Sept ans nous séparent du dernier Alien. Après la déception Covenant et le capharnaüm du projet Prometheus, en partie avorté malgré un premier film clivant, néanmoins captivant, la franchise avait (dit-on) besoin d’un second souffle. Avec Alien: Romulus, l’objectif affiché était clair : rajeunir la cible commerciale et raccrocher Covenant au mythe en choisissant comme capitaine un réalisateur aguerri : Fede Álvarez. Alors qu’une bande de jeunes travailleurs de l’espace vient à l’abordage d’une station spatiale abandonnée, ils se retrouvent confrontés à la bête née de l’imaginaire torturé du peintre Giger. Le réalisateur, coutumier des reboots, a-t-il réussi à remettre la franchise sur orbite ? Fede Álvarez se targue de connaitre Alien sur le bout des doigts et nous allons lui démontrer qu’il a tort…
D’un mythe à un autre
Depuis Alien (1979), la bête s’est enracinée dans l’imaginaire collectif (et dans la pop culture). Difficile aujourd’hui de prendre par surprise un public aguerri. On imagine la mine déconfite de ceux qui découvrirent pour la première fois le mode opératoire du xénomorphe sans rien savoir du film. L’éruption sanguinolente au moment fatidique où la progéniture du xénomorphe se fraie un chemin entre les organes pour s’extraire de la cage thoracique de sa malheureuse victime. Aussitôt incubée, aussitôt condamnée lors d’une scène iconique du cinéma où les réactions des acteurs n’étaient pas simulées car ils ont découvert la bête… en direct ! Un secret savamment gardé pour une idée révolutionnaire qui impressionna même Kubrick. Une leçon qui nous rappelle qu’avec un petit budget de 11 millions de dollars, l’art de la mise en scène réside dans l’imagination plus que dans le portefeuille. Trois mots sur un script évasif, c’est tout ce que le casting savait en arrivant sur le tournage de la mythique scène du Chestburster :
« This thing emerges »
Script d'Alien pour la scène du Chestburster
Film coup de poing qui refonda en profondeur la figure de l’héroïne moderne dans le cinéma d’horreur, Alien a ensuite accouché de plusieurs suites. Les afficionados se livrent encore bataille pour savoir s’il faut seulement considérer la trilogie (ou la quadrilogie) et exclure les films du nouveau millénaire, d’autres préfèrent s’entredéchirer pour savoir qui de Ridley Scott ou de James Cameron aura su proposer la meilleure version du prédateur parfait. Beaucoup pensent enfin que la licence est morte avec Ellen Ripley et on aurait bien du mal à les contredire. Clairement le premier est un monument et les autres ont chacun apporté leur pierre à l’édifice, si bien qu’on rejoint l’analyse de Sigourney Weaver, reine de la cérémonie d’ouverture de la Mostra de Venise 2024. Elle est revenue sur la saga pour le magazine Deadline :
« Alien is perfect. It’s so claustrophobic, frightening, and unsettling. And Aliens is this big kick-ass movie of scale, which actually has a more conventional story. But it’s hard to compare them as filmmakers. They are very different. I can say that all four of the Alien filmmakers I worked with all made the material their own. »
Sigourney Weaver lors de la cérémonie d'ouverture de La Mostra de Venise, le 28/09/2024
Débat saugrenu qui affole la toile, voilà que certains veulent même « réhabiliter » Alien: Covenant qui peut seulement se féliciter de son introduction coup de poing d’une violence graphique inouïe… avant de s’écraser sous son propre poids, comme un soufflet à l’acide !
Promesse tenue ?
