse l'oeuvre de Caspar David Friedrich. A gauche, « Rivage avec la lune cachée par des nuages (Clair de lune sur la mer) », 1836. Huile sur toile, à droite, « L'abbaye dans une forêt de chênes », 1809.

Quelques sueurs froides plus tard, plus rien ne peut m’empêcher d’être fasciné par le monstre et son design unique. Métaphore du vice, vision de l’appétit sexuel où le malin s’immisce dans les rêves d’une jeune femme, Ellen, laissant le mal entrer dans ses songes lorsqu’il y est convié, procurant plaisir et terreur nocturne. En résulte un amour insatiable pour son conjoint Thomas, un manque qui la ronge, attirant le mal à elle, des convulsions proches d’une possession où son entourage ne voit plus qu’en elle maladie et faiblesse psychologique. La maladie, sujet omniprésent du film, sert l’enquête d’un duo de médecins aux pratiques divergentes, là où la science et l’occulte se confrontent délivrant un Willem Dafoe prodigieux. Le film embrasse son propos lors de la séquence finale, un art du cadrage et de symbolisme pétris de mélancolie. Je suis sorti du film amoureux de sa poésie, je peux croire de nouveau au mythe du vampire qui rend les salles obscures effrayantes. Un chef-d’œuvre est né.

Furiosa

Provenance : Australie | Réalisateur : George Miller | Date de sortie : 15 mai 2024 | Dossier sur la saga à lire ici + podcast

Est-ce que je suis prévisible ? Assurément. Un podcast vidéo a déjà été consacrée au film que vous pouvez retrouver sur le site. Revenir dessus me semble assez inutile et vous connaissez mon enthousiasme pour la saga. Cependant, j’aimerais vous partager mon journal de bord de mes réactions à chaque visionnage cinéma avec les dates précises du choc émotionnel que j’ai vécu : 25/04/2024 : Vu hier soir… Et je suis toujours en train de me demander si ce n’est pas le meilleur film que j’ai vu de ma vie. 01/06/2024 : La deuxième tournée fut encore meilleure. Comment est-ce seulement possible de réaliser un tel chef d’œuvre ? 10/06/2024 : Troisième fois en salle pour Furiosa, je me prosterne, une nouvelle fois, d’admiration. J’étais accompagné d’une amie pour voir le film, elle a été soufflée par le long-métrage. Quand le générique apparaît, ces premiers mots étaient : « Chef d’œuvre ». J’ai souri, tel Jack qui observe Furiosa. 17/06/2024 : Quatrième fois en salle pour Furiosa, je ne puis me lasser de cette leçon de Cinéma. Ma fascination est totale. A noter que la salle est quasiment vide à chaque fois. Ça sent mauvais en termes de succès, mais je jouis d’une immersion totale dans le silence de la projection. 03/07/2024 : Je lui ai dit au revoir comme il se doit, avec ce dernier visionnage en salle. C’est la fête du cinéma-truc en ce moment, la salle était remplie, j’ai discuté avec des gens au pif dans la file « il paraît que le film est excellent ». C’est peu de le dire. Sayonara Furiosa. 02/10/24 : J’ai le bluray steelbook Furiosa, je peux reposer en paix !

LE FILM D'ANIMATION DE L'ANNÉE

Transformers : Le Commencement

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Josh Cooley | Date de sortie : 23 octobre 2024

Il m’était totalement impossible de concevoir le moindre intérêt pour la licence Transformers, si on ne m’avait pas sifflé à l’oreille que ce nouveau film était excellent je ne serais jamais allé le voir. N’aillant aucune base du monde des machines, si ce n’est les souvenirs flous d’un film de Michael Bay vu il y a beaucoup trop longtemps sur TF1, je dois avouer que tout n’était que découverte. Vierge de tout aprioris, je lance ce que j’estime être ma claque animée de l’année. Sur une planète de robots riche en mythologie, on suit les aventures de deux amis ouvriers qui piochent dans les mines. La fougue de la jeunesse les pousse à découvrir un monde de liberté au-delà du champ des possibles, avec son lot de révélations et de retournement de situations qui feront de cette paire de héros cybernétique, des rivaux et peut-être plus encore.

