Après l’impressionnant Jusqu’à la garde, Xavier Legrand revient toujours dans le genre du thriller avec Le Successeur, qui sort tout juste en format physique. L’occasion de se pencher à nouveau sur cet impressionnant long-métrage à l’atmosphère toxique, qui confirme le talent de Xavier Legrand en tant que réalisateur.
Film de sidération
Ellias (le québécois Marc-André Grondin) est le tout nouveau directeur d’une grande maison de haute couture à Paris. S’il a depuis longtemps coupé les ponts avec son père résidant encore au Québec, sa mort des suites d’une crise cardiaque oblige le jeune homme à revenir sur ses terres natales. Les affaires de succession qu’il aura à y régler s’avèreront infiniment plus inextricable qu’il n’aurait pu se l’imaginer en partant…
Son thriller Jusqu’à la garde avait marqué public et critique. Il faut dire qu’avec Le Successeur il ne perd pas la main. S’il prend quelques temps pour installer son décor et cette histoire de jeune homme évoluant dans le milieu de la mode, le long-métrage va très rapidement prendre un tournant anxiogène à l’ambiance particulièrement réussie. Et si le spoil sera au maximum expurgé de cette critique, la sidération ressentie devant ce film ne sera que plus grande pour un spectateur qui s’aventurera dans cette lourde histoire de succession vierge du plus d’informations possibles…
Thriller héréditaire
Un symbole traverse tout entier Le Successeur, celui de la spirale. De l’affiche où elle se dessine sur le crâne chauve du personnage principal jusqu’aux pompes funèbres où un étrange escalier monte en hélice dans les étages du bâtiment, la spirale apparait également dans le défilé de mode initial et dans les récurrents mouvements de caméras circulaires.
La spirale c’est la figure géométrique intimement liée au nombre d’or, désigné en mathématique par la lettre grecque φ et censé être le parangon de l’harmonie. Présent dans la nature sur des organismes vivants ou minéraux, c’est également un motif récurrent de l’art notamment depuis l’époque de Pacioli et son bouquin illutré par Da Vinci, La Divine Proportion. De La Naissance de Vénus de Botticelli en passant par l’architecture du Corbusier, en faisant des détours par les sculptures des nus grecs, on retrouve (presque) partout cette fameuse divine proportion.
Une idée de la perfection artistique qui se reflète dans les proportions physiques, à l’image de cette galerie de mannequins défilant pour Ellias en début de film. Ultra calibrées dans leur physique presque irréel pour répondre à des canons de beauté théoriques bien plus que biologiques… Cette idée de la « perfection humaine » accolée au nombre d’or remonte d’ailleurs à Léonard de Vinci. Une piste intéressante pour un thriller centré tout entier sur un personnage ancré dans le milieu formaté de la mode et participant à la diffusion de cette imagerie quasi-morbide de la soi-disant perfection physique.
Toutefois, la spirale est également un élément central en biologie car outre les nombreuses organisations hélicoïdales naturelles (coquilles, forme d’une galaxie, organisation minérale, phénomènes de phyllotaxie…), c’est la base de toute forme de vie sur Terre qui s’organise en spirale : la double hélice de l’ADN. Et de génétique, il est décidément question dans Le Successeur...
Car si Ellias est poussé à retourner sur ses terres natales pour s’occuper de la succession d’un père avec qui il n’a plus aucun contact, ce n’est pas juste par pure obligation familiale. Certain de souffrir lui-même d’une maladie cardiaque, la cause de la mort de son paternel (un infarctus) le pousse égoïstement à creuser son origine. Lui qui a tant voulu rompre tous les liens avec son père, voilà qu’il se retrouve à nouveau intimement lié avec lui d’une manière plus insidieuse et invisible : la génétique.
Pire encore, Le Successeur va orchestrer dans ses plans une autre forme d’hérédité, plus violente encore et à laquelle Ellias n’était absolument pas préparé. Si nous ne pouvons pas en dire plus sans spoiler le visionnage pour le spectateur n’ayant pas encore découvert le film, il va sans dire que le parallèle sera évident pour celui qui se sera déjà laissé emporter par l’oeuvre de Xavier Legrand.
Le sous-sol de la peur
Pour Le Sucesseur, Xavier Legrand va s’amuser à débuter son long-métrage à bride abattue : musique éclatante, montage rythmé, regards troubles, on comprend rapidement qu’une menace ne va pas tarder à poindre malgré l’apparente banalité de ce qui se passe à l’écran (un défilé de mode). Et au fur et à mesure du film, Legrand va s’amuser à dilater cette fenêtre de jumpscare en allongeant ses plans, en coupant toute musique, en collant aux basques de son personnage principal. Haletant, le plan suinte une menace invisible qui tardera à surgir. Et cet art du hors-champ participe à l’indicible gonflement de suspens qui prendra le spectateur à la gorge pour le lâcher, exsangue, qu’en fin de film.
Une maîtrise de la tension tout bonnement sidérante, qui rend le visionnage galvanisant et offre des moments de pur peur lorgnant presque du côté de l’horreur. Et sans tomber dans le tape-à-l’oeil, Legrand distille dans son récit des touches de style menées avec une perfection technique bluffante (notamment un sens de l’ellipse qui n’est pas sans rappeler certains plans de The Green Knight).
Bref, en deux films Legrand se place en réalisateur indispensable et offre simultanément deux titres plus que mémorables dans un genre qui tombe parfois trop facilement dans le remâché et l’absence de surprise(s). Le Successeur est une véritable réussite, qu’il est désormais possible de (re)voir grâce à sa sortie en format physique !
Fiche technique
DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 108 min
Date de sortie : 16 juillet 2024
Format vidéo : 576p/25 – 2.39
Bande-son : Français (québécois) Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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