Tolkien (Le Seigneur des anneaux), Herbert (Dune), Asiimov (Fondation), Mézières (Valérian), Flash Gordon (Frederick Stephani, 1936), Metropolis (Fritz Lang, 1927), Le Bon, la Brute et le Truand (Sergio Leone, 1966), Ben-Hur (William Wyler, 1959)… Les œuvres, littéraires ou cinématographiques, élitistes ou populaires, ayant inspiré Georges Lucas pour créer l’univers de la saga Star Wars sont nombreuses et diverses. SF, péplum, western, polar, le démiurge hollywoodien a emprunté à tous les genres et créations l’ayant marqué pour faire de son space opera un spectacle unique et fondateur de tout un pan de l’industrie.
Le héros aux mille et un visages
Après la sortie d’Un nouvel espoir en 1977, le blockbuster – et le cinéma plus globalement – ne sera plus jamais le même. Cependant, s’il est une source à laquelle Lucas puisa sans compter, c’est bien celle du cinéma et de la culture asiatique, connue alors d’une poignée d’amateurs et de cinéphiles. Que ce soit par leurs spécificités et innovations narratives, conceptuelles, visuelles ou techniques, l’ombre des productions d’extrême orient, essentiellement japonaises et hongkongaises, planent sur la saga depuis ses débuts. Influence affirmée et revendiquée par Georges Lucas lui-même, le dialogue s’instaurant alors entre le mastodonte américain et les cultures nipponnes et chinoises est des plus intéressants à décrypter.
Il est notoire que Georges Lucas, en forgeant la trame de ce qui deviendra la première trilogie Star Wars, s’est appuyé avec application sur les travaux de Joseph Campbell (1904-1987), universitaire américain travaillant sur l’universalité des mythes. Son ouvrage de mythologie comparée, Le héros aux milles et un visage, paru en 1949, connut un vif succès et un écho retentissant dans les milieux artistiques, notamment – et même principalement- dans celui du cinéma.
La thèse de Campbell est simple : les grands mythes ayant forgé les traditions et l’identité des différentes civilisations (grecques, sumériennes, chrétiennes, orientales, etc.) participent tous d’une même structure fondamentale et racontent plus ou moins la même histoire. L’universitaire appelle ce récit matriciel le « monomythe », prenant toujours la forme d’une quête initiatique se découpant en plusieurs étapes et épreuves. Partant d’une situation et d’un environnement « ordinaire », le récit plonge peu à peu dans des mondes plus inattendus. Le héros, devant remporter un défi lui demandant courage et sacrifice, est alors conduit à une réelle découverte de lui même et de la nature des choses.
Depuis sa parution, l’ouvrage a été décortiqué et discuté, vivement critiqué et réfuté par de nombreux universitaires lui reprochant son focus exclusivement masculin et dénichant un trop grand nombre d’exceptions pour faire de la théorie du monomythe une règle générale. Néanmoins, l’ouvrage continue encore aujourd’hui d’inspirer scénaristes et cinéastes (Stanley Kubrick pour son 2001, L’Odyssée de l’espace, Les studios Disney pour Taram et le Chaudron Magique, Aladdin ou Le Roi Lion, J. K Rowling et sa saga Harry Potter, Alexandre Astier pour Kaamelott, etc.).
Si certains artistes, à l’instar de J.K. Rowling, demeurent silencieux sur la question de la résonance de leurs œuvres avec les travaux de Campbell, Georges Lucas, quant à lui, n’en a jamais fait un secret. Le réalisateur se revendique même ostensiblement de cet héritage savant. Réimprimé maintes fois, l’ouvrage de Campbell – avec l’aimable autorisation de Lucasfilms – s’offrira même la figure de Luke Skywalker pour la couverture de son édition de 1979. Lucas déclarera d’ailleurs dans une conférence de 1978 que « sans Campbell, [il] serait certainement toujours en train décrire Star Wars ». Il est indéniable, à l’analyse, que le parcours de Luke Skywalker suit à la lettre les différentes étapes du « voyage du héros » édifié dans le monomythe : l’appel à l’aventure se concrétise par l’appel initial de Leia, l’impossibilité du départ par ses devoirs envers sa famille, l’apparition du guide par celle d’Obi-Wan Kenobi, la première épreuve par la fuite de Tatooine, l’apparition du mentor par celle de Yoda, la tentation par l’attrait du Coté Obscur… et ainsi de suite.