Avant toute chose et pour bien comprendre les critiques amères qui vont suivre, encore faut-il situer les préférences de l’auteur de ses lignes et restituer Romulus par rapport à la saga. Outre sa photographie splendide, Prometheus est sans doute le dernier film tiré de l’univers étendu de la franchise qui avait su relever la barre en proposant des axes de réflexion sur le transhumanisme et la mort de Dieu. Ridley Scott évoquait des thèmes comme l’érosion de la foi face à la science, la créature face à son créateur. Ce thème n’est rien d’autre qu’une déclinaison SF élégante du roman gothique, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Dans Prometheus qui reprend une partie du titre de Marie Shelley, on retrouvait plusieurs récits enchâssés avec une mise en abîme des synthétiques et des hommes d’une part; des hommes et les ingénieurs d’autre part. Après la métaphore du rapt du feu sacré, puni par les dieux de l’Olympe dans la mythologie grecque, la monture d’Alien 2024 lorgne cette fois-ci du côté de la légende de Romulus et Rémus et la fondation de Rome.
On espérait que le choix de Fede Álvarez viendrait compenser la mainmise de Disney sur la 21st Century Fox depuis son rachat en 2018. Le mastodonte légendaire aux licences prolifiques a été dévoré et nul doute que cela n’a pas encouragé la diversité des approches et choix éditoriaux comme pour chaque marché oligopolistique (voir encadré ci-dessous). Nous verrons que ce rachat n’a pas épargné le fond comme la forme d’Alien: Romulus malheureusement.
Domination de Disney sur les « Big six »
Piqure de rappel utile sur le groupe Disney : depuis le rachat de Pixar en 2006 et Marvel en 2009, Disney semble avoir un appétit boulimique qui devrait alerter le régulateur américain tant la situation oligopolistique ne cesse de se renforcer. En 2017, avec le rachat de la 21st Century Fox pour la somme de 66,1 milliards de dollars (dettes incluses à fauteur de 13,7 milliards), Mickey pesait 30% des parts de marché soit le plus grand studio d’Hollywood (voir diagramme en bas à gauche, source : Box Office Mojo / LeMonde) .
En 2023, le chiffre d’affaires mondial de la Walt Disney Company s’élevait à 88,9 milliards de dollars. Et son expansion n’est pas prête de s’arrêter. Malgré la médiocrité de ses films, Disney a enregistré 4,86% de plus de bénéfice brut annuel par rapport à 2022 et son CA a été multiplié par 2,6 en 18 ans ! Avec ce rachat (le plus gros dans l’histoire de Disney) des licences phares sont tombées dans le giron de Disney comme Star Wars, Predator, Dead Pool, X-Men, La Planète des Singes, Indiana Jones, Avatar, Les Simpsons, etc.). Pour le meilleur ou pour le pire ?
Porté par une campagne publicitaire aux airs de rouleau compresseur estival, Alien: Romulus cherche à faire le pont entre les deux films les plus plébiscités de la saga, Le huitième passager et Aliens, la version sous stéroïdes au rythme inégalable. Romulus et Prometheus n’ont pas seulement un nom tiré de la mythologie, ils s’articulent désormais ensemble, même si cet attelage contre nature est ici arraché aux forceps dans un derniers tiers bancal chez Álvarez. Si vous trouviez déjà que le lien entre Covenant et Prometheus était maladroit et que la genèse de l’Alien confinait à profaner le mystère fantastique, que dire de cette nouvelle tentative contre nature ?
L'Alien est mort, vive l'Alien
Le hic avec des sagas légendaires des années 80/90, c’est de réussir à satisfaire les fans de la première heure tout en apportant sa propre pierre à l’édifice. Sur ce point, on sent combien Alien Romulus cherche à cocher toutes les cases du fan service dans sa signification la moins noble du terme (à supposer qu’il y ait une version noble à vouloir satisfaire des groupies). Les références fusent sans se soucier vraiment de leur cohérence dans la manière dont elles sont jetées au visage du spectateur. On n’est pas loin d’une publicité de céréales qui nous promet un jouet en plastique formidable à l’intérieur du paquet alors qu’on avait déjà très bien compris le concept en regardant la boîte tape à l’œil.