Je n’ai rien vu venir, Optimus Prime et Mégatron ne sont que des noms inconnus pour mon cerveau d’ignorant, et je ne peux appréhender ce long-métrage comme pourrait le faire les fans de Transformers de la première heure. Impossible alors de mettre en perspective le respect du lore ou des relations entre protagonistes implantées depuis plusieurs décennies dans cette licence qui, de prime abord, me semblait être une immense publicité pour jouets. Mes remarques se portent donc sur l’écriture et la technique, et pour cette dernière je ne peux qu’applaudir une telle qualité dans ses animations 3D toujours fluides, belles et lisibles, les choix de plans rendent l’action burlesque propre et toujours compréhensible, c’est plaisant tant l’aventure va à 200 à l’heure, même durant les courts flash-back le mouvement reste le mot d’ordre, peut-être qu’un peu d’introspection auraient permis de souffler dans ce grand parc d’attraction qu’est Transformers : Le Commencement.

La direction artistique offre un souffle original, balayant les productions Disney qui se ressemblent un peu toutes. A cela s’ajoute une écriture de protagonistes juste qui ne dénotes jamais qu’importe la situation, les personnalités restent cohérentes avec les différentes péripéties qui accompagnent notre duo de robots héroïques. Par la suite ils sont rejoints par d’autres compagnons tout aussi intéressants et une alchimie s’opère sans forcer, les différentes amitiés se construisent naturellement au fil de l’aventure. C’est beau, bien écrit avec une mise en scène dynamique et le film trouve le moyen d’être émouvant tout en ayant un propos sur la liberté d’une nation, vive la résistance Cybertronienne !

TA DECEPTION DE L'ANNÉE

Provenance : États-Unis | Réalisateur : Fede Álvarez | Date de sortie : 14 août 2024 | Dossier à lire ici

Ce que j’aime le plus dans l’utilisation des licences, c’est quand un auteur s’empare d’un univers pour le faire sien, Hideaki Anno avec les Shin, Keita Amemiya avec Kamen Rider et Hakaider, Mamoru Hosoda avec son One Piece, Mamoru Oshii et ses Urusei Yatsura, GITS… La liste est longue. À contrario, je déteste les licences aux mains de « réalisateurs-fanboys » qui veulent montrer qu’ils connaissent leur œuvre préférée par cœur et qui vont t’abreuver de références qui ne servent à rien : « hey t’as vu la ref ? ». Ainsi Romulus est un film que j’ai subi comme Jurassic World, ou la série Dragon Ball Super. C’est un film sans personnalité, où l’on ne s’ennuie jamais malgré le manque cruel de substance. Un melting-pot des 6 longs-métrages précédents, une fanfiction qui ravira les gens qui n’ont plus que des échos de mémoire des films originaux. Je n’aime pas vomir sur les œuvres, donc je n’en écrirai pas plus sur Alien Romulus, cependant je vous renvoie au super dossier écrit par KillerSe7ven.

TES ATTENTES POUR 2025

C’est lors d’un évènement tokyoïte célébrant les cinquante ans de la saga Space BattleShip que nous avons appris la mise en chantier d'un nouveau film chapeauté par le studio Khara et son fondateur : Hideaki Anno.

Le prochain projet de Hideaki Anno accompagné de Shinji Higuchi (jamais l’un sans l’autre), qu’il serait plaisant de retrouver ce duo sur un film Gamera (lire notre dossier) ! Mais peut-être que tout a déjà été dit sur cette tortue géante ?

Bilan d'Araxe

TON REGARD SUR LE MONDE DU CINÉMA EN 2024

Contre le syllabus et la scène du cinéma actuel

En cette fin d’année, je découvre avec joie les textes critiques de Manny Farber. Ce nom de la critique américaine, déjà oublié et surtout ignoré par le contemporain, a surgi dans mon esprit au début de l’année 2024 grâce à un autre critique auquel je rends crédit (nous sommes tous des rentiers de l’esthétique pour parler comme Céline) d’avoir écrit sur un film unique et pour avoir rappelé à ma mémoire mon ignorance. En découvrant la plume de Farber, il me vient l’idée d’utiliser son concept de « Fouillis » pour essayer de résoudre l’énigme d’un bilan à énoncer. Farber s’y était déjà attelé avec force, « virilité », et cynisme afin de critiquer les louanges d’une critique-cinéma capitonnée de toutes sortes de bourres et de fanfreluches, avide de goitres solennels dans lesquels le discours ne fait que couvrir un terrain de sa banalité topographique. Farber percevait à son époque l’effondrement d’un discours qui enterrait définitivement les « films souterrains » que le public n’était plus apte à regarder.