Des avatars chinois et nippons
En revanche, Lucas tirera aussi profit d’autres sources, plus lointaines et exotiques, afin de construire son récit. En effet, si la théorie du monomythe est valable, il est alors tout à fait possible d’en respecter les grands principes en explorant et réinterprétant des œuvres réalisées sous d’autres sphères culturelles. Là encore, Lucas n’a jamais nié le fait qu’en tant que grand amateur de cinéma asiatique, et particulièrement de celui du cinéaste japonais Akira Kurosawa, c’est dans les réalisations nipponnes – mais aussi chinoises – que le créateur de génie a su trouver de nombreuses références qui seront alors parmi ses sources d’inspiration majeures.
Star Wars, et ce dès le premier opus Un nouvel espoir, transpire l’amour du cinéma japonais et lui rend à de nombreuses reprises un vibrant hommage. Lucas puise dans ce patrimoine afin de construire son scénario, dont la structure et les ressorts trouvent leur origine dans plusieurs métrages issus du pays du soleil levant. Premièrement, il est notoire qu’Un nouvel espoir contient des similitudes troublantes avec La Forteresse Cachée d’Akira Kurosawa (1958). Les deux films narrent les tribulations d’un héros (Rokurota Makabe / Luke Skywalker), accompagné de deux compagnons formant un duo comique (deux paysans querelleurs, Tahei et Matashichi, l’un grand et ahuri et l’autre petit et malin, prenant les traits de C3PO et R2D2) et d’une princesse belle et courageuse (Yukihime/Leia).
Dans les deux métrages, ce sont les personnages les plus inattendus, soit les deux compagnons burlesques, qui se révèlent être les moteurs de l’action, se déroulant pour le spectateur selon leur point de vue. Le but des intrigues respectives semblent d’ailleurs être assez identique : dans une période confuse de guerre civile, il s’agit pour les protagonistes de parvenir à échapper à leurs puissants et dangereux poursuivants et d’atteindre un territoire dans lequel ils seront hors d’atteinte de ces derniers.
S’inspirant fortement du scénario du film de Kurosawa pour écrire les premières versions d’Un nouvel espoir, Lucas s’en détachera peu à peu. Les ressemblances entre les deux, mais aussi leurs différences notables, s’expliquent donc par le fait que La Forteresse Cachée servit au départ de base scénaristique pour le cinéaste (il est d’ailleurs connu que Lucas ait pendant longtemps pensé à en acheter les droits afin d’en faire un remake).
De plus, l’acteur principal du film de 1958, Toshirô Mifune, avait été pressenti pour interpréter Obi-Wan Kenobi (l’acteur servira d’ailleurs de modèle au personnage de Qui-Gon Jinn, campé par Liam Neeson dans La Menace fantôme en 1999). Devant son refus, Lucas avait été jusqu’à lui proposer d’incarner Dark Vador, tant il souhaitait sa présence au sein de la distribution. Il avait été d’ailleurs prévu que celui-ci soit à visage découvert. Le sombre seigneur Sith aurait alors pris les traits d’un asiatique et non ceux d’un androïde, mettant encore plus en lumière l’attachement de Lucas pour les références japonaises. Hélas (ou tant mieux), Mifune refusa catégoriquement le rôle, pressentant à tort que le scénario indigent lui ayant été soumis ne donnerait naissance qu’à un énième nanar galactique.
Les filmographies de Lucas et Kurosawa ont une autre caractéristique en commun : l’utilisation symbolique de la relation maître-élève, traitée dans plusieurs réalisations du japonais (La Légende du Grand Judo, L’Ange Ivre, Les Sept Samouraïs, Derzou Ouzala…) et reprise dans Star Wars via les rapports entretenus par Luke, Obi-Wan et Yoda (dont le nom lui même est un hommage à Yoshikata Yoda, illustre scénariste japonais, né en 1909 et mort en 1991, collaborateur fétiche du grand Kenji Mizoguchi sur un vingtaine de films). Cette relation entre le mentor et son disciple, ayant pour objectif la formation d’un nouveau maître Jedi (terme dérivé de Jidai-geki, les drames historiques du cinéma japonais), a pour origine les chanbara (films de sabre japonais), mais aussi les wu xia pian et kung-fu pian hongkongais (films de sabre chinois et films de kung-fu), dont les scenarii sont très souvent construites autour de cette allégorie de la relation père-fils (Un seul bras les tua tous, La 36e Chambre de Shaolin, Drunken Master, pour ne citer qu’eux).
