• Testé sur PC avec RTX 4070 TI en 3440 X 1440 écran ultra large.
  • Code fourni par 11 bit studios.
  • Screenshots et captures de gameplay maison.
  • Fini en quatre heures montre en main. Court mais intense. 

Indika, dernière production du studio russe Odd Meter et éditée par 11 bit studios, ne manque pas d’audace. Dans ce jeu narratif au cœur d’une Russie uchronique de la fin du XIXème siècle, on incarne une jeune nonne tiraillée entre repentance et péché, foi et désir. Embarquée dans un voyage initiatique improvisé avec un soldat rescapé au bras gangréné, Indika met ses croyances à rude épreuve.

Fais pas ci, fais pas ça

Quand on voit la macaron 11 bit studio, on n’est certain de ne pas jouer à des jeux comme les autres. Entre la simulation de survie autocratique Frostpunk dont le deuxième épisode est attendu cet été et This War Of Mine qui montrait la guerre sous l’angle de la survie des civils, l’éditeur polonais se démarque dans le paysage vidéoludique par ses univers dystopiques qui interrogent systématiquement le joueur sur l’opportunité et l’éthique de ses choix. En attendant The Alters qui s’annonce tout aussi barré, c’est avec curiosité qu’on lançait Indika.

C’est donc à la troisième personne qu’on débute notre aventure dans un couvent où les autres religieuses austères (et hypocrites) vous confient les taches les plus ingrates. A l’instar de jeux comme The Stanley Parable qui mettait en lumière les aberrations de gameplay du medium et injonctions à suivre à la lettre le dispositif scénaristique imposé par le narrateur, on suit les indications que nous suggère notre voix intérieure. Alors qu’on ramène de l’eau du puit, seau après seau, Indika se demande pourquoi on lui demande de réaliser cette tâche ingrate, alors qu’il y a de l’eau accessible directement à la source. Cette pensée critique est en quelque sorte la graine qui fera germer les autres doutes à venir par un effet domino.

Très inspiré dans sa mise en scène comme sa direction artistique, le jeu oscille entre énigmes kafkaïennes et cinématiques étranges, sinon oppressantes, comme si nous étions guettés à chaque coin de l’écran. La perspective prend parfois un côté fish-eye et n’hésite pas à accentuer ce sentiment de malaise généré par une contre-plongée et une caméra chancelante façon Blair Witch. Comme pour Atomic Heart (lire notre critique), ce serait pécher que de ne pas y jouer en version russe pour bénéficier de l’expérience originale. 

Des portraits ou plutôt des numéros que Dieu a dû oublier dans les affres de la guerre...

Après avoir rencontré un soldat fugitif, Indika voit déjà sa première mission d’importance contrariée. La remise d’une lettre au contenu secret est chahutée par l’irruption de cet homme tourmenté, ancien prisonnier en cavale. Leurs discussions permettent de révéler tout ce qui les sépare et paradoxalement les unit. En franchissant les obstacles ensemble, cet improbable duo interroge nos choix, alors même que le scénario linéaire ne propose pas d’autres embranchements scénaristiques. Tout au long de l’aventure, on peut d’ailleurs collecter des bons points, métaphore à peine voilée de la quête de pureté pour aller au paradis considéré dans sa forme la plus triviale : le différentiel positif entre nos bonnes et mauvaises actions. Là aussi la diégétique du jeu nous rappelle que cette quête est aussi vaine qu’inutile en nous alertant lors des rares écrans de chargement. « Ça ne sert à rien » nous tance la machine.

Brûler un cierge dans un jeu vidéo est à peu près aussi utile que dans la vraie vie.

Le diable au corps

Fait rare dans le milieu du jeu vidéo comme du cinéma, Indika a choisi un thème qui confine à l’hérésie. Cette jeune nonne converse avec le diable qui n’hésite pas à montrer les aberrations de la religion, de ses dogmes et interdits. Odd Meter n’hésite pas à multiplier les parallèles avec des versets de la Bible dont on retrouve comme des échos fantasmés à l’image. Visuellement Indika se permet toutes les fantaisies en représentant ce capharnaüm psychique dans lequel se trouve cette jeune fille envoyée au couvent avant même d’être une adulte. Elle nous confesse également combien cette soutane est lourde à porter au quotidien. L’abbesse veille à ce que les filles ne la retirent jamais, pas même la nuit.

"Vérifiez le scaphandre avant de travailler dans la combinaison"

Lorsqu’elle prie, le monde se facture à l’écran. Cette faille de laquelle on entend notre voix intérieure tenir en boucle des propos blasphématoires, voire carrément salaces, fait référence à nos péchés passés et nos désirs présents. Totalement libérée du carcan réaliste, cette œuvre russe opte aussi pour des séquences en 2D mignonette afin de raconter des flash-backs avant qu’Indika ne prenne le chemin de Dieu. Un procédé narratif astucieux qui met en relief ses questionnements sur le libre arbitre et ceux de l’âme torturée par les passions, quitte à ébranler la citadelle imprenable que constitue la foi.

