2022 : la guerre en Ukraine, les évènements climatiques extrêmes, le Quatar élu démocratie de l’année, l’Indonésie qui pénalise le sexe hors mariage et les USA qui rétro-pédalent sur l’avortement pendant que le monde découvre benoîtement que l’Homme le plus riche du monde est un parfait idiot. Heureusement qu’il reste un peu d’air au cinéma pour s’évader d’un tel marasme médiatique d’une planète qui vacille. Au diable les mauvaises nouvelles, depuis le Vietnam, la France et la Suisse, l’équipe de MaG dresse contre vents et marées son bilan de 2022, ses blessures et ses faiblesses comme dirait Natasha Saint-Pierre.
Sommaire
Le bilan de KillerSe7ven
TON REGARD SUR LE CINÉMA DE L’ANNÉE 2022 ?
Difficile de parler cinéma sans parler production et médias qui vont de concert pour mettre en lumière des films différents. Cela fait déjà un an et demi que MaG taille sa route sur le créneau ô combien meurtrier de la presse culturelle. Des médias chaque jour plus endeuillés par la fermeture, sinon les rachats de grosses pointures. L’équipe de Gamekult gentiment congédiée par l’ogre Reworld Media, une concurrence toujours plus rude par les algos de YouTube, des kickstarters qui fleurissent sur des cimetières pour des sites spécialisés condamnés à l’aumône, l’équipe de Tracks licenciée manu militari… Tout ça avec le sourire.
La pop culture et la presse indépendante en général accusent le coup crise après crise face à un paysage médiatique toujours plus concentré, courtisé par les grandes fortunes et quadrillé par la marchandise. Surtout ne pas froisser le spectateur, avant tout consommateur…
L’année 2022 a pour ma part était largement dédiée aux festivals de ciné (six au total). Si les salles obscures ont pu rouvrir leurs portes au printemps 2021, les mesures sanitaires pèsent encore sur la fréquentation des salles aujourd’hui, même si ce n’est qu’un facteur parmi d’autres des changements d’usage à l’œuvre. Disons le franchement, la fermeture des salles était une aberration prise par des décideurs plus intéressés par la croissance que la sauvegarde de la culture.
Certaines pépites comme X n’ont eu droit qu’à très peu de créneaux au cinéma…
Paradoxe oblige, si bon nombre de films que j’ai aimé ont fait des fours cette année et qu’aucune production française ne figure au top 10 du box-office 2022, tout n’est pas noir pour autant. J’ai eu un rapport totalement renversé lors de ces festivals où toutes les salles étaient bondées. J’ai le souvenir d’une séance coréenne à la chaleur étouffante lors de la fermeture de clôture du festival fantastique de Strasbourg. Comme une lueur d’espoir face à des films fantastiques parfois tristement confinés aux plateformes de streaming.
Combien de films primés cette année sont sortis en salles ? Ego et Blaze n’ont pas eu ce privilège malgré le nombre de titres raflés. Certains comme Mad God, vu en avant-première en 2021, ne sortiront qu’en 2023, la faute sans doute à un carambolage de sorties post COVID. Quand bien même, un simple aperçu des séances disponibles du dernier Marvel Black Panther contre un film comme X est révélateur; sur la même journée : 10 contre 1. Et encore il s’agit d’un UGC de Strasbourg, ville inondée de fonds européens et donc largement épargnée par rapport à certaines campagnes.
Découvert en 2021, Mad God est attendu pour le 26 avril 2023 en France
Tout ça pour dire qu’il faut sans doute chercher le public à bras le corps et l’inscrire dans des évènements festivaliers largement plus visibles face aux campagnes publicitaires gargantuesques de Disney et assimilés. Un festival bien organisé dispose d’une comm’ solide, d’un « village fantastique » où échanger avec les acteurs et réalisateurs à Strasbourg, de rétrospectives, de concerts, de conférences et dédicaces à Annecy, etc. La France a encore la chance de financer des festivals un peu partout et pas seulement dans les grandes métropoles. C’est d’ailleurs mon prochain objectif en 2023 : viser des festivals moins connus.
Bref, il est urgent de rendre vivantes les salles obscures pour décrocher les accrocs du canapé qui ne jurent plus que par le combo Netflix Deliveroo. Ça paraît creux dit comme ça, mais le cinéma n’existe qu’au travers de son public. Et je n’ai jamais été autant surpris qu’en prenant la peine d’aller en festival faire confiance à des sélections plurielles à Strasbourg comme à Annecy, Paris, Bruxelles ou Montréal.
Avatar: La voie de l’eau utilise une technologie de pointe qui a même fait planter certains vidéoprojecteurs de ciné !
Autant de festivals derrière lesquels des équipes expérimentent et tentent de rendre visible des artistes du monde entier. Une démarche à prendre qui demande certes un peu plus de temps (et de squatter les apparts des potes en dehors de Strasbourg), mais tellement plus riche. Même Avatar gagne à être vu en salle de ce que j’ai pu lire ! Aller au ciné, c’est autant un acte politique qu’aller chercher une baguette en boulangerie plutôt qu’au Super U du coin. Et qu’est-ce que c’est meilleur. Alors comme on dit dans le jargon, sors toi les doigts du c**, retourne au ciné et soutiens les médias indépendants !
LES CINQ FILMS QUI T’ONT MARQUÉ EN 2022 ?
Si j’ai vu plein de belles choses cette année, j’en ai aussi raté des tonnes, faute de temps. Au rang des résolutions 2023, rattraper Everything Everywhere All at Once, Pacification, Pinocchio, EO, Leïla et ses frères, La Nuit du 12, La Conspiration du Caire, Sans filtre, Glass Onion et Avatar: La voie de l’eau même si j’irai à reculons pour ce dernier, étant peu sensible à la vision souvent manichéenne de Cameron et de sa « fable écologique » supposée.
De festival en festival, c’est tout naturellement une sélection largement indé que j’ai décidé de mettre en avant. J’aurais aussi pu citer en vrac le truculent X, le fascinant Diabolik, les curiosités Demigod et Inu-Oh, le thriller As Bestas malgré son dernier tiers et même le dérangeant Ego, découvert dans le froid des Vosges.
