Cela fait presque deux mois que Jurassic World: Le Monde d’après est sorti et le box-office n’en a pas fini de s’incliner sous le poids du mastodonte. Sur le point de franchir la barre du milliard de dollars générés sur le globe, ce troisième volet de la saga World ne désemplit pas. Un chiffre qui donne le vertige -et la nausée- pour qui a encore un tant soit peu de respect pour Jurassic Park (lire notre article sur le livre de Nicolas Deneschau). À l’image des promesses de l’ère covid sur le supposé « Monde d’après » qu’on attend toujours et aux crédules qui poussaient la chansonnette du « Plus jamais ça », Jurassic World répond effrontément du même aplomb : Pourquoi réviser une recette aussi lucrative quand ce type de divertissement a depuis longtemps renoncé à faire preuve d’intelligence ? On vous explique pourquoi Colin Trevorrow coche une à une les cases du mauvais goût. Comme un écho d’un cahier des charges écervelé où la mièvrerie et la bêtise l’emporteraient coûte que coûte sur l’héritage de Spielberg.

Dinosaures partout, Justice nulle part

Sans doute conscient des trous béants qui grèvent le scénario cousu de fil blanc depuis le premier Jurassic World, le film débute sur le ton d’un reportage C-news, Christine Kelly en moins. « Chaque confrontation nous en apprend plus sur cette effrayante réalité ». L’animatrice, l’air grave, poursuit : « 37 morts liées aux dinosaures l’an dernier », alors qu’une vidéo de portable nous montre un accident de tricératops sur l’A31 locale. Des mouettes en guise d’encas pour ptéranodons, des moufflets casse-croûtes de compsognathus : Le Monde d’Après est peuplé de Denvers enragés à chaque coin de rue et au grand damne de la population. 37 morts pour une colonisation sur la planète entière, ce n’est pas grand-chose comparé aux nombreux morts cumulés des premiers parcs. Tout un symbole à l’image du caractère édulcoré de Jurassic World.

Jurassic World Dominion
Sondage tiré du film Le Monde d'après.

Soyons indulgents et passons déjà cette improbable invasion soudaine pour quelques spécimens échappés d’un manoir isolé. Une drôle d’aberration comme l’expliquait très bien le joueur du grenier et son compère dans leur critique. Dinosaures et humains doivent désormais apprendre à vivre ensemble, main dans la patte pour renouer avec Gaïa. A l’instar d’un certain District 9 dont il n’épouse jamais l’ombre de sa qualité, Jurassic World nous dessine un monde manichéen où des mercenaires vivent du braconnage et les prolos d’un steak de gallimimus. Le trafic de bestiaux en tous genres bat son plein. Heureusement Claire Dearing a constitué une jeune équipe de bénévoles à la Greenpeace pour libérer les bêtes des méchants braconniers. Enfin… surtout ce bébé trognoncératops qui sera très prochainement en tête de gondole des rayons Toys « R » Us.

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Non, c'est contemporain. Claire découvre l'élevage intensif avec un tricératops.

La médiocrité trouve toujours son chemin

Cela fait à peine cinq minutes que le fim a commencé qu’on nous sert déjà une invraisemblable course-poursuite couplée d’une généreuse fusillade, où les gentils tricératops envoient bouler les véhicules comme des quilles à la foire Saint-Jean. Colin Trevorrow aurait peut-être préféré réaliser le prochain Fast and Furious étant donné le nombre de scènes en véhicules que comporte le film, chacune d’entre elle étant parfaitement interchangeable à loisir. Mention spéciale débilité au passage dans les rues de Malte où notre dresseur à tout faire est plus à l’aise encore que Daniel Craig sur une bécane. Indigeste et sans âme, on croirait presque que les dinos sont des figurants ajoutés en post prod. Nul doute que le tournage regorgeait d’écrans verts.

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Dinosaures exploités par la filière du BTP. Diplodocus de tous les pays : unissez-vous !

Dans Le Monde d’après, on court tout le temps, on enchaîne les plans foireux et on bavarde pour nous expliquer ce qui se passe à l’écran, dès fois qu’on n’ait pas bien compris cette « pensée trop complexe ». C’est un dégueulis permanent de dinosaures à chaque scène, comme s’il fallait saturer l’espace quitte à décrédibiliser complètement l’ensemble. C’est un peu comme si les scénaristes avaient pris à contrepieds la phrase de Ian Malcolm prononcée dans le Jurassic Park premier du nom : « Auriez-vous projeté de mettre des dinosaures dans votre parc à dinosaures ? ». « On va vous resservir toute une plâtrée » se sont-ils dit benoîtement.

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Va mon fils, tu es un Homme maintenant !

Si les effets spéciaux ont été réalisés par John Nolan et ses équipes, ayant dernièrement travaillé sur la série Dark Crystal connue pour ses animatroniques, on sent combien Universal a volontairement voulu appuyer à outrance la carte kawaï au détriment du réalisme. Les rejetons dinosaures sont trop rondouillards et semblent davantage sortir d’un univers féérique. À systématiquement anthropomorphiser les dinosaures, Jurassic World: Le Monde d’après abuse également des regards croisés pétris d’émotions entre Owen et son raptor de compagnie, oserait-on presque écrire. Idem avec Maisie et le bébé raptor Beta. Un doublon niais qui rappelle que trop d’émotion nuit à l’implication du spectateur.