« Toujours par deux ils vont. Ni plus, ni moins. Le maître et son apprenti. »
Yoda, La Menace fantôme
Avant Star Wars, peu de productions américaines avaient abordé ce thème – citons tout de même Rocky (John G. Avildsen), sorti un an plus tôt, au sein duquel la relation Rocky/Mickey est un moteur essentiel du récit. C’est à n’en point douter dans le cinéma asiatique que Lucas a trouvé ses modèles, Yoda prenant d’ailleurs les traits, le caractère, le tempérament et même le costume d’un véritable sifu ou d’un vénérable sensei.
De fait, si aucun wu xia pian en particulier ne peut être mentionné comme référence scénaristique à la saga, cette dernière entretient toutefois de nombreux points communs avec le genre dans sa globalité. En effet, hormis l’incontournable relation entre le sifu et son disciple, la plupart des films d’arts martiaux chinois construisent leur récit autour de fondements narratifs précis : le conflit entre écoles de combat (Jedi/Sith), l’importance de la morale et du flegme pour être un bon chevalier, la romance ou, tout du moins, une présence féminine forte, un combat final clôturant l’initiation de l’apprenti (Luke/Dark Vador). Pris sous cet angle, force est de constater que Star Wars partage des similitudes frappantes avec les productions martiales hongkongaises, cette fois-ci adaptées sous un aspect science-fictionnel.
En revanche, si l’on retourne explorer les méandres de la filmographie nippone, les résonances se font moins abstraites. Citons, en guise d’exemple, le méconnu et inventif The Magic Serpent (Tetsuya Yamanouchi, 1966) – connu chez nous sous le titre Les Monstres de l’Apocalypse -, mélange de chanbara fantastique et de kaiju eiga (film de monstres géants type Godzilla) produit par la Toei, illustre studio producteur d’anime et de tokusatsu (film à effets spéciaux). N’ayant pas connu une sortie dans les salles obscures américaines, The Magic Serpent avait toutefois retenu l’attention de l’American International Pictures qui, après l’avoir quelque peu remonté et doublé en anglais, s’était mis en tête de lui offrir quelques diffusions télévisées dans les années 70. Nul doute que cette histoire de samouraïs et de ninja dans laquelle un jeune héros candide décide de venger son maître trahi par un ancien disciple ayant voué son âme au force du mal ait marqué Lucas, tant les similitudes avec les relations Luke Skywalker – Dark Vador – Obi-Wan Kenobi sont flagrantes. De plus, cette petite merveille gagnant à être davantage éditée, se permet un twist « je suis ton père » avant l’heure, le grand méchant se révélant être le géniteur du love interest de notre gentil chevalier, souhaitant même l’entrainer vers le « coté obscur ».
Ainsi, si les inspirations asiatiques sont fortes dans le récit et la narration, il n’en est pas moins du côté esthétique. En premier lieu chez Kurosawa, les transitions en « volets » dont Lucas a fait sa marque de fabrique avaient été déjà utilisées de nombreuses fois par le réalisateur japonais. La scène culte du coucher de soleil orangée sur Tatooine, Luke regardant vers l’horizon, est cadrée à l’identique d’un plan de Dersou Ouzala (1975). Les plans d’ouverture de L’Empire contre-attaque (1980), dans lesquels on suit les mésaventures glaciales de Luke sur la planète Hoth, rappellent certaines scènes du même film de 1975, situant son action dans une Sibérie gelée avec des plans et un découpage similaires. Pour finir, rappelons que Georges Lucas avait contribué à faciliter le financement de Kagemusaha, l’ombre du guerrier (1980) en jouant les intermédiaires entre les productions de la Toho et de la Twentieth Century Fox.
