Si les génériques de Metal Gear vous faisaient sourire avec le nom d’Hideo Kojima qui apparaissait à chaque ligne, nul doute que Junk Head devrait attirer votre attention. Contrairement à ce créateur de jeu vidéo mégalomane, Takahide Hori a réellement travaillé seul, lui. Seul à l’animation, au script, à la photographie et au sound design, jusqu’au café qu’il se servait sans doute lui-même à la pause pour un projet qui s’est étalé sur plus de onze ans de travail quotidien. Présenté en tant que court-métrage en 2013 au festival Fantasia de Montréal, il faudra encore patienter sept longues années pour que Junk Head sorte de sa chrysalide. Présenté en avant-première à l’Etrange Festival à Paris et au Festival européen du film fantastique, retour sur cet ovni de l’animation nippone et sur l’œuvre de longue haleine d’un artiste solitaire !

« Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis et je suppose que cela n'a jamais été facile pour moi de demander de l'aide à d'autres personnes. Malgré cela, je ne pouvais pas contenir ma créativité et j'ai décidé de rayer mon propre passé... même si j'étais seul. »

Junk Head est un film réalisé par quelqu’un qui n’avait aucune expérience dans le cinéma. Un autodidacte qui a expérimenté lui-même en s’inspirant de tutoriels sur Youtube. Son œuvre, c’est un peu Voyage au centre de la Terre mais remplacez le cœur par une déchetterie où des créatures dignes de The Thing peuvent vous couper en deux à chaque coin de rue. « Les Hommes auraient outrepassé leur mortalité, abandonnant le mode de reproduction naturelle et délégué toutes les taches dangereuses à des drones » (coucou Amazon). Ce point de départ du scénario fait sans doute échos au malaise de la société nippone, le « Sekkusu shinai shokogun« , ou le « syndrome du célibat ». Cette pratique gagne une frange de la société japonaise qui s’enferme dans l’isolement, trouve le couple barbant et renonce même de plus en plus au sexe, jugé répugnant dans les cas les plus sévères. Junk Head propose en quelque sorte une version dystopique d’un Japon déshumanisé. Lors d’une des rares scènes à la surface de la terre, on y aperçoit les humains – avec des têtes identiques à celles de simili playmobiles – enfiler des perruques le matin pour se différencier les uns les autres. Le monde y est lisse et sans aspérité. Tout l’inverse des profondeurs où les clones se sont rebellés contre leurs créateurs et sont partis s’enfouir en exil.

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« Je regardais dix films par jour. C’était comme une addiction et quand je regardais des films, je me demandais toujours ce que je ferais différemment si c’était les miens. Quels changements ? Qu'est ce qui était ennuyant ? »

Notre héros, las d’une vie plate et aseptisée, rêve de devenir l’Indiana Jones des temps modernes. Le bougre ne va pas déchanter en s’enrôlant dans l’une de ces périlleuses missions en terre hostile afin de retrouver l’origine de la fécondité. À peine propulsé dans un caisson vers les profondeurs, qu’il est victime d’un tir de roquettes du Hamas local. Décapité, c’est le début des déboires alors que de curieuses créatures humanoïdes vont le rafistoler… Takahide Hori a également choisi de faire parler ses personnages dans un langage imaginaire à l’instar du « Yaourt » d’Animal Crossing. Avec une entrée en matière comme celle-ci, il va sans dire que ma curiosité s’éveillait. Outre les qualités certaines de son univers baroque, Takahide Hori a tout réalisé lui-même de A à Z. Certains diront peut-être que l’animation est parfois hésitante, d’autres au contraire y verront un hommage appuyé aux vieux films de Godzilla et King Kong

Pour ma part j’appartiendrais davantage à la seconde catégorie. Par ailleurs, si l’animation n’est pas parfaite, loin s’en faut, elle est très bien mise en valeur grâce à des effets de caméra, slow motions et plans dynamiques qui rendent l’action très efficace. Tout a été filmé à 24 images par seconde, ce qui participe à la fluidité de l’ensemble. Takahide s’est filmé lui-même sur fond vert pour retranscrire ensuite les mouvements sur les modèles qu’il a confectionnés et peints à la main. Tout a été façonné de toute pièce dans son studio de Kujukuri au Japon. Certains décors faisaient même plus de dix mètres de long ! Après avoir été remarqué lors de festivals internationaux, le réalisateur autodidacte a même été approché par Hollywood. Mais il ne parlait pas anglais du tout et il les a même ignorés comme il le reconnaît lui-même lors d’une interview accordée au media NHK World Japan. La division des taches propre aux gros studios ne l’intéressait pas, quand bien même la proposition eut été alléchante.

« Le fait que tout ça se soit passé est un miracle. […] J’étais juste une personne réalisant un travail créatif. Et je l’ai fait ! Et c’est parce que je refuse simplement d’abandonner. C’est l’histoire de mon film. Le personnage principal est juste une personne normale. »

Quand notre héros téméraire est pourchassé par des monstres difformes que ne renierait pas HR Gieger ou que des créatures se font dévorer par des vers géants, la réalisation pêchue transfigure ces scènes particulièrement gores. Le film prend une structure parfois proche du jeu vidéo avec des « quêtes annexes » qui seront confiées à notre malheureux explorateur. Partir acheter des champignons sur des cultures de dos humains, se faire prendre en chasse par des créatures qui défèquent par la bouche ou encore combattre des mutants avec un trio de chasseurs bedonnants, le film enchaîne les situations les plus saugrenues avec humour. 

On reprochera seulement un montage parfois abrupte, surtout vers la fin du film malheureusement précipitée et certaines scènes qui auraient peut-être gagné à être retirées pour la version finale, afin de gagner en rythme et éviter de s’éparpiller en route. Certains décors restent également minimalistes ou ont été réutilisés, contrairement à la profusion offerte par Mad God également présenté dans la compétition de films d’animations et récompensé à l’Etrange Festival. Pour peu que vous fassiez abstraction de ces quelques menus défauts, Junk Head offre un voyage sans pareil, si bien qu’on en viendrait presque à espérer une suite, en partie soufflée par le réalisateur, bien décidé à continuer son travail d’acharné. En attendant un éventuel Junk World, retrouvez nos impressions ci-dessous en vidéo.

« Il est envoyé dans cette mission sous-terraine même s’il n’a pas de compétences particulières. Mais il n’abandonne pas. Il est déterminé à finir cette mission […] D’une certaine manière, c’est un parfait miroir de ma propre histoire ! »

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
2 années

Ça file le tournis d’avoir réalisé toute l’animation tout seul.

Dernière édition le 2 années par Ummagumma
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[…] inaperçu. Alors que Takahide Hori a travaillé près de 11 ans seul dans son studio pour accomplir Junk Head, Mad God est un autre projet ambitieux, mais cette fois-ci collectif. Démarré il y a plus de […]

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[…] Halloween de Shadowz reste quant à elle pantagruélique : une quarantaine de films, dont Junk Head, La Planète des Vampires de Bava ou encore Good Boy que nous avions chroniqué en direct du […]

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