Blaze et la question du viol infantile
Si j’ai bien un regret en 2022, c’est de ne pas avoir pris le temps de publier un article sur Blaze. « Témoin de la violente agression d’une inconnue par un homme, Blaze se réfugie dans un monde imaginaire peuplé par un dragon ». Ces quelques lignes de synopsis ne sont pas révélatrices de la beauté de ce film qui traverse toutes les étapes des victimes de violences sexuelles depuis la perspective des agressés.
D’une finesse folle, ce premier long métrage de la plasticienne Kathryn Barton ne tombe jamais dans la surenchère. Toujours sur la ligne de crête, c’est la suggestion qui guide le spectateur vers la révélation du malaise. Chaque plan obéit a sa propre grammaire de l’imaginaire de l’enfance tout en laissant deviner au spectateur les traumas béants des victimes. Magnifique de bout en bout, Blaze sait saisir la question du viol infantile avec intelligence, force et courage. Un film sans égal dans son approche sur ce fléau sociétal toutes classes sociales confondues.
Speak No Evil, otages de notre bienséance ?
Speak No Evil est un essai sur la politesse, un home invasion inversé qui, à l’image de Funny Games, privera aussitôt le spectateur de toute espérance. Le long-métrage de Tafdrup illustre à merveille l’expression « se jeter dans la gueule du loup ». Comme tout Home Invasion qui se respecte, quand on a ouvert la porte de notre espace privé à l’étranger, comment faire machine arrière ? Un film glacial qui détrône probablement Haneke par sa puissance et l’élégance de sa mise en scène crue. Un chef-d’œuvre du genre à réserver à un public averti et un film tristement condamné à la VOD malgré sa présence au Sundance et à Fantasia.
The Innocents, candide cruauté
Des enfants se découvrent des pouvoirs paranormaux qui s’additionnent et se combinent lorsqu’ils sont réunis. Se dessine alors une autre forme d’éveil confronté au pouvoir d’adjuger la mort. The Innocents d’Eskyl Vogt est un exemple du cinéma nordique et sur la cruauté de l’enfance. Sobre et élégant dans sa mise en scène, The Innocents est épuré et propose un huit clos entre quatre HLM où l’enfance éprouve les limites du pouvoir. Là encore, la tension est reine du début à la fin. Un film scandinave qui avec Speak No Evil rappellent que le Nord est à la pointe du cinéma de genre ces dernières années.
⇒ Ma critique et le test Blu-ray
⇒ L’interview d’Eskyl Vogt
Les Nuits de Mashhad, un film d’avant garde
Le cinéma iranien gagne d’autant plus en intérêt que les faits qu’ils dénoncent sont à l’avant garde de la révolte iranienne actuelle. Avant la révolution islamique de 1979 et malgré l’existence d’une forte censure sous le régime du chah, le cinéma iranien parvenait encore à produire des œuvres variées abordant tous les genres.
Mais depuis l’avènement de la République islamique et aujourd’hui la révolte de la jeunesse iranienne, produire un film avec des visa d’exploitation est un casse-tête qui nécessite de faire preuve d’une inventivité folle comme de soutiens étrangers. Un pouvoir en fin de règne accroît la pression sur les artistes et cherche à faire du cinéma un vecteur idéologique de propagande. Alors que l’actrice Taraneh Alidoosti révélée par Leïla et ses frères vient tout juste d’être arrêtée, soutenir le cinéma iranien trouve une résonance toute particulière aujourd’hui.
Après La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi ou encore Marché noir d’Abbas Amini, Les Nuits de Mashhad du réalisateur iranien (et danois) Ali Abassi m’a particulièrement remué cette année. « Un père de famille se lance dans sa propre quête religieuse : nettoyer la ville sainte de Mashhad des prostituées ». Une journaliste va alors mener l’enquête pour révéler l’origine du tueur alors que la police n’est pas pressée de résoudre l’enquête. Les Nuits de Mashhad révèle toute les fractures de la société iranienne dont une partie n’hésitera pas à faire du tueur un martyr. Tiré d’une histoire vrai, le film est un crève-cœur sur la transmission de valeurs mortifères par l’intégrisme et le fanatisme religieux. Un film saisissant du début à la fin.
The Batman, un long halloween crépusculaire
Finissons quand même par un blockbuster et pas des moindres : The Batman. En revenant aux sources du plus grand détective privé, campé ici par un Robert Pattinson crépusculaire, c’est la figure vampirique de Batman qui est la plus saillante. Le teint blafard, le visage angulaire et les cheveux en bataille, le jeune Bruce Wayne vit dans la douleur d’un deuil éternel : celui de ses parents abattus par la mafia dans une ruelle sombre comme Gotham en regorge. A des années lumières de l’assurance et de la vantardise du milliardaire sur sa quarantaine dans les précédents volets, c’est un Batman nettement moins affirmé et séducteur qui domine ici.
Quasi gothique avec sa démarche lente et ses bottes de cuir, Robert Pattinson prend des airs de dépressif dans ce long métrage -un peu long et loin d’être parfait- mais tellement audacieux dans la forme. À des années lumières de Marvel, DC emprunte depuis Joker une voie d’auteur bien plus marquée qui prouve qu’on peut très bien faire un film de super héros (plus) intelligent tout en respectant les comics.
⇒ Ma critique et le test 4K Ultra HD
⇒ 20 comics pour apprivoiser la chauve-souris
La vraie « fable écolo » de cette fin d’année est espagnole et elle s’appelle… Unicorn Wars !
Bon… j’ai triché j’ai rajouté un sixième film que j’avais injustement oublié comme je l’ai découvert il y a un moment à Annecy… je me serais senti chiffon de ne pas parler d’Unicorn Wars, alors qu’il a est tout juste sorti fin décembre comme un cadeau Chronopost en retard d’un Père Noël aviné au réveillon. Quoi de mieux pour clôturer l’année 2022 que des oursons qui mènent une guerre sainte contre des licornes ?
Sous ses airs de bisounours illuminés à la mescaline, Unicorn Wars est bien plus qu’un anime gore. Le réalisateur Alberto Vázquez use de l’art de la subversion pour mieux nous servir une fable intelligente et qui interroge directement notre rapport à l’Autre comme à la Nature. En alternant les registres pour mieux en travestir les codes, Unicorn Wars passe effrontément du comique au slasher jusqu’à la tragédie. Unicorn Wars est un puissant pamphlet contre l’Homme et son rapport à l’altérité, mais aussi contre la domination de la Nature. Un classique instantané qui fait preuve d’une radicalité qui manque à mon goût à Cameron.