Dans la mise en scène des combats de Lucas, on voit là encore un style qui rappelle le maître japonais. D’abord, ce sont les images, le combat, qui racontent quelque chose, pas les dialogues avant. Ainsi, dans le duel entre Obi-Wan et Dark Vador (dans Un nouvel espoir) si les deux personnages parlent au début, l’émotion, elle, vient des regards. Rien n’est plus fort que l’enchaînement en quelques plans d’Obi-Wan qui voit Luke, baisser sa garde. Puis la cape et l’épée qui tombent. Autant émouvante et symbolique ce plan sur la cape et l’épée est un plan que Kurosawa n’aurait pas renié. Ce sens de la surprise sur le cut pour l’amplifier est un grand truc du réalisateur japonais.
Des combats inspirés de Kurosawa
Une des autres caractéristiques des combats chez Kurosawa, c’est la fluidité des mouvements d’appareil. Ces plans-là ont la particularité de raconter un début, un milieu et une fin claire à l’intérieur d’eux-mêmes. On peut bien le voir par exemple dans le combat entre Dark Maul, Qui-Gon Jinn et Obi-Wan où certains plans sont bien dans cet esprit. Ces plans, un peu plus longs qu’à l’accoutumé, mais avec un mouvement d’appareil fluide ont pour fonction d’être dynamiques tout en restant clairs, et de sortir de l’idée un mouvement / un plan trop communément appliqué. Cela laisse aussi voir toutes les possibilités physiques des acteurs : en un seul plan (un panorama latéral), Dark Maul esquive d’une acrobatie puis envoie avec la Force un objet sur l’interrupteur ce qui ouvre la porte que le mouvement de caméra nous à fait découvrir. Un début : l’esquive acrobatique, un milieu : la Force, une fin : la porte qui s’ouvre. Le plan est un peu plus court que ce que propose Kurosawa, mais fonctionne vraiment de la même manière, et cela arrive régulièrement dans Star Wars.
Enfin, pour les combats inspirés de Kurosawa, il est difficile de ne pas parler de la fin de l’Empire contre-attaque. Quand Luke retrouve Dark Vador pour leur premier duel au sabre laser, celui-ci est très statique, mais le mouvement vient de la fumée qui l’entoure. Là encore, cela vient du maître japonais qui adorait filmer ses personnages statiques ou semi-statiques pris dans les éléments (fumée, pluie, feu, vent) avec pour but de rendre visuelles les émotions internes du personnage par ces éléments naturels extérieurs. Lucas ne s’y trompe pas et utilise cette technique pour figurer le trouble de Luke, puis quand Dark Vador lui révélera qu’il est son père, c’est le vent qui souffle plus fort que jamais.
Tous ses emprunts à la mise en scène de Kurosawa dans l’action sont résumés et magnifiés dans le combat final entre Anakin et Obi-Wan. La lave représente la rage d’Anakin, la dramaturgie est renforcée par les éléments naturels extérieurs, les plans longs très fluides et construits sont légion, le récit du combat porté par les images et pas par les dialogues… Lucas aura donc été un padawan studieux de Kurosawa. D’ailleurs, il est à noter qu’à mes yeux, le meilleur épisode à ce jour des séries Star Wars est celui sur Ahsoka (The Mandalorian S2 Episode 5), hommage au chanbara et qui utilise la brume à merveille dans un de ses combats.
Pour rester sur les combats, les inspirations visuelles de Lucas ne viennent pas seulement de Kurosawa, mais aussi du cinéma chinois. Dès la première trilogie, si les combats aux sabres sont inspirés des films de chanbara japonais, les scènes utilisent les acrobaties pour montrer les capacités surhumaines des Jedi. Si les acrobaties au cinéma ne sont pas l’apanage du cinéma chinois (Douglas Fairbanks par exemple, dès 1920, effectue des acrobaties dans Zorro) l’utilisation qui en est faite ici vient du wu xia pian (Lucas avait d’ailleurs un moment pensé à faire appel à Sammo Hung pour diriger les chorégraphies de L’Attaque des clones).
Pour revenir à la naissance des acrobaties dans le cinéma d’arts martiaux, cela vient des représentations de l’Opéra de Pékin qui mélange danse acrobatique, arts martiaux et théâtre. Si les acrobaties n’ont rien d’efficaces du point de vue martial, elles sont une stylisation extrême du mouvement et sont là pour prouver les capacités physiques exceptionnelles de ceux qui les effectuent. Dans Star Wars, elles permettent de montrer les progrès effectués par Luke dans son affrontement avec Dark Vador (L’Empire contre-attaque) : Dark Vador jugera alors que Luke est devenu un Jedi (donc un surhomme). Et c’est dans Le Retour du Jedi que Luke effectua le plus d’acrobaties montrant qu’il est enfin devenu un vrai Jedi.