Il ne s’agit pas ici de reprendre un tel discours qui n’aurait que peu de sens, sauf à imaginer Farber face au cinéma actuel. En revanche, ses concepts et ses attaques me permettent de relire l’année qui vient de s’écouler et de regarder à nouveau des images qui ont marqué une mémoire perdue, la mienne, dans un flux continu d’informations. En un sens, il s’agit de trouver ici une technique de désordre digne de cette discordance que le paysage contemporain nous impose. Farber lui avait donné le nom de « Fouillis ».

Le fouillis rappelle Farber est « une masse confuse, un ensemble désordonné, une foule caractérisée par une masse d’éléments non rangés, un rebut ». Quand je regarde dans le rétroviseur ce qui a été vu au cinéma, je comprends facilement que nous, spectateurs, avons passé notre temps à rester assis et à regarder des images concoctées par une hydre à mille têtes nommée Pré-Publicité. Le Gladiator II du gâteux Ridley Scott épuise la représentation de l’histoire. L’histoire hollywoodienne étouffe comme le vieux Scott dans une naumachie aussi inutile que le parc aquatique Marineland. Todd Philipps, malade de son succès moral, essaye de penser la suite d’Arthur Fleck avec Joker: Folie à deux. Le choix de son ouverture en animation montre que le réalisateur essaye de penser enfin le problème de son icône.

Megalopolis
« Megalopolis », un film autophage ?

Malheureusement, le public aujourd’hui a tant besoin d’illusions coûteuses et de surenchère permanente dans le jeu des acteurs, la musique, la lumière, la morale. Le public voulait le Joker, Todd Philipps a voulu montrer Arthur Fleck. Rebel Moon du publiciste Zack Snyder mâche une image comme du chewing-gum et ose nous vendre la couverture de son film comme le véritable produit à consommer. Megalopolis de l’infatigable Francis Ford Coppola préparait déjà la glose de son fouillis cinématographique en imaginant les formules creuses d’une critique qui s’étouffe dans son entreglose. Le peureux Gilles Lellouche a préféré supprimer la comédie musicale de son film L’Amour ouf pour ne pas effrayer le spectateur face à son histoire follement insipide. Comme si prendre en compte « l’exigence » du spectateur relèverait d’un choix esthétique. Il apparaît plutôt comme un impératif commercial ou une nécessité publicitaire.

Enfin, l’international Français Jacques Audiard a osé jouer sur ce registre si risqué en se risquant à faire de la morale et de la politique tapageuse dans son Emilia Pérez. L’ennui – pour ne pas dire l’irritation – suscité par ces scènes de chant et de danse qui osent ne rien dire pour finalement montrer que ce parachutiste essaye de faire quelque chose. Audiard emploie une méthode pour vider de toute vie des scènes déshydratées comme du café instantané. Audiard a cherché à créer une icône, il ne reste que le clip musical. À la fin, le chant a disparu et il ne reste plus que des slogans. Si je prenais l’ensemble de ces icônes qui ont l’autorité du commentaire pour dire la morale et non la penser, je formulerais un syllabus.

Le syllabus est l’objet qu’on nous impose comme la seule image concrète par quoi et sur quoi nous devons discuter. Je le refuse car ce syllabus qui prend les contours de l’abstraction ne nous oppose qu’une barrière. Dans ce jeu de la lutte éternelle contre le syllabus, je choisis de suivre l’esprit et l’expérience de ceux pour qui la vie de la pensée n’a pas de limites. Mon désir ne peut se formuler que par la voie de la conversation, celle qui tend à tourner l’image vers l’autre, celle qui affirme l’expérience d’un sentir en se tournant vers ceux qui sentent que nous sommes des molécules agissantes dans un monde en gestation. Comme Farber, tout ce que j’ai aimé au cinéma appartient au « royaume des termites », non au paysage publicitaire.