⇒ Ma critique avec l’interview d’Alberto Vázquez
TA DÉCEPTION DE 2022 ?
Si Matrix Resurrections échappe de justesse pour des raisons calendaires, j’aurais pu citer le déchet Jurassic World: Le Monde d’après (injustement récompensé au box office), mais cela aurait été malhonnête, puisque qui dit déception dit espérance. Or il n’y a plus rien à attendre de la franchise après le second volet. Idem pour Buzz qui était franchement nul pour du Pixar. Loin d’être un mauvais film pour autant, le dernier James Gray m’a lui aussi laissé sur ma faim par son académisme et le manque d’implication émotionnelle. Alors en y réfléchissant bien et quitte à taper dans la fourmilière, je dirais Dune que j’ai trouvé bien trop lisse malgré une réalisation de qualité.
Dune, la froideur du désert ?
Alors que Blade Runner 2049 est un monument et un film tellement libre dans l’approche, j’ai trouvé Villeneuve plus cadenassé par les codes hollywoodiens avec Dune. Si la réalisation reste de bonne facture, le film est plutôt plat, tristement prévisible (coucou la mort de l’oncle badass) et si peu violent. Pour un désert supposé invivable, pas une goutte de sueur sur les personnages. Jamais.
Tout le monde est propre et sur son 31 même en plein cagnard. On est à des années lumières d’un film organique comme Alien où ça suinte jusqu’à presque nous faire sentir l’odeur de sueur crever l’écran. C’est dommage car les vers sont réussis et l’esthétisme général reste maîtrisé, mais il y avait matière à faire quelque chose de moins scolaire et autrement plus chaud. Poser son univers, c’est bien, raconter quelque chose, c’est mieux. Peut-être pour les prochains ?
LE FILM QUE TU AS NOTE SUR TON CALENDRIER EN 2023 ?
Si on voit beaucoup la secte spielbergienne se palucher sur Twitter sur le très prometteur The Fabelmans, je suis pour ma part aussi curieux qu’effrayé de voir ce que peut faire un américain comme Ridley Scott avec Napoléon, figure tellement marquée politiquement. Il n’en reste pas moins que le réalisateur avait déjà montré ce dont il était capable avec l’excellent Le Dernier Duel et avec Joaquin Phoenix au casting, difficile de ne pas s’emballer. Dans une moindre mesure, pour les français cette fois-ci, il faut reconnaître que la grosse production Les Trois Mousquetaires a de la gueule !
En dehors des surprises indés qui ne manqueront pas d’égrainer les festivals, j’attends de pied ferme Spider-Man: Across the Spider-Verse. Le premier était une claque dans le monde de l’animation et l’extrait que j’ai aperçu en avant première à huit clos à Annecy est hyper prometteur. C’est le film que j’attends le plus en 2023.
⇒ Mes premières impressions depuis Annecy
Attendu pour le 2 juin 2023, Spider-Man: Seul contre tous sera-t-il à la hauteur de mes espérances ?
Pour me détendre, j’irais voir ce bon vieux John Wick qui devrait encore tuer tout un peloton de mafieux pour venger son chien. J’espère secrètement que le prochain Evil Dead sera à la hauteur du dernier, encore inégalé en termes d’effets spéciaux maison sanguinolents. Je suis aussi intrigué par l’arrivée de Mario sur grand écran et dans l’attente d’un peu d’audace pour le second Dune. Parce qu’il faut bien rire un peu dans ce monde de brutes, j’attends aussi Winnie-the-Pooh: Blood and Honey qui n’a pas l’air de voler bien haut mais qui m’intrigue avec un synopsis pareil.
TA RÉSOLUTION POUR 2023 ?
Même si le monde bascule dans le chaos sauce Mad Max chez les soviets, je vous garantis que MaG couvrira les derniers festivals de l’apocalypse, dans l’allégresse de la fin du monde et l’odeur frelatée d’un dernier schnaps paysan. Je me réjouis déjà.
J’ai toujours su qu’un ours qui ne portait pas de slip n’était pas fréquentable
Le bilan du loup celeste
TON REGARD SUR LE CINÉMA DE L’ANNÉE 2022 ?
Alors que l’année qui vient de s’écouler a vu les plateformes de SVOD revenir brutalement à la réalité, la période dorée étant désormais derrière nous avec la « fin » de la pandémie, le box-office français aura été dominé par des productions américaines (Avatar: La voie de l’eau, Top Gun: Maverick et Les Minions 2: Il était une fois Gru pour le trio de tête) et non françaises.
Top Gun: Maverick a allègrement franchi le mur du son du box-office français
Ne figurant pas sur le podium des 10 plus gros succès de l’année, le cinéma français aura malheureusement été à la peine alors que l’offre était généreuse (309 films ont été projetés) et que les propositions de qualité ne manquaient pas (Adieu Monsieur Haffmann, As Bestas, Coupez !, En corps, Fumer fait tousser, Kompromat, La Nuit du 12, Les Cinq Diables, Les Vedettes, Novembre, Ogre, Pacifiction et j’en passe). Pour trouver la première production made in France dans ce box-office, il faut atteindre la 11ème place avec Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ?. Une situation qui n’était jamais arrivée depuis 1989 !
Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ? à la rescousse du cinéma tricolore
Cette contre-performance serait-elle due aux conditions sanitaires qui étaient encore difficiles ? Devons-nous nous inquiéter pour le financement des films d’auteurs ou les découvertes ? Seul l’avenir nous le dira, mais il est important d’aller au cinéma ! Ne vous laissez d’ailleurs pas berner par Netflix qui affirme que les salles de cinéma sont condamnées à disparaître, ni même par le géant Disney qui a haussé le ton contre la chronologie des médias alors qu’elle a essentiellement pour but la sauvegarde de l’exploitation en salle des films.
La SVOD, un sérieux concurrent à la fréquentation des salles obcures ?
Chers lecteurs et lectrices, c’est grâce à vous que le cinéma ne disparaîtra pas des salles… Sortez-donc de votre domicile et faites-vous plusieurs toiles, l’éloge funèbre du grand écran n’étant pas encore venue ! Et en passant, soyez curieux… Car oui, le 7e art ne se résume pas qu’aux blockbusters et autres production formatées pour le plus grand nombre.