Les passages en 2D rappellent l'insouciance et la vraie vie aujourd'hui absente du quotidien d'Indika.

Indika aime nous faire tourner en rond. Le level design linéaire fait pourtant disparaître la trajectoire téléguidée de la narration grâce à une progression labyrinthique et une tendance à viser les cieux. Axé sur la quête d’élévation aussi bien physique que spirituelle, le jeu d’Odd meter réussit à symboliquement représenter les déchirements qui traversent Indika. Celle-ci se lance dans une introspection qui, mécaniquement, se heurte aux limites conceptuelles de tout dogme. Son monastère est comparé à une prison, alors qu’Indika n’a jamais choisie, mineure, de devenir religieuse. Le libre arbitre qu’aurait octroyé Dieu à ses créatures, Indika le démonte pièce par pièce :

« Je ne comprends même pas à quoi tout ça rime, cette “liberté” avec laquelle Dieu nous a “bénis”. Pourquoi Dieu aurait-il besoin de cette dite liberté si, en fin de compte, il n’est satisfait que quand nous faisons des choix spécifiques ? Il aurait pu me créer d’une façon qui lui aurait plu. »

Un message d’autant plus porteur que le titre nous fait tourner en bourrique dans ce long couloir où toute tentative de bifurquer se heurte à un mur. Quand la musique déraille et emprunte des teintes midi rétro ou que des grenouilles participent à l’OST par leurs croissements, le jeu prend une coloration loufoque et ubuesque. On est en décalage par rapport à ces litanies déconnectées du réel. A l’image de ce bras en putréfaction du soldat qui nous donne la réplique, la foi d’Indika pourrit immanquablement et seul un miracle pourrait renverser la vapeur.

Entretien avec le diable...

Bande-annonce d'Indika

Brulot antireligieux ou réflexion profonde sur la vanité de la foi, telle est la question qui cogite dans la tête du joueur en quête de sens face à un monde en décrépitude. Une chose est sûre, ce n'est pas le patriarche de l'Eglise orthodoxe qui donnera l'onction sainte aux développeurs d'Odd Meter. Fidèle du Kremlin et porte voix de sa croisade contre les valeurs dites occidentales (donc sataniques), l'Eglise russe a déjà choisi son camp. Ecrit avec justesse, Indika est une proposition brillante qu’on n’aurait cruellement envie de mettre entre les mains d’un cul béni pour le voir se liquéfier face à l’impasse du religieux. Expérience expresse qui s’achève en quatre heures chrono, l'aventure est courte mais maîtrisée de bout en bout. Dans le registre des bonnes actions bien réelles, elles, les développeurs d’Indika proposent d'ailleurs de reverser une partie des fonds aux enfants ukrainiens victimes de la fameuse « opération militaire spéciale » qui ne dit pas son nom. Rattrapés par la conflit, c’est depuis le Kazakhstan que les développeurs ont pu achever leur œuvre. Cachez moi cette guerre que je ne saurais voir et dont on lit les traces indélébiles derrière les paysages désolés et personnages mutilés d'Indika. Le jeu d'Odd Meter démontre avec panache que la croyance ne tient qu’à un fil et que la religion n’existe que quand on renonce à se poser les bonnes questions. La messe est dite et on espère voir d'autres productions russes aussi engagées dans les années à venir.
Pour
  • Direction artistique enivrante
  • Dispositif narratif ingénieux
  • Le bruit des pas dans la neige
  • Les expressions d'Indika
  • Doublage intégral en russe
  • Côté incongru de la progression
  • Le mélange 2D / 3D
  • Clins d'œils bien sentis
  • Système de prières
  • Les fonds iront en partie à l'Ukraine
Contre
  • Durée de vie éphémère
  • Les énigmes à la grue peu inspirées
  • Fracture des prières sous-exploitée ?

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
3 mois

Qu’est-ce que j’ai aimé ce jeu, et quelle originalité. Il fallait vraiment oser faire un titre qui parle d’un tel sujet, c’est tellement rare dans le jeu vidéo. Il en met vraiment plein la gueule à la religion, mais avec finesse et tout en subtilité.

C’est d’œuvres à l’esprit punk comme celle-ci dont le jeu vidéo narratif a besoin, pas de vitrines UE5 aux dialogues pompeux comme Hellblade 2.

Mr Wilkes
3 mois

Eh bien moi qui joue quasiment pas, ce jeu m’intrigue sacrément! Merci pour le partage 😉

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