Richard Serra, N°9, 1938.

Le royaume des termites

« L'art style termite, ver solitaire, mousse ou champignon, a la particularité de progresser en s'attaquant à ses propres contraintes, pour ne laisser d'ordinaire sur son passage que des signes d'activité dévorante, industrieuse et désordonnée. […] L'art termite est une immersion ponctuelle, sans fin ni but, comparable à celle d'un insecte, et surtout une absolue concentration sur l'effort d'isoler un instant sans prétendre l'embellir, pour oublier même cette prouesse sitôt accomplie, avec le sentiment que tout est remplaçable, et que tout peut être, sans dommage, démonté, et remonté en un autre ordre. »

L’exercice impose de se concentrer sur une seule main. Si j’en avais eu une deuxième j’aurais parlé avec joie et détour de Alain Guiraudie, de Payal Kapadia, de Rodrigo Moreno, de Miguel Gomes, de Mati Diop, de Jonas Trueba, de Kiyoshi Kurosawa, de Pedro Costa, de Joanna Arnow, de Bruno Dumont, de Todd Haynes, de Philippe Lesage et de Ryusuke Hamaguchi. Quand le temps ne sera plus à l’ère des manchots, il faudra dire et écrire que ces gens appartiennent au royaume des termites. Sans eux, l’image ne rendrait compte que d’une façon de voir, un savoir captif car au rabais.

LES FILMS QUI T'ONT MARQUÉ CETTE ANNÉE

The Substance

Provenance : France | Réalisatrice : Coralie Fargeat | Date de sortie : 6 novembre 2024 | Découvert à la première à Cannes | Critique à lire ici

The Substance de Coralie Fargeat énonce une définition de la tératologie. Seuls sont dangereux les images publicitaires, les injonctions morales, les textes radio-télévisuels, catéchistiques ou pornographiques, parce qu’ils habituent l’homme à l’irréalité. Mais ces slogans eux-mêmes, mieux vaut les lire que ne pas les lire, les regarder avec désintérêt plutôt qu’avec indifférence. Coralie Fargeat ne protège du regard ni les enfants et surtout pas les innocents, car l’innocence est faite pour être perdue. Croyons-nous que la grande industrie ait besoin d’une image idéale ? L’image qui l’intéresse est celle qui lui achète ses propres produits. Le spectateur, lui, rêve de devenir le grand acteur. Il s’en fait une idée thaumaturgique, naïvement bourgeoise. Il se rend compte alors qu’il se trouve en face de pauvres figures qui ne se différencient à peine l’une de l’autre que par une grimace sinistre, un sourire maladroitement mondain, ou une expression de ravissement angoissée.

In Water

Provenance : Corée du Sud | Réalisateur : Hong Sang-soo | Date de sortie : 26 juin 2024

In Water de Hong Sang-soo est un film flou. Comment parler d’un film mal vu ? Le mal vu est un mal dit. Il faudrait écrire mal pour dire ce vu si mal vu. L’impression du mal vu est rendue patente parce que le réalisateur rend l’image floue. Ce flou a des degrés de visibilité variable. Parfois le blanc apparaît comme une tache. Puis la caméra se rapproche de la tache pour la rendre plus visible ou plutôt lisible. En lisant la tache le blanc devient une femme. Le geste est primitif car la caméra suit ou plutôt poursuit l’apparition. Hong Sang-soo relève le cinéma dans un geste d’épure. Dans ce brouillard d’épure le cinéaste cherche son film. D’un paysage observé, le réalisateur s’accorde le droit de le reconstituer. D’abord la mer, toujours la mer. Un réalisateur trouve des conques. Puis l’errance et la dépense autour d’un projet : celui de faire un film qui n’a pas encore de scénario. Le scénario est à chercher dans les distances parcourues et dans les interstices que le flou rend visible. Les personnages de Hong Sang-soo boivent, mangent, se promènent et arpentent un paysage. Ils sont en quête d’une écriture située dans le regard. Rien ne sera jamais écrit au final. Il est plus question d’un mal vu. Ce mal vu cherche la bonne distance par rapport à l’écriture. L’écriture est devenue un geste d’observation. Alors arrive le film et le jour de tournage. L’évidence d’un paysage mal vu car parcouru se constitue. Un homme suit une femme. Il lui parle car il est étonné de son geste. Elle ramasse des conques sur la plage. Alors il regarde la mer et avance vers elle.