LES CINQ FILMS QUI T’ONT MARQUÉ EN 2022 ?
Si j’ai été « privé » de festivals en 2022 pour des raisons professionnelles, cela ne m’aura pas empêché de visionner près de 200 films (dont 90% sur support physique, c’est aussi ça d’habiter en pleine montagne) de toutes nationalités et de tous genres. Et si les grosses machineries que sont la magistrale œuvre anti-guerre À l’ouest rien de nouveau, le concentré d’action non-stop aux fulgurances formelles hallucinantes Ambulance (Michael Bay, le roi de la pyrotechnie), la nouvelle révolution Avatar: La voie de l’eau (les effets spéciaux du MCU se font dézinguer), le drame épique viking digne d’entrer au Valhalla The Northman et l’extrêmement bien piloté Top Gun: Maverick (le crépuscule solaire du héros Tom Cruise) auront « pulsé » mon année ciné, cinq autres productions seront parvenues à encore plus me séduire… 5, 4, 3, 2, 1, Action !
Ambulance ou l’hymne au chaos de Michael Bay
Athena : Un exercice de style crépusculaire conçu comme une grande tragédie-molotov qui n’assène aucune vérité (ni étude sociale ni message politique) et choisit de « regarder » le destin funeste de trois frères qui se déchirent. Et régi par une unité de lieu (une banlieue) et de temps (une nuit), ce tour de force technique (des plans-séquences hallucinants) sur fond d’émeute restitue le chaos avec une rare fureur pour mieux nous rappeler que la violence n’engendre que la violence. En résumé, un opéra nihiliste visuellement sidérant où tout le monde à sa part d’ombre.
Athena, le film choc de Netflix
Spencer : Tragédie shakespearienne à la lisière de l’horreur, ce vrai-faux biopic en huis clos à la beauté contemplative cortège Kristen Stewart, dont la performance fiévreuse est à saluer, entre les couloirs de « l’hôtel Overlook » pour mieux nous plonger dans l’âme torturée (et l’esprit harcelé) d’une princesse en détresse terrassante de fragilité. Sombre et angoissant, cet hommage déchirant à l’incomprise Diana Spencer n’est pas un simulacre !
Spencer, le cauchemar royal de Prime Video (pour la France)
The Batman : Dans ce blockbuster anti-spectaculaire qui redonne des « couleurs » au Chevalier (très) noir, le Bat vengeur et le Wayne névrosé s’aventurent du côté du thriller poisseux à forte consonance fincherienne. Instaurant un malaise durable, cette enquête initiatique qui n’a rien de super-héroïque nous entraîne, de fait, dans les bas-fonds d’une Gotham pluvieuse gangrénée par la corruption et la violence où la mise en scène est classieuse, le suspense omniprésent, les personnages pleins de caractères (entre le comics culte Un Long Halloween et l’arc narratif Silence) et le casting de haute volée. Assurément captivante et définitivement grunge, cette renaissance qui impose son pas lent est plus sombre que jamais !
The Batman, la renaissance de la chauve-souris
The Innocents : Entre chronique intimiste et thriller psychologique, cette fable surnaturelle hypnotique qui sonde les ténèbres de l’enfance (les jeunes comédiens sont très impressionnants) par le prisme d’un fantastique se refusant au spectaculaire, mise sur une approche sensible où la tension est intériorisée pour susciter une troublante angoisse qui va crescendo. Un bijou glaçant !
The Innocents, les inquiétants bambins venus du froid
Vesper Chronicles : Influencée par David Cronenberg, H.R. Giger et Hayao Miyazaki, cette fable d’anticipation élégiaque où le merveilleux se mêle à l’étrange ravive la SF européenne trop souvent asservie aux codes hollywoodiens. L’univers post-apo bio est crédible, les personnages sont solidement campés, la direction artistique manifeste d’une inventivité de chaque plan et le récit, même si classique, stimule la curiosité. Mûrement réfléchie, cette œuvre intimiste fait prévaloir l’homme sur le spectaculaire.
Vesper Chronicles, la post-apo biologique européenne
Et comme je ne m’attendais pas spécialement à une telle surprise, surtout sur Disney+ où les productions originales sont pour la plupart médiocres (le désenchantement Il était une fois 2), je tenais à décerner un « coup de cœur » à Prey où, revenant (dans le passé), le Predator « parachuté » se met en chasse d’une jeune Comanche dans un survival « primitif » et visuellement épuré qui a une gueule de porte-bonheur. Du sang frais pour la saga (déjà le 5e opus pour la créature de Stan Winston) où l’instinct de survie des deux chasseurs va les mener à un bras-de-fer d’une grande violence.
Prey (2022), un retour aux sources inespéré
TA DÉCEPTION DE 2022 ?
Si les scores au box-office demeurent impressionnants, le Marvel Cinematic Universe (MCU) commence sérieusement à me lasser depuis fin 2021 avec la toile du fan service Spider-Man: No Way Home. La carrosserie de cette grosse machinerie étant bien moins reluisante que par le passé, les déceptions s’accumulent et les ingrédients de la recette sont de plus en plus avariés. Espérons que l’arrivée de la phase 5 permette au studio Marvel de repartir sur de nouvelles bases.
Thor: Love and Thunder, fin du coup de foudre pour Marvel ?
Mais le problème ne touche pas seulement Marvel Studios, car hors les exceptions que sont Prey, The Batman, Top Gun: Maverick et Avatar: La voie de l’eau, la magie s’est tarie, épuisée par la lessiveuse hollywoodienne qui n’a de cesse de recycler ses franchises jusqu’à l’écœurement. Ce n’est donc pas un hasard si mes plus grosses déceptions concernent les 6e et 5e volets des sagas Jurassic et Scream…
Jurassic World: Le Monde d’après : Se torchant avec la promesse faite à la fin de Fallen Kingdom et métastasé par les pires tares du blockbuster hollywoodien d’aujourd’hui, ce Jurassic Portnawak qui débute comme un Fast & Furious piloté par James Bond avant de manœuvrer vers un remake crétin du premier volet « boosté » au fan-service éhonté, est un foutoir cinématographique où les dinosaures, très mal exploités et aussi effrayants qu’un Chihuahua à un défilé Chanel, ne font que de la figuration (alors qu’ils sont nombreux) dans une montagne d’absurdités. L’intrigue est hors-sujet, les facilités scénaristiques aussi grosses qu’un Indominus Rex dopé à l’hormone de croissance, la mise en scène plate au possible, le rythme indigent, les scènes d’action en pilotage automatique, la caractérisation des personnages absente (les anciens n’ont pas évolué en presque 30 ans), les acteurs à la ramasse (pauvre Jeff Goldblum), le suspense et la tension en voie d’extinction, les scènes cultes imaginées par Spielberg singées sans une once de talent et pire que tout, en sachant que le film ne repose que sur eux, la qualité des effets spéciaux régulièrement défaillante (entre incrustations bâclées et textures floues). Désenchanté et désincarné, ce patchwork mal branlé de la saga est une escroquerie où le vide et la stupidité triomphent sur tout le reste. Trop vieux pour ces conneries ? Peut-être !
