Tout juste sorti dans les salles, Alien: Romulus semble au moins tenir une première promesse : celle du marketing. Impossible de passer à côté du nouveau long-métrage de la saga signé Fede Álvarez tant le matraquage est omniprésent. Et s’il y a bien une chose que l’on retient immédiatement, c’est cet étrange titre. Romulus. Que diantre vient faire le fondateur de Rome dans la titraille du nouveau film Alien ? Tentative de réponse et divulgâchage en perspective…
L’histoire de cet énième Alien (septième film de la saga, mais calé entre Alien, le huitième passager et Aliens, le retour) se concentre sur Rain (Cailee Spaeny, la jeune et brillante actrice déjà présente dans Civil War). Trimant sur une quelconque lune-usine perdue dans notre système solaire, elle ne pense qu’à une chose, rejoindre une autre planète d’où l’on verrait la lumière du jour. Lorsque sa bande de potes lui annonce avoir découvert un vaisseau spatial abandonné rempli de matériel, l’idée de pouvoir décamper germe aisément dans leurs têtes. Pourtant, lorsqu’ils abordent cette énorme station décrépie scindée en deux modules – Remus et Romulus – ils vont vite se rendre compte qu’elle n’était abandonnée que par les humains…
Et dès leur entrée dans cet étrange château-fort de l’espace, une première référence visuelle apparait. Accrochée au mur, la peinture de Michel Serre, Vue de l’hôtel de ville pendant le peste de 1720 (figuré ci-dessus). Une scène d’apocalypse où le peintre baroque français se représente en auto-portrait (au premier-plan à droite, sur la barque) en train de croquer les ravages de la maladie dans la cité phocéenne.
La référence serait évidente (ils s’apprêtent à faire face à une véritable armée de Facehuggers prêts à les infecter, comme les miasmes d’une peste cosmique sur le point de les décimer) si la caméra ne zappait pas très rapidement cette peinture globale pour se concentrer sur une part infime de celle-ci : un bébé encore en vie si l’on en croit la couleur de sa peau, tétant le sein blême de sa mère morte. Une image marquante qu’il convient de questionner, mais qui fait au moins immédiatement écho au titre aux atours mythologique de l’œuvre.
Des jumeaux prétendument fondateurs de Rome – Rémus et Romulus – on retient plus volontiers une image très similaire, où la représentation de la mort prend la forme d’une louve aux mamelles opulentes. Le bébé involontairement abandonné de Michel Serre devient un duo de chérubins, tout aussi laissés pour compte et recueillis par une Canis lupus femelle, telle que représentée sur cette sculpture titrée Lupa Capitolina.
Une légende complexe dont nous n’allons pas faire la généalogie exhaustive ici, si ce n’est de rapporter que cette prétendue louve était plus sûrement une prostituée : lupa désignait en effet plutôt une péripateticienne (d’où le mot francophone « lupanar ») que la femelle du loup, mais cela aurait teinté la légende d’un peu moins de mystique… Pire encore pour la joliesse du mythe, il y a fort à parier qu’ils aient été peu ou prou les enfants d’un viol : le dieu romain du feu Vulcain serait apparu sous la forme d’un phallus à une servante qu’il aurait mise enceinte (voir l’article Mars et les Maruts de Jean Haudry). Bref, lourd passif pour ces marmots qui deviendront rapidement le symbole même de la violence, notamment par l’acte fratricide puis par la déferlante de morts entourant la figure de Romulus.
Lorsque l’on sait l’importance de la métaphore sexuelle dans la saga (en particulier dans le premier volet), on ne peine pas à rapprocher la figure de Romulus avec les évènements dépeints dans le monde Alien : la naissance d’un viol (le viol buccal des Facehuggers, très graphique dans la version de Fede Álvarez), la généalogie prédatrice, la filiation avec un dieu du feu (à rapprocher de Prométhée et donc de Prometheus)… Le vaisseau Romulus devient la matrice mécanique de la création d’une nouvelle espèce, mi-homme, mi-prédateur, issu – nous l’avons vu – d’une mamelle morte tétée goulûment dans l’une des (trop) rares scènes vraiment dérangeantes du film. Et dire que cette matrice aurait simplement dérivé dans l’espace emportant avec elle sa progéniture détraquée si Rain et ses amis n’y avaient pas mis les pieds…
Vous vous souvenez du génial Prometheus ? Ce film qui, avec Alien: Covenant, a retiré la caméra des mains de Ridley Scott pour la suite de la saga Alien par rapport à l’inquiétude toute pécuniaire du studio 20th Century ? Et bien c’est un pont direct avec ce film là que Romulus bâtit, bien au-delà de la simple référence mythologique qu’ils partagent dans leur titre. Une frise chronologique créée par le compte Horroflix propose même de resituer les films les uns par rapport aux autres, utile pour un marathon de la saga…
Car ce qui nait en fin de film, cet étrange bipède à la lisière entre l’humanoïde et le Slender Man, s’apparente aux physiques des Architectes (le bodybuilding et les protéines en moins) détaillés dans les préquelles réalisées par Ridley Scott. S’approchant de sa « mère » qui vient de l’expulser, le cauchemardesque bébé (dans une vision qui flirte avec le grotesque sans jamais y tomber, faisant enfler cette impression de mauvais rêve contagieux) propulse sa bouche-harpon vers une mamelle une fois encore morte. L’image se rejoue, convoque à nouveau cette peinture de Michel Serre et questionne une fois de plus le thème de la maternité dans une saga engluée de liquide amniotique.
Et c’est là peut-être qu’Àlvarez se prend un peu les pieds dans le tapis : à trop référencer son film dans un carcan global rappelant autant les autres films de la saga (la multiplications des clins d’œils, la répétition des gimmicks, l’adhésion aux codes du tout-venant scénaristique…), il finit par amputer à Alien: Romulus son identité propre. Du score musical au archétypes des personnages, en passant par l’histoire en elle-même, il faut bien l’avouer, Romulus n’invente rien. Pire, il en devient presque un brin oubliable, manque du panache qui entourait le gore de son volet d’Evil Dead et s’enlise dans une tiédeur (très) largement divertissante, mais un brin frustrante.
Vous l’aurez compris, à avoir accolé à Alien: Romulus tous les superlatifs, l’irréductible jeu de la promo a peut-être fait enfler des attentes disproportionnées pour un film clairement au-dessus de la moyenne du mainstream broyé et recraché par les studios, mais malheureusement un peu trop lisse. Ne préfère-t-on pas au recyclage d’Àlvarez la truculence maladroite d’un Covenant ou d’un Prometheus ? À vous de trancher. N’empêche qu’il nous offre une sacrée dose de divertissement, dopée par une multiplication de ses climax digne d’un Cameron… Ne reste alors plus qu’à attendre l’année prochaine, et la série Alien: Earth qui va s’amuser à prolonger encore un peu plus l’univers de la saga, cette fois-ci en format sériel… Affaire à suivre, ou pas !
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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