Eureka

Provenance : Corée du Sud | Réalisateur : Lisandro Alonso | Date de sortie : 19 mai 2023

Eureka de Lisandro Alonso. Que dire d’un film qui porte l’affirmation absolue ? « J’ai trouvé », la formule tient lieu d’exposition et surtout d’espace. Que peut-on trouver quand la recherche a déjà fait son office ? L’office ici manifeste plutôt sa recherche. Elle serait de l’ordre du sacré. Comme le sacré, il n’y a que l’inépuisable recherche de sa manifestation. Là est sa trouvaille et non son objet. Eureka commence avec l’image solaire d’un indien aux prises avec les éléments du mystère. Rapidement, le film replace cette étrangeté dans ce qui lui fait défaut. Alonso joue le jeu du western. Ce genre prend alors le pas sur cette origine de la représentation et en bloque tous les mystères. Nous assistons à l’histoire déjà connue d’un justicier dans un monde décadent et sans loi. Ce qui faisait le mystère est relégué au rang de tapisserie et de décor. Le drame semble jouer son jeu traditionnel : le père à la recherche de sa fille, la vengeance de l’un contre la violence du monde… Le drame s’épuise et ressemble à un mauvais pastiche.

De cet épuisement Lisandro Alonso en propose un écart. Ce qui a été vu, surtout déjà vu, n’est plus à regarder. Il n’est qu’un remplissage sonore, un arrière-plan télévisuel. À quoi bon regarder ce qui passe à la télé ? Il faut simplement faire passer le temps… Et puis qu’avons-nous à faire d’un drame qui a déjà trouvé la formule et qui la ressasse de manière satisfaite ? Alonso décide d’éteindre la télévision et déplace le jeu de la représentation vers un autre espace. Le protagoniste devient alors une femme, une policière indienne esseulée qui passe son temps à répondre à la radio et à une voix qui lui dit quoi faire, où aller… Ce que la protagoniste fait c’est arpenter une réserve dans laquelle se concentre une population perdue, alcoolique et condamnée à vivre un drame qui ne lui correspond pas. La policière n’a pas besoin de rendre justice, elle traverse la réserve et rend compte de la réalité d’une communauté cloîtrée dans son espace concentrationnaire.

Même le journal météo national a bon jeu de préciser que le temps qu’il fait ici ne sera jamais le temps qu’il fait là-bas : États-Unis d’Amérique. La protagoniste refuse de jouer ce jeu que le temps de la mythologie contemporaine lui a imposé. La policière ne répond plus à la radio et une jeune fille décide de partir. Cette dernière se transforme en héron et le jeu de la représentation se déploie à nouveau. Alonso nous montre que ce sont les Hommes qui ont inventé le temps. Or il affirme qu’il n’y a que de l’espace. Alonso refuse le temps d’un drame déjà satisfait, d’une représentation déjà jouée, et déplace son histoire et ses personnages là où ils peuvent être.

Jeunesse

Provenance : Chine | Réalisateur : Wang Bing | Date de sortie : 18 mai 2023

Jeunesse (Le printemps) de Wang Bing est un documentaire qui capte la main ouvrière dans les usines textiles de la Chine contemporaine. C’est le premier film que j’ai vu dans l’année 2024. Et pourtant il persiste dans ma mémoire. Je me rappelle la sensation de la distance parcourue. Celle entre moi et cette jeunesse au travail, entre moi et cette jeunesse qui s’accorde des gestes d’amour. Jeunesse rend visible des parentés hétérogènes en s’immisçant partout comme une caméra-termite. Elle s’insère dans un espace et capte les coutures à l’ombre des lumières de l’usine. Des mains manipulent des vêtements dans une cadence infernale et par moment elles s’octroient des gestes d’amitié, et des gestes d’amour. Les images de Wang Bing donnent l’impression que ce monde est plus disponible qu’il ne l’est réellement. Mais la force de ses images est de s’attarder sur ce monde.