Jurassic World: Le Monde d’après, l’extinction de la franchise ?
Scream (2022) : Si cette renaissance (non désirée) n’a de cesse de rendre hommage au premier épisode (et à Wes Craven) jusqu’à revenir sur les lieux du crime, elle ne parvient jamais à renouveler la formule (usée jusqu’à la corde) du slasher et se vautre dans un discours méta faussement malin (le concept était bien plus tranchant il y a 25 ans). Peu inspirée, parcourue d’attaques paresseuses et peuplée de personnages à claquer, cette suite qui a oublié le suspense sur le pas de porte (Billy Loomis ne hante pas le film) « hurle » de toutes ses forces le déjà-vu (un pastiche des meilleurs moments de la saga). Pour revenir (le 6e opus a officiellement été lancé), la franchise va devoir se remettre en question (et pas qu’un peu) car elle tourne en rond depuis très longtemps. Mais alors qu’elle se réfugie dans le passé, le peut-elle seulement ?
Scream (2022), le téléphone pleure !
LE FILM QUE TU AS NOTE SUR TON CALENDRIER EN 2023 ?
Si je nourris beaucoup d’espoir dans Dune – Deuxième partie, Indiana Jones et le cadran de la destinée (James Mangold oblige), Oppenheimer (l’après Tenet pour Christopher Nolan) et Spider-Man : Seul contre tous, c’est la nouvelle adaptation des Trois Mousquetaires, le diptyque pantagruélique du cinéma français porté par un casting 5 étoiles et réalisé par Martin Bourboulon (Eiffel), qui me mets l’eau à la bouche.
Réconciliera-t-il le public français avec les fictions de cape et d’épée ? Va-t-il se faire une place dans le top 10 du box-office français 2023 ? C’est avec attention que je vais suivre son parcours avec D’Artagnan le 5 avril et Milady le 13 décembre.
Les Trois Mousquetaires (2023), le blockbuster destiné à « sauver » le cinéma français
TA RÉSOLUTION POUR 2023 ?
Retourner en festival dès janvier avec Gérardmer du mercredi 25 au dimanche 29, continuer de tester des tas de disques de tous les continents, découvrir des pépites non mises en avant par la grande distribution et emmener MaG toujours plus loin !
Le bilan de Mr Wilkes
TON REGARD SUR LE CINÉMA DE L’ANNÉE 2022 ?
Cette année 2022 écoulée est pour moi celle d’un excellent millésime du septième art, avec plus que jamais une création foisonnante et des découvertes qui me resteront assurément en mémoire. En parallèle, la situation ne semble jamais avoir été aussi précaire pour les exploitants de salle et la presse culturelle. Étrange schisme, qui me fait redouter 2023, non sans réussir à ne pas trépigner d’impatience face aux titres qui s’annoncent, aux festivals que je vais pouvoir retrouver et aux inéluctables nouvelles découvertes cinématographiques qui, je l’espère, jalonneront l’année à venir autant que 2022.
LES CINQ FILMS QUI T’ONT MARQUÉ EN 2022 ?
L’une de mes plus grandes découvertes de l’année réside peut-être dans le début d’exploration d’une filmographie ô combien discutée, mais que je n’avais jamais osé aborder : celle de Jean-Luc Godard. Réputée hermétique, intellectuelle, compliquée – n’est-ce pas une ancienne ministre de la culture qui le qualifiait avec les termes de « profond ennui » ? – le monde Godard m’avait toujours tenu à distance. Et pourtant, à sa mort, malgré la moraline Fourest et l’ennui de l’ex-ministre, des passeurs ont réussi à me motiver à, au moins une fois, tenter l’expérience de son cinéma. Et bien m’en a pris car avec Le Mépris, puis À bout de souffle, j’ai vu probablement deux des longs-métrages qui m’ont le plus marqué cette année. Bien loin d’un hermétisme abscons, j’y ai dégoté un cinéaste du sensoriel, absolument passionnant dans les libertés qu’il s’autorise (et qu’on ne s’autorise plus que trop rarement aujourd’hui).
Jean-Luc Godard, le génial provocateur de la Nouvelle Vague, est mort à l’âge de 91 ans
Faisons un grand écart et abordons la production horrifique de cette année. Notamment au NIFFF (Festival du Film Fantastique de Neuchâtel), grâce auquel j’ai pu vivre deux de mes séances les plus marquantes de l’année : Deadstream du couple Winter et Men d’Alex Garland. Les deux programmés en projection de minuit, dans des salles absolument bondées.
Deadstream, soubresauts d’un genre en perdition ?
Le quatrième film que je souhaite aborder est EO de Jerzy Skolimowski. Cinéaste que j’avais découvert (et adoré) un peu plus tôt dans l’année, grâce à une recommandation sur Twitter, via son film le plus connu des années 70 : Deep End. Aujourd’hui âgé de 84 ans, le cinéaste polonais nous offre son hommage à Bresson (et à son mythique Au Hasard Balthazar) avec EO, du nom de l’onomatopée asine « hi-han » en version polonaise. Projeté dans le cadre du GIFF (Festival International du Film de Genève), il se désolidarise de toute narration en laissant littéralement à son âne le soin de monter son film. D’une beauté formelle à couper le souffle, EO se veut aussi un manifeste animaliste qui n’aura décidément pas laissé de marbre les festivaliers.
