Elisabeth est une star du body fitness. Du jour au lendemain elle est congédiée gracieusement par le boss de la chaîne qui souhaite lui trouver une remplaçante plus jeune donc plus à même de booster l’audience de ce show vieillissant. Coralie Fargeat, réalisatrice de The Substance, signe une comédie (body)horrifique grisante. Avec ce second long métrage, elle singe (sans fard) notre société du spectacle et ses égéries kleenex selon la bonne vieille recette capitaliste appliquée aux êtres. Une gifle provoc et outrageusement trash, ton sur ton avec le tapis rouge de la croisette.
Critique de The Substance
Des visages, des figures
Si The Substance a certainement divisé le public cannois à cause ou plutôt grâce à son goût affirmé de la surenchère et de l’hémoglobine, les habitués des films de genre avaient d’entrée de jeu flairé un parfait candidat au body horror. Au casting, Coralie Fargeat offre un comeback fracassant pour l’actrice Demi Moore. Cette dernière partage le premier rôle d’Elisabeth avec sa « doublure » Sue, jouée par la très photogénique Margaret Qualley. Rattrapée par la vieillesse, épée de Damoclès ô combien douloureuse pour les stars du grand écran, Elisabeth participe à un mystérieux programme « médical ». Véritable kit de drogué sur mesure, elle commande ses doses et son traitement, presque comme on commande un Deliveroo. « Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer ce nouveau produit : The Substance » annonce cette offre commerciale. « Plus jeune, plus belle, plus parfaite »… le pléonasme est partie intégrante du dispositif scénographique.
Le produit miracle prétend générer un double de nous-même au sens littéral du terme. Une cure de jouvence prodigieusement expliquée dans l’intro minimaliste et qui annonce la couleur. Une seringue apparaît à l’écran et injecte le précieux liquide dans un jaune d’œuf. Et paf, quelques secondes plus tard, l’ovule se voit dupliqué… The Substance joue constamment sur la métaphore et les parallèles. On a rarement vu un film employer autant des objectifs macro tout au long du métrage pour produire des images épidermiques. Le décalage est largement amplifié par des bruitages cliniques, exagérément saturés. Les décors eux aussi sont épurés à l’excès afin de se concentrer sur les sujets. Il suffit de voir le PDG du groupe de la chaîne de TV manger une crevette pour avoir la nausée ! Coralie Fargeat annonce immédiatement la couleur : les corps vont être décortiqués jusqu’à révéler la chair. Les lumières sont tellement vives sous les projecteurs que les acteurs sont privés d’ombres. Dans le monde cruel du showbiz, impossible de cacher le moindre défaut.
Dévisagent, défigurent
Cette outrance permanente, la réalisatrice française la cultive tout au long du film avec une insolence jouissive. Qu’importe la cohérence des choix des personnages animés par un aventurisme discutable, tout est orchestré dans l’optique de produire des images chocs. A l’image des règles un peu débiles des Gremlins, le traitement The Substance suppose le respect de règles sommaires que nous n’énoncerons pas toutes ici pour préserver la découverte. Pour le suivi médical, il faudra repasser et si le pitch de départ cultive nombre d’incongruités, c’est au bénéfice d’un humour noir situationnel… et un discours critique plus malin qu’il y paraît.
The Substance sépare les corps et les esprits en réduisant nos corps à de simples enveloppes interchangeables. Métaphore cruelle de la société de consommation appliquée à l’humain et tout particulièrement aux femmes, le film détricote méticuleusement nos représentations des corps par la caricature permanente. Elisabeth, comme sa version dupliquée, cultivent un égo démesuré, à l’image du culte de la personnalité qu’implique de longue date la célébrité. Un gigantesque autoportrait digne des dictatures soviétiques trône fièrement dans son loft. De quoi rappeler que le capitalisme entretient également son propre culte de la personnalité.
Film miroir, The Substance propose une cinglante critique de notre société de consommation et le choix de Demi Moore était tout trouvé. Celle qui apparaissait la première fois dans Choices en 1981, est l’actrice et symbole de toute une génération. Cette star d’hier a eu un parcours pour le moins cabossé. Qu’il s’agisse de son addiction à la cocaïne qui l’a longtemps entravée ou des années noires qui l’ont écartée du grand écran autour des années 2000, Demi Moore est l’archétype de la rançon du succès. Star un jour, fantôme le lendemain. La DLC des femmes exposées à la célébrité est courte, très courte dans un monde qui cultive le fantasme de la jeunesse éternelle.
Des figurants à effacer
Pour ce film, l’actrice opère un changement radical avec un rôle osé pour ne pas dire terriblement gonflé. Derrière la caméra de Fargeat, le nu intégral est omniprésent à l’extérieur comme à l’intérieur. Critique baroque des mutilations mentales et physiques, The Substance n’aime pas le hors champ et le film inflige aux corps (et au spectateur) tous les sévices pour rester compétitif et aimé des autres. En ce sens, Coraline Fargeat s’inscrit dans la cour des grands du body horror, l’humour noir en plus. De Carpenter (lire notre rétrospective) à Cronenberg, les influences (nombreuses) ont été digérées et sont vomies au visage du spectateur qui, rappelons-le, est complice de cette exploitation humaine. La réalisatrice dissèque ainsi l’image et les corps en se réfugiant derrière la comédie, par nature plus propice aux excès.
La plus franche réussite de Coralie Fargeat est sans doute de s’être permis une telle liberté de ton qui confine à l’eschatologie. Outre Carpenter qui apparaît évident, d’autres réalisateurs font office de référence. Si la moquette reconnaissable de The Shining annonçait d’emblée les hectolitres d’hémoglobines à venir, personne n’était préparé à un tel tsunami lors de son final. La scène de l’ascenseur et ses vagues de sang dans l’hôtel Overlook est convoquée avec justesse. Les clins d’œil sont nombreux et ne sentent jamais la naphtaline, d’autant plus qu’ils sont systématiquement mobilisés au service d’un même message : écorcher la « pornographie » du male gaze.
Quand Sue danse pour le nouveau show où elle prend la place d’Elisabeth, les tons pastel d’un show aux airs enfantins tranchent avec les zooms au plus près des corps. Sommes-nous choqués par cette exploitation permanente des corps des femmes qu’impose la publicité ? Ses standards qui se sont imposés partout et tout le temps sont-ils véritablement un choix conscient ? C’est la mise en perspective que propose Coralie Fargeat en nous imposant à son tour un body horror décomplexé qui explique à raison sa sélection au festival de Cannes.
Des faces A, des faces B
Si on pourra peut-être lui reprocher un peu sa longueur (et encore), The Substance franchit un cap dans le cinéma de genre en mariant le body horror à la satyre. Certes les gros sabots sont de sortie, mais personne n’avait osé dénoncer avec un tel cran nos représentations en osant littéralement tout à l’image. Bravo aux producteurs qui ont cru en la démarche artistique. Rien que pour ça, Coralie Fargeat s’impose comme une autrice punk susceptible d’ouvrir le public à de nouvelles considérations critiques : celles d’une société paradoxalement plus axée sur la surface que sur les êtres, alors que notre regard dicté par le marché s’évertue à détruire scrupuleusement les deux. La thèse de Debord, « Le vrai est un moment du faux » est illustrée à l’écran. Régressif, outrancier mais jubilatoire, The Substance est une comédie noire féministe qu’on vous invite à soutenir lors de sa sortie en salle. Un bras d’honneur titanesque adressé à notre société du spectacle. Les Freaks sont-ils vraiment ceux qu’on croit ?
Bande-annonce de The Substance
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
Infos divers
: 6 novembre 2024
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