Wang Bing filme patiemment et à bonne distance. Il s’intéresse aux choses telles qu’elles sont, à la permanence du statut quo. C’est là que l’intérêt pour le sujet rend le réalisateur complice. Il n’y a pas de dialogue entre celui qui filme et celui qui joue à être ce qu’il est. En revanche, la caméra est toujours tournée vers ce sujet et autorise le réalisateur à participer avec lui à la captation de ce qui est. L’image est incapable de créer une position morale mais elle peut la renforcer, et l’aider à s’établir quand elle commence à dessiner ce que les choses sont. Wang Bing rappelle que le vêtement est d’abord une couche textile qui adhère à la peau. Son utilité n’a rien à voir avec le besoin, elle se situe du côté de la classification sociale. Mais c’est bien le besoin qui a inventé le vêtement. En rappelant cela, Wang Bing propose de regarder ces couches textiles qui constituent une image de la Chine contemporaine.

C'est pas moi

Provenance : France | Réalisateur : Leos Carax | Date de sortie : 18 mai 2024

C’est pas moi de Leos Carax est un projet avorté d’exposition pour le centre P… La P… respectueuse n’est-ce pas. La putain une nouvelle fois. De l’avortement de qui ou de quoi ? C’est l’écriture qui guide la pensée dans un trajet en dents de scie. Leos Carax dit : « C’est pas moi ». Que faut-il comprendre à cette négation qui sonne comme une affirmation ? Un geste apophatique ? Leos Carax n’aime pas les mots pompeux. Car ils pompent la vie et la déshydratent. Pourtant c’est bien lui qui parle, comme un dieu, et qui indique par la voix et l’image qu’il est là, pas là, ici et surtout là. Mais parfois il ment, l’image montre que ce n’est pas lui et pourtant il dit que c’est lui. Il va loin le jeune homme mais il tousse comme un vieillard « Hem ! Hem ! Hem ! ».

Que c’est beau cette lanterne qui récite sa lumière de drame et de comédie. Cette lanterne est belle parce qu’elle avance dans un trajet avec ses rails pour chalumeaux. Sur le quai de la gare, Alex a encore des mots tout de travers. En chemin de fer, Leos raconte sa vie à l’envers et à l’endroit comme l’horaire qu’on peut lire. Cette lanterne est belle mais il y a ce terrible risque des vessies pour des lanternes. Alors que cherche Carax ? Parfois la ressemblance et surtout la différence. « Hem ! Hem ! Hem ! ». La toux du vieux recommence comme la mauvaise histoire déjà entendue.

Alors il revient en arrière. « Croa ! Croa ! Croa ! ». Aller et retour. Retour au travail. Travail d’un retour qui va-et-vient comme un train. Alors le cinéma se regarde à nouveau. King Vidor et la foule. Dziga Vertov et la caméra. Leos Carax et son mauvais sang. Que voit-il ? Un plan. Subjectif. Le seul. Pourquoi ? Parce que. Que cherche-t-il ? Le regard des dieux. Dieu reconnaîtra les siens. Le regard du déjà vu. Celui de la beauté polarisée comme une lumière, beauté de seconde génération, fille, mais fille née avant terme, que nous aimions de nos yeux nus, et fille un peu monstre. À relire le trajet il ne fallait, pour rendre compte de l’expérience de C’est pas moi, suivre qu’une écriture qui guide la pensée.

LE FILM D'ANIMATION DE L'ANNÉE

Le conte des contes

Provenance : Russie| Réalisateur : Yuri Norstein | Date de sortie : 4 décembre 2024

Aucun film d’animation ne m’a particulièrement marqué cette année. Je note simplement la grande déception devant Vice-versa 2. La suite a raison quand elle dit quelque chose d’autre. Là elle occupe une place vaine dans laquelle la dépression joue le rôle central. À quoi bon ? Il y a bien eu cette année de bonnes surprises notamment avec Flow et Le Robot sauvage. Si ces deux films sortent du lot, ils ne parviennent pas à relever l’animation dans un mouvement qui bouleverse le sens d’une direction. En revanche, je tenais à dire quelques mots de ma découverte tardive du cinéma d’animation du réalisateur russe Yuri Norstein.