EO, l’âne qui ausculte la société
Et comment terminer ce compte rendu de cette année cinématographique sans évoquer Pacifiction qui fût, sans hésitation, la plus belle surprise de 2022. Quasiment trois heures d’un cinéma complètement défait de contraintes scénaristiques, et pourtant captivant de bout en bout. Si Benoît Magimel y livre une performance d’acteur qui s’impose comme la plus impressionnante de sa carrière, c’est surtout la méthode d’Albert Serra qui rend ce film si singulier : trois petites caméras, une majorité d’acteurs non professionnel, énormément d’improvisation ou de texte donné à l’oreillette et une obligation de continuer à jouer, peu importe ce qui se passe sur le plateau. Bref, un cinéma qui se laisse le temps (plus de 540 heures de rushes !) et qui permet à l’imprévu de se glisser dans le film. Magistral !
Pacifiction – Tourment sur les îles, un envoûtant voyage au bout de l’enfer
TA DÉCEPTION DE 2022 ?
Les deux pires séances de l’année furent, sans le moindre doute, Avec amour et acharnement de Claire Denis et Frère et Sœur d’Arnaud Desplechin. Une déception d’autant plus grande pour le second, puisque j’avais été agréablement surpris par l’un de ses précédents films, Roubaix, une lumière (2019). Mais force est de constater qu’ils ne s’inscrivent pas dans mes genres de prédilection et que ma petite déconvenue s’est plus traduite par une (longue) souffrance durant la projection que par un réel déchirement post-visionnage.
Frère et Sœur, l’interminable mélo familial
Là où les films m’ont le plus déçu, c’est peut-être dans le genre horrifique où le concept de Don’t Worry Darling et Le Menu m’avait carrément attiré et me promettait des films d’horreur stylisés et terrifiants. Les deux échouent, certes à des degrés divers, à transmettre la moindre sensation au spectateur. N’en subsistent que des spectacles lisses et un brin longuet, qui n’auront pas la panache d’un Barbare ou l’audace fauchée d’un Deadstream qui, eux, n’ont malheureusement pas su se frayer un chemin jusqu’en salles.
Le Menu m’a laissé sur ma faim
LE FILM QUE TU AS NOTE SUR TON CALENDRIER EN 2023 ?
Le film qui retient le plus mon attention – et dont je crains le plus le résultat final – est sans doute le prochain Ari Aster : Beau Is Afraid. Titre étrange pour cette comédie horrifique ayant en rôle principal Joaquin Phoenix et Nathan Lane, dont la date finale de sortie n’a pas encore été annoncée par A24.
Beau Is Afraid, le prochain film très attendu d’Ari Aster
Et sinon, j’attends évidemment la sortie prochaine de The Fabelmans d’une part puisqu’il s’agit d’un Spielberg, mais aussi (avouons-le) pour avoir le plaisir de retrouver David Lynch à l’écran, faute d’avoir un nouveau film de sa part.
TA RÉSOLUTION POUR 2023 ?
Reprendre des cours de physique quantique pour enfin parvenir à me dédoubler et pouvoir suivre toutes les séances de mes festivals de ciné préférés, sans apprendre après coup que j’ai loupé LA séance DU meilleur film de l’année.
Le bilan de PGaussem
TON REGARD SUR LE CINÉMA DE L’ANNÉE 2022 ?
Contrairement aux années précédentes, 2022 aura été une année relativement faste en matière de cinéma populaire et grand public. Les succès du second Avatar (James Cameron), en premier lieu, mais aussi Pinocchio (Guillermo del Toro), Top Gun: Maverick (Joseph Kosinski) et même The Batman (Matt Reeves), ont démontré que l’on pouvait encore produire de réels blockbusters sans s’épargner une écriture robuste et une mise en scène innovante. On peut ne pas aimer ces films, bien entendu, et je suis de ceux qui ne les exemptent pas de défauts plus ou moins importants.
Pinocchio par Guillermo del Toro, la plus belle adaptation du célèbre conte ?
Si les blockbusters type MCU sont encore des succès commerciaux, j’ai toutefois le sentiment que l’essoufflement créatif – et même qualitatif – généralisé de ce genre de production ont provoqué une certaine lassitude, même chez le spectateur lambda, ne venant au cinéma sans autre intention que de passer un bon moment (ce qui est tout à fait louable et honorable). Espérons, ou parions, que cela soit le signe d’une inévitable et nécessaire remise en question pour les grosses productions hollywoodiennes. Cette constatation, qui, j’ose le supposer, sera faite par les décideurs, est renforcée par le fait que de nombreux films marquants de cette année ne sont pas hollywoodiens.
Si je n’ai jamais été tourné uniquement vers le cinéma américain, aimant le cinéma asiatique depuis ma tendre enfance, je pense que c’est la première fois dans ma vie d’amateur de bobines qui font boum et paf, qu’un film indien, à savoir RRR (S.S Rajamouli) occupe la première place de mes « claques » cinéphiles. Même s’il n’est dans les faits pas sorti en 2022, j’aimerais aussi mentionner Freaks Out (Gabriele Mainetti). Ce film, que moi-même et une grande majorité du public ont découvert en 2022, remet la grande industrie italienne en orbite avec un film ambitieux, autant narrativement que visuellement. Qualité et exigence de nouveauté sont donc parfois au rendez-vous et tout ceci donne espoir pour la suite concernant l’irruption de nouveaux horizons cinématographiques n’ayant pas encore réellement fait leur place dans les choix d’achats de tickets du grand public.
Freaks Out, des super-héros pas comme les autres
Si je mentionne ces deux films en particulier (il y en a bien entendu d’autres), c’est aussi parce qu’ils sont des œuvres originales, ne partant d’aucune licence ou personnage patrimonial pour construire leur univers et parvenant tout de même à proposer un spectacle alliant aspirations esthétiques et conceptuelles innovantes aux délicats impératifs d’une production potentiellement mainstream. En effet, Avatar, Pinocchio, Batman, Ultraman, Hellraiser, Predator et autres – nous ne parlons pas ici des qualités et des défauts propres aux films en eux-mêmes – représentent le mal fou qu’ont les cinéastes à financer des œuvres ne se raccrochant pas à un passif rassurant et à des icônes ayant fait leurs preuves. Certains succès inespérés, comme Everything Everywhere All at Once (Dan Kwan, Daniel Scheinert), pour n’en citer qu’un, rendront peut-être nos producteurs et majors, pourvoyeurs, qu’on le veuille ou non, du cinéma populaire depuis des décennies, moins frileux et davantage prêts à financer avec les moyens nécessaires des projets plus innovants et risqué.