A l’image des productions rachetées par le cartel de Disney, on sent qu’il fallait remplir un cahier des charges bien jalonné pour faire le pont entre les vieux briscard rabougris des années 70/8O et la jeune génération qui n’a ni grandi, ni regardé les précédents films. Cela donne un résultat indigeste où les personnages se feignent d’explications de textes totalement hors sol pour expliquer les aptitudes du xénomorphe et comment lui échapper. On croirait voir une recette de cuisine appliquée à un organisme vivant imprévisible. C’est d’autant plus raté que des films comme Jurassic Park avaient réussi à emporter le spectateur avec le Tyrannosaure et sa vision basée sur le mouvement sans tomber dans le cliché d’une notice Ikea. Là ça tombe comme un cheveu sur la soupe avec les facehuggers, le tout sans aucun effort des acteurs pour avoir l’air un tant soit peu inquiets.
La ficelle du synthétique omniscient pour expliquer chaque situation frise le ridicule et casse toute capacité d’interprétation (donc de doute) du spectateur quant aux chances de survie de l’équipage. C’est simple, Fede Álvarez ne fait jamais confiance à la bonne intelligence du public, l’un des marqueurs de toute production Disney. Chaque scène souffre de cette lourdeur explicative, par ailleurs doublement ankylosée par une OST omniprésente et qui, là aussi, cherche à dicter nos émotions. Par ailleurs, on subit le même matraquage référentiel qui balaie toute la quadrilogie… Quelle déception alors que l’introduction de Romulus cultivait le même silence religieux de l’espace d’où surgit le titre du film. Une imposture peut en cacher une autre. Ce n’est pas que le travail de Benjamin Wallfisch (compositeur de l’excellente OST de Blade Runner 2049) soit de mauvaise facture, au contraire, mais c’est qu’il fait ton sur ton avec les images affichées à l’écran tout en tirant trop sur la corde nostalgique jusque dans les titres de chansons. De là à dire que cela participe au manque d’identité de Romulus, il n’y a qu’un pas…
Faire plaisir à tout le monde (donc à personne)
Quel dommage de réciter la leçon de manière aussi scolaire et grossièrement recrachée, là où d’autres comme Cameron, Fincher ou Jeunet (voir notre interview) avaient chacun réussi à apporter leur signature, parfois au prix de différents musclés avec la Fox comme avec un public pas toujours acquis à ses revirements. Mais ce n’est pas le seul piège dans lequel tombe Fede Álvarez. Sans doute soucieux de répondre à une génération qu’on dit biberonnée aux vidéos de courtes durées et aux capacités d’attention bientôt à même de concurrencer celles d’un poisson rouge, le réalisateur semble obsédé par l’idée de maintenir éveillé son spectateur. Pour le jeune public avec de jolies images qui s’agitent telles des ombres dans la caverne de Platon, et pour les vieux dégarnis qui casseront bientôt leur PER pour soigner leur Alzheimer, par des lignes de dialogues directement tirées des précédents films.
Le point d’acmé est atteint avec la rencontre d’un certain synthétique indissociable de l’univers de la franchise, devenu caricature, en plus d’être complètement raté en termes d’effets spéciaux. S’adresser aux anciens en les prenant à ce point pour des idiots confirme que Romulus est avant tout un produit formaté avant d’être une œuvre. Un pur objet marchand comme la postmodernité en raffole. Álvarez a-t-il oublié que pour faire du pied avec élégance, encore faut-il que ce soit sous la table…
Tout cela donne lieu à une succession de scènes à la rapidité inappropriée, sans compter un montage qui n’a rien compris de ce qui faisait le sel de l’horreur crue de Ridley Scott ou de l’action de Cameron. Aliens est un peu ce qu’est Resident Evil 2 face à son illustre modèle Resident Evil 1. Ou la nuance entre Survival Horror et Action Horror. Álvarez semble quant à lui incapable de trancher entre ces deux visions. Au lieu de laisser le temps au spectateur de s’imprégner de l’atmosphère pesante de l’espace, le réalisateur uruguayen coupe des scènes pour passer plus vite d’une situation à une autre. Qu’il s’agisse de l’arrivée sur le vaisseau ou de la rencontre avec des aliens sous valium au gré d’un couloir, c’est un cuisant échec pour faire monter l’angoisse.