Cette stylisation extrême du mouvement qu’est une acrobatie n’est pas des plus simple à mettre en scène : comment la cadrer, comment faire en sorte que le spectateur ne voit pas que l’acteur est remplacé par un cascadeur, l’utilisation de câble, de trampoline, etc. Les films américains par exemple ont souvent cadrés trop serré et ont découpé en plusieurs plans les acrobaties quand le cinéma chinois des années 70 a souvent utilisé des plans plus larges et souvent en contre-plongée pour magnifier le mouvement.
Lucas, en connaisseur du cinéma asiatique qu’il est, va, dans les six premiers films Star Wars, reprendre la mise en scène typique chinoise. Le paroxysme étant La Menace fantôme où le personnage de Dark Maul (interprété par Ray Park, ancien champion du monde de Wushu) effectue de nombreuses acrobaties, toujours filmées en plan large, souvent en contre-plongée. De plus, son style de combat n’est pas un hommage au chanbara comme les autres Jedi et Sith, mais bien aux arts martiaux chinois et plus particulièrement au wushu gun (combats avec un bâton). Dans les épisode suivant, les CGI interviendront pour amplifier les acrobaties tout en les gardant lisibles.
Il est à noter d’ailleurs que cette stylisation des combats (venue du wu xia pian) et les acrobaties qui en découlent, dans le cinéma américain explosent à ce moment-là. Entre 1998 et 2000 sortent en salles aux États-Unis Blade, Matrix, La Menace fantôme, Tigre et Dragon… Et Lucas, encore une fois, n’aura pas loupé le train et aura même été en avance !
Les batailles spatiales et Battle in Outer Space
Autre influence majeure de la saga concernant cette fois-ci les batailles spatiales : le désormais culte Battle in Outer Space (1959) réalisé par Ishirô Honda, grand ami de Kurosawa et créateur du mythique Godzilla (1954). Cette production de la Toho, distribuée par Columbia Pictures aux Etats-Unis en 1960 sous la forme d’un double long métrage – y fut adjoint le film SF en noir et blanc de Fred Gebhart 12 to the Moon – lequel fit indubitablement un grand effet sur Lucas. En effet, ce petit bijou de science-fiction aux effets spéciaux très convaincants pour leur époque, narrant la lutte d’une humanité unie malgré sa diversité contre un envahisseur extra-terrestre, préfigure Star Wars sur bien des aspects.
L’illustre artisan Eiji Tusuburaya (Godzilla, Ultraman…) démontre ici tout son savoir-faire en matière de maquettes et de matte painting (techniques que Lucas utilisera aussi de manière plus élaborée et moderne) pour donner vie à des séquences du plus bel effet. Les gunfights au rayon laser ou les batailles spatiales dans lesquelles les X-15 – avion fusée expérimental conçu aux États-Unis en 1959 – remplacent les X-Wing, affrontant une armada de soucoupes volantes accompagnées de leur vaisseau-mère, précèdent et servent de modèle aux scènes mythiques qui seront réalisées dix-huit ans plus tard. En effet, Lucas, se calant sur les dogfights filmés lors de la seconde guerre mondiale, s’inspirera aussi des scènes visionnaires concoctées par Honda et Tsuburaya.
Des décors et costumes aux airs d'Asie
Si la mise en scène est fortement inspirée de Kurosawa (surcadrage, mouvement d’appareil long et fluide, utilisation des éléments naturels pour donner du mouvement quand le reste est fixe et montrer les émotions de ses personnages,etc.) les costumes et les décors s’inspirent aussi du cinéma asiatique. Du coté chinois, impossible de ne pas mentionner La Rage du Tigre (Chang Cheh, 1971), chef-d’œuvre produit par la Shaw Brothers, qui fit manifestement grande impression sur le créateur de Star Wars. Assurément, l’amputation de Luke Skywalker est directement inspirée du personnage du sabreur manchot, figure cultissime du cinéma hongkongais, ici interprété par David Chiang. Le film de Chang Cheh joue subtilement sur la couleur des vêtements de ses protagonistes, utilisée pour refléter leur moralité et leurs états d’âme.