Hellraiser (2022), le retour de la terrifiante franchise
Une dernière remarque, moins satisfaisante, me vient aussi à l’esprit et concerne plus particulièrement les distributeurs français. Trois des meilleurs films de l’année selon moi, à savoir RRR (S.S. Rajamouli), Shin Ultraman (Shinji Higuchi) et Demigod: The Legend Begins (Chris Huang), malgré des critiques élogieuses et un engouement certains lors de leurs très rares projections en salle, essentiellement lors de festivals, n’ont connu aucune – ou quasiment pas – de diffusion en salles à l’heure qu’il est. Le but n’est pas de chercher des fautifs mais il est, à mon humble avis, temps de comprendre que diverses industries cinématographiques ont aujourd’hui les talents et les moyens de proposer des productions pouvant attirer le grand public – en comblant ses attentes en matière de grand spectacle et de divertissements – dans les salles obscures. Je considère, pour mon humble part, que cette situation dans laquelle des métrages d’une telle envergure artistique et au si fort potentiel commercial demeurent inconnus du public est, non seulement d’une tristesse absolue, mais constitue surtout une erreur et un grave danger pour le cinéma (en tant que lieu) lui-même.
Le fait que le public doive aller chercher ce qui a fait le sel cinématographique de 2022 ailleurs que sur grand écran (surtout quand ces productions sont indisponibles sur les plateformes de streaming légal) devrait très sérieusement alerter. À l’heure de la mondialisation et d’internet, il serait plus que temps d’ouvrir les yeux. Il y aurait encore énormément de choses à dire sur la situation du cinéma et sur ce que cette année aura apporté, pour le meilleur comme pour le pire. Cependant, ayant choisi de centrer mon propos sur la capacité des diverses industries à proposer un cinéma populaire encore innovant et ambitieux, je m’en tiendrais à ces quelques bafouilles.
LES CINQ FILMS QUI T’ONT MARQUÉ EN 2022 ?
RRR de S.S Rajamouli
Une claque. N’étant pas très connaisseur du cinéma indien, c’est avec grand intérêt que j’ai couru après les pépites locales au cours de cette année. Malgré quelques bonnes surprises, je ne suis jamais tombé sur des œuvres égalant celles de S.S. Rajamouli, et plus particulièrement de son jouissif et décomplexé RRR. Cette façon d’aller jusqu’au bout de ses idées, même les plus folles, de rompre le ton dans le plus grand des calme et la plus parfaite des maîtrises, de frôler le grotesque pour en arriver tout simplement au grandiose… Le cinéma de Rajamouli me renvoie aux années dorées du cinéma hongkongais. Même les scènes de chant et de danse m’ont plu c’est pour dire ! Un cinéma généreux, innovant, haletant et loin de tout cynisme. La bagarre, à coups de mains, de pieds, de tigres ou de motos, le tout sublimé par une mise en scène aboutie se caractérisant par des compostions de plan et des cadrages dingues. Bref, tout ce qu’on aime.
Roudram Ranam Rudhiram (RRR), le meilleur blockbuster de 2022 ?
Shin Ultraman de Shinji Higuchi
Dans la lignée du superbe Shin Godzilla, dont le titre apparaît d’ailleurs au début. Anno et Higuchi, changeant de rôle mais étant finalement un binôme dont il est difficile de toujours savoir qui fait quoi, poursuivent leur relecture des grandes icônes du tokusatsu. Moderniser tout en restant fidèle, voilà un défi que les deux complices parviennent à remporter avec brio. On retrouve les mêmes parti pris de mise en scène dès les premiers plans : caméra portée, montage rythmé faisant de la moindre scène « bureautique » une séquence d’action, photo et tons âpres et crus renforçant l’impression de réalisme. L’iconisation de Ultraman n’a jamais été aussi maîtrisée que lors de son apparition. Fidélité donc. Composé comme une suite d’épisodes de la série initiale, avec chacune leurs kaiju, dont on retrouve ici les plus marquants – mais conçus et animés de façon plus précise et moderne – le rythme du film n’est pas amoindri par ce découpage séquentiel pouvant désarçonner au premier visionnage. Le tout finit pourtant par former un ensemble cohérent. Anno ne peut s’empêcher d’approfondir ses réflexions sur l’humanité, aussi bien au sens ontologique qu’historique, amorcées avec Evangelion. Le mecha, le kaiju, parlent de leur auteur, mais aussi de nous. Rappelons qu’Anno, dès ses premiers essais cinématographiques, était pris par la tentation d’adapter Ultraman. Avec Higuchi, il s’en donne à cœur joie, laissant transparaître que sa vision du héros est le fruit d’une réflexion et d’un amour perdurant depuis de longues années. L’emploi des CGI est bien au-dessus de la moyenne de ce que l’on peut voir généralement dans le tokusatsu. Au-dessus de la mêlée, que ce soit en termes scénaristiques ou esthétiques et visuels, Shin Ultraman, tout comme son grand frère Shin Godzilla, fait mouche et va sûrement donner le la dans le genre pour les années à venir.
Shin Ultraman emboîte le pas à Godzilla Resurgence
Demigod : The Legend Begins de Chris Huang
Depuis les années 70, le studio Pili, institution et fierté nationale taïwanaise dirigée par la famille Huang, élabore séries et films wu xia pian (films de sabre) dans lesquels les protagonistes sont des marionnettes directement issues de l’art traditionnel et pluriséculaire du spectacle budaixi. Avec Demigod : The Legend Begins, préquelle à la série débutée en 1984 (et au long métrage Legend of The Sacred Stone, sorti en 2000) dans laquelle sont narrées les origines du héros Su Hua-jen, Pili entend en mettre plein la vue aux spectateurs du monde entier. Visuellement remarquable, la nouvelle production du studio fait partie intégrante d’une stratégie de conquête des marchés internationaux. Marionnettes à l’artisanat et la finition minutieuse, SFX convaincants, action débridée et brillamment mise en scène, le spectacle est total.