Face à une horde de xénomorphes qui surgissent des plafonds, quelle erreur de faire suivre ce plan par un autre donnant sur la pièce adjacente, sans qu’on sache pourquoi ni comment nos héros ont réussi à s’en sortir. Le silence est proscrit et on doit se farcir le duo s’exprimant tranquillement sur la situation en déblatérant des lignes de dialogues aussi subtiles qu’un script Chat GPT. On est à des années lumières du harcèlement des créatures de Cameron où chaque porte devait être scellée pour quelques minutes de répit à peine.
Cette scène où nos héros font front face aux xénos, c’est typiquement le type de séquence où il aurait fallu coller aux personnages avec un traveling ou des plans serrés sur ces jeunes acculés. Sans armement militaire (et encore), voir l’alien, c’est l’assurance d’être déjà mort. C’est ce sur quoi reposait tous les précédents films avec des personnages littéralement pétrifiés par l’effroi. Contrairement à la logique des jump scares, l’horreur est attendue avec le capteur de mouvements par exemple. Mais l’Alien est presque toujours invisible. Ici, rien de tout ça ou si peu.
Chou. Andy... Dis-moi oui...
Autre ressort qu’ignore royalement Fede Álvarez pour générer la peur : la solitude. Un facteur qu’avait intégré Alien: Isolation jusque dans son titre. Pour décupler la tension, l’un des éléments narratifs qui fait toujours mouche revient à isoler les personnages les uns des autres, ce qui amplifie d’autant le rapport de prédation. C’était le cas dans Alien premier du nom où le xénomorphe officie méticuleusement comme un tueur en série, la bestialité primaire en plus. Idem dans toutes ses suites. Mais dans Romulus, au contraire, et à notre plus grand désarroi, on doit se farcir les blagues niaises de l’androïde Andy à sa sœur humaine tout au long du film quand il ne prend pas sa moue de chien battu.
Merci les blagues de Toto du cyborg qui vient casser toute possibilité de stress. On sent la fibre feel good des derniers Star Wars. Un procédé affligeant de bons sentiments et repoussoir de premier choix pour éloigner le spectateur de l’horreur. Ces blagounettes à la C-3PO n’ont pas vocation à rapprocher les personnages dans l’histoire mais à rassurer le public. Deux personnages, c’est aussi l’assurance d’avoir une explication de texte permanente quand la mise en scène plie sous le poids de dialogues inutiles. La touche Disney, assurément. La peur, pourtant, se nourrit d’abord de l’imaginaire comme l’avait aussi compris Ridley Scott :
« L'Alien renvoie à ce qui inquiète le plus l'être humain, cette part d'ombre qui se cache en nous, et qui ne devrait pas s'y trouver. »
Ridley Scott lors d'une interview accordée au Figaro en 2017.
L'inquiétante étrangeté
L’excellent jeu Alien: Isolation avait, lui, très bien compris la traque et la claustrophobie de la saga en optant pour une première personne et d’interminables passages de mécaniques pour ouvrir une porte ou actionner un piston, à l’instar du tout premier volet. Vue subjective qu’on retrouve d’ailleurs lorsque Ripley cherche à rejoindre Parker et Lambert dans la version d’Alien de Scott. Une expérience de solitude parmi les plus éprouvantes du jeu vidéo et bien au-delà. Hors champ, le joueur pouvait entendre la bête se glisser dans notre dos avant de nous éventrer à la première personne. Là, rien de tout ça… On circule avec une facilité déconcertante dans les couloirs de cette épave spatiale. Étonnant pour une navette abandonnée…
Le labyrinthe est pourtant indissociable de l’imaginaire de Giger, ce qu’avaient très bien compris les réalisateurs de la quadrilogie. Giger avait déjà eu l’occasion d’expliquer l’origine de ses tableaux représentant les Puits (1966). Figure reine du cauchemar, les escaliers traversent l’histoire de l’Art et Giger s’inscrivait lui aussi dans cette veine entre Piranesi, Duchamp et Escher.
