Thriller, romance, film de procès, comédie musicale… Décidément, ce deuxième volet du Joker de Todd Phillips est à peu près tout. À peu près tout, sauf ce que l’on attend de lui. Et c’est peut-être cela qui a déçu critique et public depuis sa première projection à la Mostra de Venise. Pourtant, tenons bon ! Ce second volet est – une fois n’est pas coutume – probablement meilleur que l’original. Essayons de comprendre pourquoi…
Le Joker des incels
Arthur Fleck alias le Joker (Joaquin Phoenix, toujours lui, et difficile de passer à côté…), entêté par un nuage chimique, se trouve enfermé dans la prison d’Arkham, prêt à être jugé pour les crimes commis dans le film précédent. Pourtant sa rencontre avec Lee (alias Harley Quinn, interpétée par Lady Gaga) s’apprête à retourner son quotidien rythmé par les sévices d’une bande de gardiens bien peu conciliants et la morosité d’une prison franchement glauque.
Voilà en quelques mots le résumé de ce Folie à deux, qui fait directement suite au premier volet sobrement intitulé Joker. Et si ce premier film avait de quoi ravir, il est fort possible que public et commentateurs aient été enfumés dans la bulle euphorisante de la multiplication des critiques élogieuses entourant le Joker de 2019. Et cela jusqu’à l’accouchement d’un nombre pléthoriques d’articles survendant un (bon) film qui était tout de même bien éloigné d’un chef-d’œuvre.
Cette première relecture tenait certes de bons arguments pour elle, mais le film se laissait totalement parasiter par le jeu un tantinet excessif (c’est un euphémisme) de Phoenix et étalait un pamphlet politique finalement bien faiblard, sans doute à la hauteur de l’engagement de son réalisateur, que l’on devine aisément appartenir à un centrisme mou.
À centrisme mou, message politique mollasson… Voilà comment le film a pu si facilement être récupéré par une frange de l’extrême droite ainsi que par le mouvement des incels (involuntary celibate, ou “célibataire involontaire” en français), qu’un article du Courrier international narre très bien ici. A ne rien oser dire, on finit par laisser une très large marge interprétative à son public, qui peut aisément retourner le message du film contre lui : Joker deviendrait ainsi le chantre de ces mâles délaissés, désormais poussés par leurs pulsions misogynes et violentes.
Et Todd Phillips semble avoir retenu la leçon… Non qu’il s’offre aujourd’hui avec Joker: Folie à Deux un message politique d’une radicalité à faire fuir les incels, la queue entre leurs jambes. Au contraire ! Mais Phillips s’amuse à constamment arracher son film à son public, à toujours dévier des attentes pré-convenues pour plutôt faire le pari du déceptif. Cela jusqu’à faire dire à ses deux protagonistes, à l’exact mi-film, qu’ils ne semblent pas délivrer à leur public ce qu’ils attendent d’eux dans une scène évidemment méta mais reprise (étonnamment) par très peu de critiques.
Méta-Joker
Mais cette dimension méta s’étend bien au-delà de cette unique scène. En effet, durant quasiment tout le film Phoenix n’arborera guère le fameux maquillage si caractéristique de son personnage, sauf lorsqu’on l’incitera à le faire… Ce sont donc ainsi les autres, par ce qu’ils voient en lui, qui peignent sur sa face ce masque de monstre, jusqu’à l’ériger au niveau de symbole. Une sorte de veau d’or, repris en intradiégétique par les uns (le personnage devient un symbole de résistance) et extradiégétique par les autres (Joker le film, qui devient un objet pop-culturel construit comme levier des masculinistes).
Le film de 2019 et le personnage du Joker en lui-même souffrent d’un même mal : se faire coller sur le front une étiquette qu’ils réprouvent. Et cette Folie à Deux s’amusera à longueur de plan à pointer du doigt cela, jusqu’à réécrire de but en blanc toute la mythologie du Joker. De cet être dont la quintessence est le mal dans l’univers Batman, Phillips en fait une créature fragile, psychologisée et manipulée, portant sur sa face les stigmates peinturlurés d’une urgence externe.
Si l’ivresse de l’exposition médiatique l’a un temps excité, Arthur Fleck n’a jamais souhaité porter sur sa face ce masque qu’on lui impose pourtant. Reliquats des pulsions de tout un peuple opprimé, miasmes de violences indéfendables et de revendications légitimes, il se retrouve piégé dans son propre personnage dont la prison semble finalement être la seule antidote possible.
Pourtant, même là rien n’y fait : les tentaculaires vecteurs de cette maladie virale qu’est le Joker s’immiscent partout, même dans les cellules les plus protégées d’Arkham… La fin le montre bien : Arthur Fleck n’était qu’un vecteur, un corps que le virus habite un temps mais qu’il n’hésite pas à tuer pour continuer sa vertigineuse pandémie de violence.
Vous l’aurez compris : Joker: Folie à Deux est bien plus intéressant qu’escompté. Et – osons le dire – encore meilleur que le premier volet, car moins parasité par l’omniprésence cabotine de Joaquin Phoenix et plus conscient du sens dans lequel sa mythologie évolue… Une belle surprise de laquelle il n’y avait pourtant pas grand chose à attendre !
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Très belle analyse avec un angle intéressant. Tu m’as convaincu de lui laisser sa chance !
J’espère que tu ne seras pas déçu !
Le 4K Ultra HD est précommandé depuis le 1er jour… De toute façon aujourd’hui, quand un film prend à rebrousse poil son public, il y a un rejet de masse (amplifié par les réseaux sociaux) sans aucune analyse derrière. C’est assez désolant ! 😞
Je me réjouis d’avoir tes retours ! Oui, malheureusement c’est souvent le cas :/ (RIP Furiosa…)