Demigod: The Legend Begins, le nouveau film du studio Pili
Avatar: La voie de l’eau de James Cameron
Visuellement c’est époustouflant. L’immersion est totale et la partie, très film documentaire (ce que beaucoup auront critiqué), sur la découverte du pays maritime des mektaniya est peut-être même ma préférée. Finalement, ce ne sont pas les scènes d’action, monstrueuses, qui font le film, mais cette réelle volonté de Cameron d’installer son cadre narratif dans un univers cohérent et plus vraie que nature. Cameron aime à se citer : l’initiation des Navi de la forêt au monde littoral et aquatique renvoie directement au premier volet où Sully doit apprendre les codes forestiers. La découverte de la mer renvoie bien sûr à Abyss et la scène finale, à bord d’un bateau sombrant verticalement dans les eaux, est une citation explicite de Titanic. Mais Cameron se plait aussi à citer McTiernan par deux fois : Le Treizième Guerrier avec le jeux des idiomes et Predator avec l’arrivée des antagonistes sur Pandora. Inattendu, la référence à Chang Cheh et son sabreur manchot trouve un usage parfait en donnant profondeur au personnage d’une baleine, poursuivant son arc avec une référence biblique, Jonas et le poisson. Mentionnons encore cette référence à Ford et Peckinpah (avec un peu de Leone) dans cette hallucinante attaque de train westernisante du début. C’est sûrement ce qui pour moi est le plus bluffant chez le réalisateur : cette maîtrise dans le réemploi d’images, de canevas et d’archétypes mille fois abordés afin d’en faire quelque chose de neuf. Car Cameron ne fait pas dans le simple, comme j’ai pu le lire ou l’entendre. Loin de là, Cameron fonctionne par archétype car il fait dans le mythe. Grosse nuance. Et qu’y a-t-il de plus difficile que de construire un mythe sans tomber dans le grotesque ou le déjà-vu? Car cette histoire « simple » brasse quand même une quantité de thèmes assez impressionnante (la famille, l’immigration, l’altérité, le colonialisme, l’identité, l’écologie, la transmission, etc.) sans jamais tomber dans le boursouflé. En paraissant simple justement. Et c’est là une marque qui ne trompe pas sur le talent d’un très grand cinéaste qui, n’ayant plus rien à prouver, a encore le culot de se soumettre ses propres défis. Je ne sais pas si c’est le meilleur Cameron, le meilleur film de l’année ou de l’univers… je suis sur la digestion et puis je m’en fous évidemment de cette question sans aucun sens. Par contre, c’est un grand, très grand moment de cinéma. Ça c’est indubitable.
Avatar: La voie de l’eau, la beauté bleue de James Cameron
Everything Everywhere All at Once de Dan Kwan, Daniel Scheinert
Un multivers fougueux et touchant qui renvoie le MCU jouer à la balle. Un drame familial, un conte social, un peu de Matrix et une pincée de kung-fu, le dernier film des réalisateurs iconoclastes de Swiss Army Man est une intelligente récidive. Ultra référencé (2001, Ratatouille…), brandissant sans complexe et avec fierté ses influences fondamentales, le film est une proposition de cinéma rare de nos jours. Des acteurs à contre-emploi (Michelle Yeoh, JL Curtis…) arrivent à nous surprendre, employés dans des scènes hilarantes ou carrément touchantes. Le tout est encore rehaussé par un sens de l’action indéniable (mention spéciale pour les vigiles mis KO à coups de banane). Un moment assez inoubliable pour qui adhère au côté fourre-tout et polyvalent du métrage.
Everything Everywhere All at Once, le vrai multiverse of madness
TA DÉCEPTION DE 2022 ?
Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi.
En tant que fanzouze de Sam Raimi, j’ai mis du temps à accepter l’idée que ce film était tout de même navrant. Me laissant le temps de la digestion, trouvant toutes les excuses possibles, rien n’y fit. En gros, nous avons à faire à un Sam Raimi qui se caricature lui-même. Quelques mouvements de caméra singuliers et directement reconnaissables, quelques design rappelant ses métrages antérieurs, quelques clins d’œil… tout cela est trop paresseux et trop flagrant pour être honnête. Le pompon étant d’ailleurs cette immonde scène d’ouverture aux CGI dignes des productions chinoises les plus médiocres (et Dieu sait que j’aime ça) et au découpage exécrable. On ne sait d’ailleurs plus qui fait quoi, Marvel ayant pris l’habitude de concevoir certaines scènes d’action en amont de la nomination du moindre réalisateur. Un beau gâchis. Un Marvel honorable. Un mauvais Raimi. Passons.
Sam Raimi s’est égaré avec Doctor Strange in the Multiverse of Madness
LE FILM QUE TU AS NOTE SUR TON CALENDRIER EN 2023 ?
Shin Kamen Rider de Hideaki Anno, quatrième volet de sa relecture des icônes de la pop culture japonaise après Evangelion, Godzilla et Ultraman bien entendu ! Le cinquième Indiana Jones, dont j’ai très peur, me fait aussi de l’œil et, pourquoi pas rêver, nous aurons peut-être droit au Ghost in the Machine et au Tau Ceti Foxtrot de John McTiernan.
L’année 2023 verra-t-elle John McTiernan, la légende du cinéma d’action, de retour derrière la caméra ?
TA RÉSOLUTION POUR 2023 ?
Faire la révolution et regarder des films. Je n’ai pas encore choisi l’ordre.
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
Nyctalope comme Riddick et pourvu d’une très bonne ouïe, je suis prêt à bondir sur les éditions physiques et les plateformes de SVOD. Mais si la qualité n'est pas au rendez-vous, gare à la morsure ! #WeLovePhysicalMedia
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
En grand écart comme Jean-Claude entre l'Asie et l'Amérique, j'aime autant me balader sur les hauteurs du Mont Wu-Tang que dans un saloon du Nevada, en faisant la plupart du temps un détour dans les ruelles sombres d'un Tokyo futuriste.
Catégories
Posts récents
Riddle of Fire, plongée fantasque dans un
- 6 décembre 2024
- 4min. de lecture
Eat the Night, mondes parallèles et France
- 5 décembre 2024
- 5min. de lecture
Neon White, speedrunner sa place au paradis
- 4 décembre 2024
- 13min. de lecture
Wanted: Dead, un charmant bordel !
- 4 décembre 2024
- 9min. de lecture
Rawhead Rex, le hurlement d’un gros nanar ?
- 3 décembre 2024
- 4min. de lecture
[…] Le sommet des Dieux qui avait été remarqué dans nos colonnes comme à Annecy l’année passée, semblerait-il que l’air de la montagne et les vertus de […]