C’est de ses rêves tourmentés que l’artiste suisse aurait nourri cette obsession d’escaliers sans rampes, périlleux et raides dont on retrouve trace dans les innombrables échelles et dédales des vaisseaux des précédents films. Giger traduisait ces déambulations nocturnes de façon limpides : « Depuis que je dessine ces puits imaginaires, la fenêtre de mes rêves est définitivement fermée ». Le peintre du macabre racontait également combien sa cave était source de fantaisies, alors qu’elle était reliée par des passages voutés qui, « partant du palais épiscopal, se prolongeaient, traversant le Rebberg, jusqu’à la ville ». À cause d’éboulement, ce passage fut condamné et la porte à jamais verrouillée, ce qui attisa l’imaginaire de Giger :
« Dans mes rêves par contre, ces couloirs étaient accessibles et menaient à un immense labyrinthe, dans lequel toutes sortes de dangers me guettaient. »
H.R. Giger, propos tirés du livre HR Giger édité chez Taschen
Le labyrinthe d’Álvarez est au contraire trop balisé, les obstacles superficiels. Certes, il s’essaie à un peu de verticalité dans son dernier tiers avec la scène sympathique de l’ascenseur mais de manière générale, jamais on ne se sent véritablement perdu dans ce vaisseau pirate. On a plus l’impression de voir des bribes des précédents films rafistolés par un montage pas très heureux. Tout cela manque cruellement d’identité, de chaleur et de sueur. D’ailleurs, il y a quelque chose de curieusement pas très crédible avec ce jeune équipage de « travailleurs ». Sans forcément tomber dans le stéréotype des mains caleuses, on a du mal à voir des prolétaires de l’espace, encore moins des otages esclavagisés de la multinationale Weyland-Yutani Corporation. Ces protagonistes sont introduits en bloc au cours d’un brainstorming expéditif sans même nous avoir laissé le temps d’apprécier leurs compétences là où Aliens (encore lui) nous suggérait en quelques plans à peine les caractères de chacun entre deux répliques de bidasses.
Un film rattrapé par son propre héritage
Autre comparaison qui n’est pas au bénéfice d’Álvarez, le jeu Aliens: Dark Descent qui réussissait parfaitement à montrer le caractère éphémère de la vie de nos marines, débordés par les essaims extraterrestres. Ça aussi, Álvarez ne l’a pas compris. Même les passages à 0 gravité – l’une des rares idées « originales » de Romulus – sont mille fois moins bien réussis que ceux de jeux comme Dead Space. Des idées, il y en avait à la pelle dans le jeu vidéo pour jouer avec l’attraction des corps. L’épilogue terrifiant d’Alien: Isolation l’a démontré lui aussi, avec une sortie dans l’espace qui nous faisait retenir notre souffle jusqu’à l’apoplexie. Pas de son, rien, si ce l’est l’application directe de la célèbre maxime de la saga : « Dans l’espace, personne ne vous entendra crier ». La franchise semble aujourd’hui rattrapée par son propre héritage.
C’est vraiment n’avoir rien compris à ce qui faisait le sel de la quadrilogie, où la tension grimpait crescendo. À force de chercher à reproduire et rendre hommage à chacune des scènes marquantes de la saga, immanquablement Romulus souffre de la comparaison. C’est bien beau d’avoir des jolis posters promotionnels mais c’est mieux d’avoir un film solide. Autre exemple navrant, l’arrivée dans la ruche d’Aliens : ce passage était à des années lumières de celle de Romulus qui apparaît d’ailleurs dans des temps trop brefs et donc peu propices à la crédibilité. Il en va de même pour l’évolution de la bête avec là encore une comparaison qui fait tache quand on pense à la montée en puissance du xénomorphe dans le film de Fincher par exemple. Et je n’évoquerais même pas le final raté qui fait échos à la bête originale d’Alien, la résurrection. J’ai encore le souvenir glaçant du cri de douleur et de trahison qui venait des tripes de l’hybride dévoré par le vide de l’espace, alors que j’oublierais vite le final de Romulus, si ce n’est pas déjà fait.