En cette fin d’année, le cinéma de la ville a eu la merveilleuse idée de sortir la version restaurée de quatre films d’animations du réalisateur russe. L’ensemble a pour nom Le Conte des contes. L’animation traduit le sens du merveilleux. Le surnaturel se manifeste naturellement. L’image est surtout bidimensionnelle, comme une peinture médiévale, mais la perspective apparaît quand l’image a besoin de hauteur et de largeur. Dans Le Conte des contes, un jeune homme mange une pomme à côté de ses parents dont la conjugalité détruit l’innocence. Alors l’image trouve sa hauteur à défaut de trouver sa profondeur et le voici, ce jeune homme, perché sur une branche à côté des corbeaux qui veulent goûter la part de bonheur et de rêve de cet angelot : « Croa ! Croa ! Croa ! ». À entendre résonner le bruit des corbeaux, on a presque l’impression d’entendre le mot « croire ».

TES ATTENTES POUR 2025

Comment finir un bilan ? En énonçant la suite. Ce discours n’a déjà plus lieu d’être car il a déjà été écrit et c’est du déjà vu. J’aimerais que le cinéma des bourreaux arrête de détruire le cinéma des victimes. Mais ces deux cinémas coexistent. Il faut les regarder avec désintérêt non avec indifférence. Quand ils cesseront d’exister, ils seront juste de la mémoire. Peut-être est-ce la seule chose à espérer ?

Au cinéma, j’attendrai évidemment le retour de ceux qui appartiennent au royaume des termites et je regarderai avec attention le cinéma de « l’éléphant blanc » pour parler comme Farber. J’attends avec impatience le film d’Andrea Arnold Bird. La dernière image de son dernier documentaire Cow me laisse penser que son cinéma touche enfin la grâce. Elle a finalement trouvé son bestiaire. Le festival de Venise de 2024 n’a pas encore pu atteindre totalement les salles en France. Je redoute le nouveau film de Pedro Almodovar bien qu’il soit enfin auréolé d’une récompense qui le consacre. J’appréhende énormément le monument du film américain avec le film de Brady Corbet et son The Brutalist. Ensuite, il y a la suite du documentaire de Wang Bing qui sortira coup sur coup pendant l’année. Pour le reste, je verrai ce que les yeux me diront de voir et je les fermerai quand il n’y aura plus rien à regarder. Quand je ferme les yeux, je vois encore les filles du feu.

« Les Filles du feu », Pedro Costa, 2024.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

Nyctalope comme Riddick et pourvu d’une très bonne ouïe, je suis prêt à bondir sur les éditions physiques et les plateformes de SVOD. Mais si la qualité n'est pas au rendez-vous, gare à la morsure ! #WeLovePhysicalMedia

Je préfère lire les images que les regarder. J’essaie de trouver le chemin entre le bord et la marge. Au cinéma, je m'efforce de me mettre au milieu de la salle pour ne pas sentir le cadre débordé. J’accepte les dormeurs lors de la séance, ils me donnent l’impression qu'elle n’existe pas. Et j’aime bien sentir que tout cela n'est qu'une projection.

Créateur de la chaîne YouTube Hokuto No Run, spécialisée dans l’analyse de la série d’animation Hokuto no Ken. Membre de l’association Ani-Grenoble, il est l’un des organisateurs du Japan Alpes Festival, événement dédié à la pop culture japonaise. Aime par dessus tout partager sa passion, il a collaboré avec des magazines (Animascope, Animeland) et des émissions (Retrokaz, Clique - Dans la légende…), il intervient, présente et anime aussi des séances spéciales dans de nombreux cinémas.

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[…] la matière même du cinéma qui se nourrit du vivant comme nous l’évoquions dans notre bilan de l’année. Mais quand on touche à une affaire angulaire de la police moderne, les attentes sont […]

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