Après les succès critiques de The Witch et The Lighthouse, Robert Eggers s’essaie à la tragédie et la soif de vengeance. Un exercice périlleux quand on sait combien le cinéma s’est cassé les dents maintes fois sur des histoires de vendetta. Sobrement intitulé The Northman, ce long métrage tranche dans le paysage cinématographique en puisant tantôt du côté du blockbuster, tantôt dans les racines indépendantes du réalisateur. Un drame viking ésotérique, miroir de Shakespeare, qui éblouit par sa technique et son exécution plutôt que par sa profondeur.

La vengeance dans la peau

Alors que le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un Homme à la suite d’un éprouvant rituel chamanique, son père est sauvagement assassiné sous ses yeux. Le village est pillé et saccagé. Forcé à fuir pour survivre, le jeune homme prend la mer et jure de venger les siens. L’écran s’évanouit et nous voilà propulsés vingt ans plus tard. Amleth a repris du poil de la bête et semble avoir suivi un chemin semblable à ses tortionnaires.

Pour qui connaît la ritournelle de la vengeance, The Northman suit une route toute tracée jusqu’au générique. De la perte du paternel aux trahisons intrafamiliales, The Northman emprunte tous les travers du genre, sans jamais chercher sur le fond à renverser la formule et surprendre son public. Littéralement animé par cet unique horizon et sous l’emprise d’une transe bestiale – pas si métaphorique – Amleth participe à des rafles de villages slaves avec ses frères berserkirs.

La rage est lisible à chaque plan

La première séquence d’action est une leçon de réalisation avec un plan séquence sans aucun accroc. La chorégraphie est exécutée avec fluidité et précision. The Northman, par son esthétique noire, ne souffre d’aucun temps mort. Un javelot ennemi lancé et aussitôt réceptionné d’une seule main par l’imposant Alexander Skarsgård (Amleth) est renvoyé in extremis à l’expéditeur. En contrechamps, les villageois subissent la fureur viking, alors que la caméra passe le relais d’un guerrier à l’autre. L’acteur a suivi un entraînement gargantuesque six jours sur sept avec pas moins de vingt repas par jour. Autant de calories ingurgitées et d’énergie dépensées qui se traduisent dans la profondeur de sa barrière abdominale. Un travail de titan qu’avait déjà connu l’acteur lors de sa préparation pour son interprétation dans le Tarzan de David Yates.

« I am Amleth the Bear-Wolf, son of King Aurvandill. The War Raven. And I. Am. His. Vengeance! »

Le résultat est ici à la hauteur des représentations du folklore viking avec les stéréotypes qu’on connaît. Les épaules arquées, mi-homme, mi-bête, au départ hermétique à la douceur et sanguinaire, Amleth va libérer ses pulsions mortifères jusqu’à incarner la vengeance même. Entre mythe et réalité, le film est lancé tel un jeu-vidéo des années 1990 avec ses épreuves et ses niveaux qui s’enchaînent, les temps de chargement en moins.

Paradoxalement, The Northman rappelle autant l’iconique Conan le Barbare que le dramaturge Shakespeare. Par le soin accordé à son écriture, Robbert Eggers a choisi un style littéraire affirmé à l’image du The Tragedy of Macbeth de Joel Cohen pour ses dialogues allégoriques.

Amleth Ragnarök​

C’est là toute la singularité du film de Robert Eggers. The Northman est implacable techniquement avec des élans de mise en scène transfigurés par les nombreux passages de sorcellerie. Robbert Eggers avait clairement le souci de représenter les vikings sous une autre perspective. En embarquant le spectateur au cœur des processions, on adopte parfois une vue à la première personne avec des plans larges sur les visages des sorciers possédés, en pleine incantation ou délire mystique. Mention spéciale à la performance de Willem Dafoe qui mène la valse avec un charisme sans pareil au cours d’un bref épisode. Si ces scènes sont une franche réussite, tout comme les combats, The Northman abdique malheureusement sur le terrain émotionnel.