Ajoutons à cela des décors peu inspirés et souvent bien pauvres et autrement moins organiques que ceux des précédents opus. Qui connaît l’univers de Giger sait combien la biomécanique y occupe une place centrale. Ce mélange de chair et de métal, à la fois visqueux et lubrique trouve sa représentation la plus éclatante dans l’image de ses murs qui se mêlent aux sécrétions des aliens et aux corps prêts à être incubés et bientôt donnés en pâture. La biomécanique, c’est l’incapacité de discerner l’être de la machine comme le faisait si bien Cameron dans Aliens avec ces cocons humains pétrifiés dans les murs de la colonie.
C’est aussi ce mariage forcé entre le sexe et la mort qui donnait un aspect encore plus malsain à la capture de la fillette Newt dans Aliens, en y ajoutant une surcouche pédophile. Alien c’est le viol et la dépossession de notre propre corps. Au-delà de la métaphore sexuelle, c’est l’un des vecteurs les plus radicaux de l’horreur : devenir étranger à soi-même. Or, Romulus est bien loin de cette architecture organique qui prolifère et contamine petit à petit le vaisseau. Pire encore, il ne nous laisse pas le temps d’y croire. Le viol n’est pas qu’un poids au moment de l’acte mais un fardeau qu’on porte. Un trauma comme une gestation inversée et qu’on doit expulser dans la douleur. Occasion manquée avec la femme enceinte de Romulus qui, en plus d’être parfaitement inutile à l’intrigue, est éclipsée quasiment hors champ. Là encore, il faut regarder du côté du jeu vidéo et plus précisément de l’excellent Scorn (lire notre dossier) pour retrouver cette atmosphère malsaine qui colle à la peau de Giger comme des précédents films.
Peur de faire peur ?
Nouvel écueil incompréhensible, les personnages ne sont jamais possédés par la peur, alors que le soldat paniqué d’Aliens est l’un des catalyseurs de tension. Idem dans Alien, où le paroxysme de l’horreur est atteint lors de la mort de Lambert et Parker. Leur visage est déformé par la terreur, presque comme la peinture du Cri de Munch. Et le stress est accentué par un chassé-croisé avec Ripley qui assiste, impuissante, à leur mort par la radio. Quelques secondes plus tard, l’Alien avait disparu, évanoui dans l’ombre et aussitôt réfugié dans notre subconscient. Seuls les cadavres témoignaient encore de son passage.
L’image même de l’horreur est celle de la gueule de la bête dégoulinant par torrents de salive. C’est le réflexe de Pavlov à son paroxysme. Heureusement, sur ce point Fede Álvarez s’en sort avec les honneurs sur les quelques plans larges de l’Alien, même si ces scènes auraient gagné en intensité avec une mise en scène impliquée et des personnages qui montrent un peu plus d’entrain pour survivre. Un écueil qui fait tache par rapport à l’implication inégalée de l’équipage de l’USCSS Covenant dans Alien, le huitième passager. Une performance collective d’acteurs engagés comme si leur vie était en jeu et sans doute un des meilleurs rôle de Sigourney Weaver qui explique en partie son lion d’or décerné à la Mostra de Venise hier.
« Dans Alien, je me demande toujours comment rester en vie. »
Ridley Scott lors d'une interview accordée au Figaro en 2017.