Si Lei Li, sabreur amputé et amoindri, arbore une tunique noire lorsqu’il est en proie au doute et à l’humiliation, c’est accoutré d’un blanc immaculé qu’il vient défier Long, machiavélique maître de sabre vêtu de noir, pour une épique confrontation finale. Cette méthode de mise en scène sera reprise par Lucas qui fera du blanc du costume de Luke Skywalker le symbole de son innocence et de sa bonté, s’opposant au noir du costume de Dark Vador. Ce même Luke, une fois devenu Jedi, en proie au doute quant à l’idée de combattre son père et tiraillé par les efforts de ce dernier pour l’attirer vers le Coté Obscur, remisera lui aussi son vêtement blanc pour un costume noir.
D’ailleurs, concernant les vêtements et les costumes, force est de constater que nombreux sont ceux qui, dans la saga Star Wars, trouvent leur origine dans les habits traditionnels asiatiques. L’accoutrement des Jedi, en particulier, renvoie directement au large kimono haori des XVIIe et XVIIIe siècles présents dans les chambara qui, ceintrés au niveau du ventre grâce une ceinture permettant la fixation d’un katana, sont portés par Obi-Wan, Yoda et Anakin. La tunique blanche, plus courte, que porte Luke dans le premier opus est elle aussi un clin d’œil aux arts martiaux nippons; notamment au traditionnel kimono blanc endossé par les judokas. Quant à l’armure de Darth Vador, comme nous l’avons déjà dit, elle fait indéniablement référence aux tuniques des samouraïs, tant par le casque kabuto voilant le visage et les sentiments de son possesseur que par son plastron (tatami-dô). Notons aussi la forte ressemblance des casques des soldats impériaux de l’Etoile Noire, de forme étroite et rallongée vers l’arrière, avec les jingasa que portaient les ashigaru (soldats d’infanterie) à partir du XVe siècle.
Même après la vente de Lucasfilms au studio Disney, l’ombre de l’Asie ne cesse de planer sur les réalisations estampillées Star Wars. En effet, comment ne pas reconnaître dans le duo formé par Bobba Fett et Grogu dans la série The Mandalorian (Jon Favreau, 2019) une référence assumée à la saga des Baby Cart ? Cette série culte de six films, essentiellement réalisés par Kenji Misumi entre 1972 et 1974, dans laquelle nous suivons les aventures vengeresses de Ogami Itto, indestructible rônin, accompagné de son fils Daigoro semble bien être le modèle sur lequel s’est basé Favreau pour construire sa série.
Aussi, comment ne pas penser au célèbre masseur aveugle Zatōichi (qui fut mis en scène dans pas moins de 27 films de 1962 à 2003, ainsi que dans une série télévisée constituée d’une centaine d’épisodes parus au Japon entre 1974 et 1979) en découvrant le guerrier malvoyant Chirrut Îmwe, interprété par la star chinoise Donnie Yen, dans Rogue One (Gareth Edwards, 2016) ? À n’en point douter, le dialogue fécond entre Hollywood et l’Asie, que Lucas a contribué a initier, n’a pas fini de vivifier la créativité des futurs continuateurs de l’œuvre de ce dernier.
En grand écart comme Jean-Claude entre l'Asie et l'Amérique, j'aime autant me balader sur les hauteurs du Mont Wu-Tang que dans un saloon du Nevada, en faisant la plupart du temps un détour dans les ruelles sombres d'un Tokyo futuriste.
Ici pour vous parler de cinéma dit « oriental », je ferai le grand écart, tel JCVD, entre Apichatpong Weerasethakul et John Woo sans claquage ni cocaïne. Mais attention, quand c'est raté, le Jackie Chan qui dort en moi risque de tout casser d'un coup de pied vengeur !
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Très intéressant cet article ! J’ai appris plein de choses. C’est chouette à deux mains aussi.
Vraiment super votre article les gars. Un écrit documenté où l’on apprend beaucoup sur les influences de la saga. Merci et bravo.
ho ptain la ref Bobba Fett et Grogu avec Baby Cart, je suis passé à coté !
[…] dans l’histoire de Disney) des licences phares sont tombées dans le giron de Disney comme Star Wars, Predator, Dead Pool, X-Men, La Planète des Singes, Indiana Jones, Avatar, Les Simpsons, etc.) […]