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Le film se permet aussi de nombreuses libertés avec le comportement des dinosaures.

Les dinos sont nos amis, il faut les aimer aussi

Les relations entre humains et dinosaures sont tellement forcées qu’elles dénaturent les traits qu’on attribue traditionnellement aux modes de vie des reptiles, par ailleurs d’autant plus farouches dans leur milieu sauvage. Qu’il s’agisse des crocodiliens ou des serpents, la quasi-totalité des reptiliens n’entretient aucune relation de parentalité avec ses progénitures ou de manière très épisodique. Une fois le nid construit, les femelles l’abandonnent et les petits à peine sortis des œufs sont livrés à leur seul instinct et aux joies de la sélection naturelle. Mais les scénaristes de Jurassic World ont préféré représenter leurs relations comme celles de dociles mammifères. La domestication des dinosaures est plus poussive encore. Ces derniers sont dressés au laser, quand ce n’est pas l’affection qui les guide. On croirait presque voir les vélociraptors remuer la queue comme des chiots lors de retrouvailles. Ou un chat agacé poursuivant bêtement le faisceau d’un laser.

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"On triangule"... La fausse bonne idée de vouloir dompter l'indomptable.

On touche le summum du ridicule quand Owen initie sa fille adoptive (clonée) et Alan Grant au dressage de raptors. On est bien loin du prédateur parfait du tout premier film. C’est plein de bons sentiments et c’est mignon tout plein quand la petite Maisie s’adresse droit dans les yeux au bébé comme s’il s’agissait d’un Pokemon à apprivoiser au parc Safari. Après tout, Owen n’a-t-il pas promis lui-même à Blue qu’il lui ramènerait son petit, capturé par les bad boys du coin ? Duper un raptor d’une simple roulade ? Là encore, trop facile ! Au fond c’est clairement l’image de Pokemon Go qui correspond le mieux au Monde d’après.

Des dinos partout et avec qui l’on compose bon gré mal gré au canisite du quartier, au marché ou lors de la promenade dominicale. Alors que le premier film jouait sur la rareté des apparitions pour générer le suspense, Dominion  use et abuse des dinos à chaque plan jusqu’à l’indigestion et la dispartion totale du stress. C’est un parc d’attraction sans parc d’attraction. Un paradoxe idiot et peu crédible. Même les diplodocus sont utilisés comme des chevaux de trait. Une idée loin d’être idiote sur le papier mais qui pêche ici par un manque absolu de cohérence et d’encadrement narratif. Universal viole éhontément notre imaginaire collectif pour vendre quelques peluches de plus au prochain Black Friday.

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Duper un Atrociraptor avec une roulade de Dark Souls : check !

Clone moi si tu peux...

Quant au personnage de Maisie, il introduit un arc narratif digne des scénarios les plus guignolesques des films Resident Evil (lire notre test de la dernière adaptation Netflix et celui des épisodes avec Milla Jovovich). Colin Trevorrow ne craint pas le ridicule et c’est donc une affaire d’enfant cloné qui devrait résoudre une crise de sauterelles géantes (et ignifugées qui plus est). Et oui, car si le monde est au bord du chaos, c’est encore à cause du grand Capital, dont la critique est pourtant systématiquement contournée. Quand la science déraille, rien de tel qu’un bon vieux remède scientifique. Toute une image qui colle parfaitement à notre époque. Le dérèglement climatique ? Injectons du souffre dans l’atmosphère plutôt que de réduire notre empreinte. Les sauterelles mutantes ? Rien de tel qu’un bon vieux cocktail d’OGM.

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Etrangler un dilophosaure : check ! Bonus de virilité +5.

Colin préfère des vilains attitrés plutôt que de critiquer un système de prédation économique bien réel. Cerise sur le gâteau, ces derniers sont dépourvus de charisme et d’une quelconque identité avec une réplique de méchante asiatique en voile blanc pour séduire le marché chinois et des braconniers ridicules. Les personnages secondaires ont vraisemblablement bénéficié du même soin avec un trait principal par protagoniste pour ne pas faire chauffer nos cervelles. L’une des scènes les plus aberrantes est celle du marché noir qui se transforme en pugilat entre dinos et humains avant de finir en interrogatoire musclé avec en guests un bébé tricératops et un jeune allosaure ou assimilé. « Y-a-t-il encore des scénaristes sur le plateau de tournage ? » s’interroge le spectateur avant qu’Owen ne tourne le dos à la victime et ses bourreaux pour passer un coup de fil comme si de rien n’était. Ce même Owen qui, plus tard, fait des clés d’étranglement aux dilophosaures… Sacré Owen !

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Torturer un braconnier avec un prédateur et un bébé tricératops : check !