Par définition, l’Alien est imprenable et s’il est capturé, c’est pour mieux s’échapper comme dans Alien, la résurrection lorsque la bête en cage tue son congénère pour que son sang d’acide ouvre un passage vers les niveaux inférieurs. L’Alien de Romulus, lui, ne semble pas foncièrement plus intelligent qu’un autre prédateur. Sa bestialité reste mais cette inquiétante étrangeté qui faisait de lui un lointain cousin de l’homme semble plus en retrait ici.
La peur, c’est aussi celle de Ripley qui avançait avec prudence, enflammant chaque recoin d’où un monstre pourrait surgir dans le film de Cameron. L’imaginaire du spectateur prenait le relais, scrutant chaque couloir illuminé par les flammes et craignant qu’une créature ne surgisse du noir, peur originelle et primaire que chacun connut petit. Même la première rencontre avec les facehuggers laisse quasiment indifférent dans Romulus. Pourquoi ? Tout simplement parce que les personnages ont droit à une seconde chance. Quels que soient les précédents films, la rencontre avec ces parasites était toujours un monument de tension, où in extremis les personnages étaient sauvés par un coéquipier, s’il n’était pas condamné. Là, deux trois coups de moulinets dans l’air et nos héros s’en sortent avec les honneurs pour repousser tout un essaim. Quel manque cruel d’imagination…
Fede Álvarez commet enfin une erreur impardonnable, cerise sur le gâteau de la Disney Touch qu’on aime tant, en faisant sourire de sadisme l’une de ses créatures. En choisissant ce registre propre à l’humain, là encore, le manichéisme et les bons sentiments s’immiscent dans l’horreur. L’Alien n’est ni bon ni mauvais, c’est un prédateur parfait. Point. Sa descendance quelle qu’elle soit se devrait de suivre cette même logique plutôt que nous indiquer formellement un méchant. Pour toutes ses raisons, Fede Álvarez n’a compris la légende de l’Alien qu’en surface. N’y allons pas par quatre chemins, le stress est totalement absent du métrage. Quand on voit ce qu’a fait Neil Blomkamp avec des moyens limités pour son court-métrage Zygote, il y avait pourtant matière à faire. Difficile de savoir si c’est la liberté de ton ou l’audace qui font défaut à Álvarez ici.
En réalisant un film hommage, il ne fait que dénaturer le xénomorphe pour en faire un monstre tout ce qu’il y a de plus générique, ce qui explique ce réquisitoire quelque peu enflammé. Mais si l’on réfléchit un tant soit peu, qu’est-ce que Romulus fait de mieux que ces prédécesseurs ? La réponse tient en un mot. Rien. Bien audacieux serait celui qui me répondrait le contraire. Pis encore, il se contente d”être un produit dérivé des souvenirs des vieux films et il parvient même à nous fâcher. On vous recommandera davantage de jouer à l’excellent Alien: Isolation ou l’incroyable Scorn pour ceux qui n’y ont pas encore joué. Sorti il y a près de dix ans, le jeu de Creative Assembly avait, lui, tout compris. Idem pour les devs d’Ebb Software. On préférera toujours les cancres à l’esprit vif que des premiers de la classe qui n’ont jamais fait que reproduire ce qu’on leur avait inculqué. Un film médiocre qui après Covenant vient rajouter un peu de gravât sur la tombe de la saga. Laissons le xénomorphe errer dans les limbes de l’espace et de notre subconscient que la bête de Giger a toujours cherché à coloniser.
Tous nos articles à lire sur la bête de Giger du ciné au JV
Tests techniques
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
Catégories
Posts récents
Rambo – La Quadrilogie, c’est quoi sa
- 16 septembre 2024
- 9min. de lecture
Godzilla (1954), les débuts du Roi des
- 13 septembre 2024
- 5min. de lecture
Astro Bot, dans l’ombre du plombier moustachu ?
- 12 septembre 2024
- 10min. de lecture
Le Bazar des 4K Ultra HD, volume
- 11 septembre 2024
- 36min. de lecture
The Bikeriders, le Sons of Anarchy vintage ?
- 9 septembre 2024
- 5min. de lecture