Les scènes des sorciers sont tout simplement renversantes

Les motivations du personnage restent assez cryptiques, alors qu’Amleth pourrait accomplir son destin à de nombreuses reprises. Les autres protagonistes font presque office de PNJ. Rares sont les dialogues avec les autres esclaves, mutiques et trop souvent « oblivionesques » à l’exception d’Olga avec qui Amleth entretiendra une relation plus intime. La plupart du temps, le héros soliloque sur la culture viking qui légitimerait sa quête de vengeance. Pas de réel contradicteur jusqu’à l’évolution d’Olga (Anya Taylor Joy) dans le dernier tiers du film. Il y avait sans doute à creuser du côté de ce personnage féminin qui avait déjà joué dans The Witch du même réalisateur ou plus récemment dans le très sympathique Last Night in Soho.

Par son manichéisme et à cause de ficelles trop souvent exploitées au cinéma, The Northman n’arrive pas à insuffler le souffle tragique qu’il cherche pourtant à produire. Le personnage de la mère (jouée par Nicole Kidman) ne prend pas, à raison d’un profil vu et revu. Porté par la froideur du Nord, il est aussi difficile d’adhérer au personnage d’Amleth pour le spectateur. Trop prévisibles dans leur structure, même le dénouement et combat final semblent artificiellement expédiés, malgré une réalisation de haute volée et un ton prophétique qui fait mouche.

« And shall you also enjoy the moment when you must choose between kindness for your kin or hate for your enemies? »

Si ce duel apocalyptique est certes l’un des plus esthétiques qu’il nous ait été donné à voir depuis le peplum 300 de Zack Snyder – les ralentis en moins – il manque quelque chose à la formule. C’est beau mais froid comme un iceberg, malgré l’effusion de lave qui s’épanche des volcans islandais lors de la joute finale. Ce paysage de désolation semble nous conduire à une fin du monde digne du Ragnarök, dernière étape avant le Valhalla.

Pourtant, même cette violence ne parvient pas à nous émouvoir, comme si elle n’adhérait pas ou plus sur le spectateur, malgré la crudité des scènes. C’est finalement sans engouement qu’on assiste à la confrontation finale. À titre de comparaison, même s’il s’agit d’un registre totalement différent, la lutte à mort entre Adam Driver et Matt Damon dans The Last Duel (lire notre critique) avait davantage d’étoffe avec un interminable suspense et une fébrilité du spectateur à chaque coup de glaive.

La dualité d'Amleth aurait gagné à davantage de profondeur

Il aurait sans doute fallu nous donner l’occasion (et le temps) de nous attacher au personnage pour investir le spectateur. Les scènes s’enchaînent à toute allure, sans laisser le temps de reprendre notre souffle. La tragédie repose sur un destin funeste et inévitable d’un héros animé par la passion plutôt que la raison, mais le film de Robbert Eggers ne porte en germe ni la terreur, ni la pitié vis-à-vis d’Amleth. The Northman est un très bel écrin qui manque cependant d’équilibre et d’empathie pour nous enrôler dans cette folie meurtrière. On voudrait aimer ou haïr les uns et les autres, redouter la mort de l’être cher.

The Northman reste une prouesse technique : un film inégal mais salutaire grâce à sa force et sa proposition sans concession. Une œuvre qui enterre la hache de guerre avec le grand spectacle des blockbusters et qui rappelle aujourd’hui encore qu’Hollywood aurait très bien pu avoir un autre visage, plus balafré, mais qui aurait eu le mérite de trahir la volonté de ceux qui osent. Une chimère cinématographique à voir au cinéma pour mesurer le travail accompli derrière la caméra. The Northman est une étape supplémentaire de franchie avant les suites des jeux vidéo Hellblade et God Of War, qui eux aussi puisent largement dans la mythologie nordique.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
1 année

Tu m’as donné envie de le regarder 🙂

le loup celeste
Administrateur
1 année
Répondr à  Ummagumma

Vivement le 4k Ultra HD !!! 🙂

trackback

[…] semble être celui de la discorde pour l’actuelle jeune génération du cinéma de genre. Le The Northman de Robert Eggers a clivé critique et spectateurs, et Beau is afraid – d’après les […]

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