Moi, moche et méchant

Autre écueil et non des moindres, Jurassic World est un film d’action qui a oublié l’horreur. Les scènes s’enchaînent à toute allure sans saveur ni quête de cohérence. C’est la mécanique de la surenchère permanente qui prévaut à chaque instant avec un déluge de clins d’œil pour aveugles. On imagine la richesse des brainstormings où chacune des idées serait sortie d’un chapeau au simple bénéfice de la loterie artistique. Du fan service bas du front cherche à rendre hommage aux moments cultes de la série mais on frise toujours l’auto-caricature. Malcom en sauveur rock’n’roll, Grant grimé en Indiana Jones préretraité, les cupides punis par ces bons vieux Dilophosaures, le nerd repenti, le scientifique déchu, Ellie qui se reproche d’avoir embarqué Alan dans ce joyeux merdier : tous les stéréotypes y passent avec autant de figures vues et revues avec bien plus de justesse et de panache ailleurs. On nous prend tellement pour des pruneaux que même les héros du premier film sont habillés presque comme à l’époque, dès fois qu’on les confonde avec les décors ou les dinosaures.

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Faire la même chose en moins bien, mantra de Jurassic World !

Derrière ces images artificielles, le néant. Pire encore, l’usage abusif des CGI couplé à une écriture hors sol participent à un sentiment de glissement vers le gag permanent. On reste médusé devant certaines répliques invraisemblables : « What’s your story ? » demande l’un des vilains avant de se faire dévorer. Même quand un Giganotosaurus, un Tyrannosaure et un Therizinosaurus s’affrontent, on a l’impression d’assister à un mauvais King Kong à moins qu’il ne s’agisse d’une baston d’ivrognes ou d’un Pierre-Feuille-Ciseaux à la kermesse du village. Personne n’y croit, pas même les personnages qui restent plantés au milieu du ring. Un match de catch où tout semble factice du début à la fin. Les décors sonnent faux, la photographie est pauvre et même les mouvements des dinosaures sont trop souvent artificiels, en plus de comportements plus que sujets à caution pour des prédateurs aguerris. Avec Trevorrow, on comprend mieux pourquoi les dinosaures se sont éteints finalement…

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Here comes a new challenger... Fatality incoming !

Mon petit poney

C’est simple, Jurassic World s’interdit mordicus tout frisson. Le spectateur est invité à manger son popcorn sans anicroche, le transit doit être facile et le message aussi lisse que possible. On flatte l’orgueil des fans avec quelques comptines ressassées depuis des lustres et qu’on nous vomit droit dans les yeux, comme une insulte à notre intelligence et un échec à demi avoué : Le Monde d’après n’invente rien. Il mime un ersatz des figures de James Bond, voire de Star Wars avec son Faucon Millenium tout en lorgnant sans scrupule du côté d’Indiana Jones, sans jamais égaler les plus mauvais films de ces sagas. Prévisible, mal réalisé et scénarisé avec une boussole de Twister, Jurassic World est l’archétype d’une industrie qui ne sait plus rien faire d’autre que se singer elle-même.

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Affronter le plus grand prédateur de la Terre avec une lance enflammée : check !

En réunissant les vieux briscards de Jurassic Park et les nouvelles recrues de la saga World, Le Monde d’après a tout d’un mauvais repas de famille. Long et résolument barbant, on nous arrose pour mieux nous faire oublier combien les mets servis viennent du Picard du coin. Fades et sans saveur. Comme une recette ratée de Marmiton, Colin Trevorrow confond l’huile avec le vinaigre, l’élégance avec la bâfrerie. Jusqu’à l’épilogue dégoulinant d’amour où tricératops et pachydermes, mosasaures et cétacés vivent une harmonie retrouvée sous un splendide coucher de soleil, Jurassic World tire systématiquement à côté. Un rodéo de 2H27 d’ennui, une prouesse boulimique qui confine au nanar, sinon à l’indigestion selon votre intolérance à la médiocrité. Étant donné le plébiscite mondial inversement proportionnel aux critiques, la saga a encore de beaux jours devant elle avant Jurassic Universe qui réunira les marmots du premier avec toutes les autres mascottes décrépies par les années. Et le vieux gosse qui sommeille en moi finira par abdiquer : « Et si on laissait enfin les dinosaures reposer en paix ? ». Un film à voir (très) alcoolisé pour mieux l’oublier.

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Alan Grant découvre le scripte de Jurassic World: Le Monde d'après !

Bande-annonce de Jurassic World Dominion

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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GUI IOM
GUI IOM
1 année

Merci pour cet article qui a fini de me convaincre de ne pas voir ce film (au cinéma en tout cas).
Deux remarques :
– « Le film se permet aussi de nombreuses licences avec le comportement des dinosaures. » : « libertés » plutôt que « licences » ?
– « Un film à voir (très) alcoolisé pour mieux l’oublier » : c’est pas bien d’inciter à la consommation excessive d’alcool 😁

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[…] et métastasé par les pires tares du blockbuster hollywoodien d’aujourd’hui, ce Jurassic Portnawak qui débute comme un Fast & Furious piloté par James Bond avant de manœuvrer vers un remake […]

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