Après Annihilation, c’est une nouvelle héroïne qui tient la dragée haute du dernier film d’Alex Garland. Sobrement intitulé Men, ce nouveau long-métrage s’inscrit largement dans le cinéma du mouvement post me too. Après avoir subi le chantage au suicide de son mari, Harper (Jessie Buckley) s’est réfugiée dans les campagnes anglaises. Un repli psychologique qui vire très vite au cauchemar, où les traumas du passé se mêlent, sinon se confondent, avec une omniprésence masculine. Aucun répit ni trêve ne seront accordés. Le patriarcat est affaire de maîtrise du temps et de l’espace, jalousement accaparés par l’Homme. 

L’agression passe, la vie trépasse

La première scène du film (et aperçue dans le trailer) est celle d’un simple croisement de regards entre Harper et son mari tombé depuis un balcon de l’étage supérieur d’un immeuble. Un improbable instant, une fraction de seconde dans la réalité mais une éternité conjuguée à la culpabilité pour la veuve en devenir qui s’annonce. Un ralenti qui rappelle un cauchemar qui s’éterniserait, comme une paralysie du sommeil dont l’acmé s’achèverait d’un cri de délivrance. Alex Garland a choisi une héroïne tourmentée, rattrapée par le passé et qui peine à trouver la quiétude depuis que son ex-conjoint s’est suicidé au cours de leur séparation.

Men
Le fruit défendu, une image bien connue

Dès les premières minutes du film, alors qu’elle découvre la maison de convalescence où elle espère renouer avec la sérénité, Geoffrey (Rory Kinnear), le propriétaire des lieux, multiplie les intrusions par de petites remarques assassines à la frontière du rire. Il lui reproche d’avoir cueilli une pomme du jardin avant de se rétracter devant la réaction d’Harper et de prétexter une mauvaise blague. Puis s’enchaîne une remarque sur le nom d’Harper qui supposerait la présence d’un mari. Ces quelques percées dans l’intimité de la jeune femme tranchent avec la bonhommie et la courtoisie si british de Geoffrey, un plouc et héritier à la bienséance paysanne.

Mansplaining psychologique

Men va ensuite multiplier les figures de la masculinité. Certains joueront alternativement les sauveurs et les oppresseurs. Systématiquement les rôles se renversent. Quand la police intervient alors qu’un détraqué erre sur la propriété dans son plus simple appareil, les gendarmes interpellent le malade mental pour mieux le libérer le lendemain. Une situation qui rappelle combien de faits divers où les femmes victimes de violences conjugales se confrontent au mur des proches comme de l’autorité garante de la paix publique que constitue normalement la police. Les plaintes parfois s’accumulent, les victimes reviennent chercher secours jusqu’au jour où il est trop tard pour déposer une énième alerte.

Comme une adresse à celles qui subissent dans l’indifférence, Harper lâche un « putain d’incapables » en quittant un comptoir de bistrot, campé par des Hommes. Le bar reste encore un repère bien gardé de la virilité et dont le comptoir en est le sanctuaire même. L’insulte renvoie presque au blasphème ! « Pourquoi vous faites ça ? » s’époumone Harper à un moment du film alors qu’elle est pourchassée. Tout un symbole de l’incompréhension des sexes face à l’oppression. 

Finalement tout est affaire d’un consentement qui ne sera jamais recherché. On assiste ainsi à un véritable mansplaining psychologique, qui trouble la paix convoitée par Harper. Cette dernière est bien loin des figures hypersexualisées et caricaturales qu’on retrouve dans les slashers des années 1980. La coupe garçonne, le regard déterminé, Harper est résolument déterminée à ne jamais céder à la peur. Très vite, on comprend que les codes vont s’inverser et que la peur n’est pas forcément du côté de l’héroïne.

Ce grand renversement va atteindre son paroxysme dans les dernières minutes du film avec l’incarnation protéiforme de cette masculinité vouée à engendrer les mêmes véhicules de l’oppression masculine. Une prouesse d’effets spéciaux qui donne lieu à une mue sans fin, à l’image d’une parthénogenèse infinie d’un moucheron qui renferme en lui les générations à venir. Comme une poupée russe du patriarcat, incapable d’enfanter autre chose que son propre modèle de domination masculine. Mais face à l’indifférence d’Harper, c’est tout un système qui s’effondre et le monstre devient aberration. Men choisit un épilogue optimiste, bien loin de la position victimaire souvent conférée aux femmes du cinéma d’horreur.

« Une femme qui n’a pas peur des hommes leur fait peur. »

Au-delà de cette métaphore du patriarcat et ses figures, le film d’Alex Garland ne souffre d’aucun travers quant à sa réalisation, maîtrisée de bout en bout. La scène du tunnel où Harper entonne un chant improvisé où l’échos fait office de chorale est une franche réussite et un grand moment de cinéma. Pourtant l’effet de suspense finit par s’essouffler, dès lors que la métaphore de cette masculinité toxique se file jusqu’à se détricoter au détriment de l’intrigue. L’effroi ne sera qu’esquissé lors des premières scènes, puis plus rien. C’est comme si la peur, à l’instar de son héroïne combattive, n’adhérait plus sur le spectateur.

Men
Le simple regard : une arme dans l'arsenal du patriarcat

Men s’enferme alors dans une accumulation de scènes fantastiques qui oublient sans doute que toute la force du genre réside traditionnellement dans la permissivité entre le réel et l’irréel. En basculant largement dans le second et en privilégiant le registre allégorique, Men est sans doute trop prévisible et c’est bien dommage. Avec seulement deux femmes au casting, dont un personnage secondaire à distance et une omniprésence masculine, les personnages s’articulent maladroitement ensemble, sinon pour dénoncer le peu d’espace qu’ils laissent aux Femmes. Là où l’on aurait sans doute attendu une atmosphère confinée plus proche du village de Resident Evil 4 ou celle des pécores de Délivrance, le réalisateur préfère enfermer son récit sur le plan psychologique.

De l’image du fruit défendu et de la culpabilité de celle qui accueilli la pomme à l’arrivée dans la propriété, Men n’est pas toujours subtil et use de ficelles parfois artificielles. C’est d’autant plus regrettable que la réalisation et le jeu d’acteurs ne sont pas mis à défaut un seul instant. Pour autant, Men reste un film aux idées intéressantes mais qui aurait sans doute gagné à choisir un format plus percutant pour mieux dévoiler sa critique d’une société encore largement trustée par des hommes.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] trop peu explorée), la seconde réalisation d’Alex Garland (après Ex Machina et avant Men), libre adaptation du roman éponyme de Jeff VanderMeer, reste un film mutant visuellement […]

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