Autre film d’animation présenté lors de l’Etrange festival comme du FEFFS, Mad God n’est pas passé inaperçu. Alors que Takahide Hori a travaillé près de 11 ans seul dans son studio pour accomplir Junk Head, Mad God est un autre projet ambitieux, mais cette fois-ci collectif. Démarré il y a plus de trente ans, ce long métrage revient de loin. À la barre, Phil Tippett, particulièrement connu pour son travail sur les effets spéciaux de licences aussi cultes que Robocop, la trilogie Star Wars ou encore Indiana Jones, Jurassic Park et Starship Troopers.

Critique de Mad God

Avec un pedigree pareil, autant dire que Phil Tippett part avec un avantage certain. Récompensé lors de l’Etrange festival par le prix du public, ce cauchemar est une plongée en enfer, un projet personnel qui a su traverser les âges et les techniques par sa genèse mouvementée. Stoppé, repoussé, menacé pour des questions d’ordre budgétaire, ce long-métrage en stop-motion avait tout du fantasme… Jusqu’à ce beau jour de 2021 où j’ai pu apercevoir l’Enfer !

Une genèse chaotique

Dans une interview accordée au média Boston Hassle, Phil Tippett raconte combien les films King Kong et The Seventh Voyage of Sinbad l’avaient marqué petit. Dès l’âge de dix ans et alors que son père était artiste, Phil Tippett commence à dessiner des monstres, peint et sculpte, inspiré par les peintures de Bruegel et Bosch. Il est également influencé par les réalisateurs Karel Zeman, Jan Svankmajer et Vadislav Starevich. Du côté américain, ce sont également les comics des années 1930-1940 qui ont sans doute participé à l’imaginaire du jeune Phil. Petit à petit, germe en lui l’idée évanescente d’un jour réaliser un film d’animation basé sur ces univers, où les thèmes de l’au-delà, de l’enfer et ses damnés y seraient prégnants. Les Concept Art et planches préparatoires ci-dessous témoignent déjà de l’imagination féconde de l’artiste. 

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Ce n’est qu’en 2021 que Mad God sera finalisé. Si le réalisateur a travaillé ces dernières années avec des techniques modernes comme les CGI, il n’a jamais cessé ses recherches pour Mad God en lisant des livres d’Art, de paléontologie et d’archéologie. En 1987, Phil est dépassé par sa propre ambition, alors que les images de synthèse annoncent l’ère du numérique. Ses collègues d’époque l’ont alors encouragé à reprendre le projet vingt ans plus tard et c’est après avoir lancé un Kickstarter en 2013 que Phil Tippett récolte 124 156 dollars grâce aux dons de 2523 contributeurs. 

L’équipe est constituée de volontaires passionnés de cette âge d’or, où les effets spéciaux étaient réalisés seconde par seconde, au prix d’un travail de damné. Les animateurs Chuck Duke et Tom Gibbons, le compositeur Dan Wool et le sound designer Richards Beggs sont étroitement impliqués et le projet avorté redémarre de plus belle. Dans la même interview, Phil Tippett s’amuse à raconter comment Milos Forman (réalisateur d’Amadeus et ami de sa compagne qui travaillait avec lui) l’encourageait à ne pas précipiter son projet, alors qu’il débutait seulement sa carrière :

« As a young filmmaker, I would ask him for advice, and his advice was some of the best I ever got: If you want to take a good shit, you have to eat well. »

Un fil d'Ariane dans un labyrinthe cauchemardesque

Véritable labyrinthe de décors étranges, l’œuvre de Phil Tippett regorge de détails à l’instar des peintures de Brueghel et Bosh dont il s’inspire. Le réalisateur joue avec les effets de profondeur et chaque scène est une superposition de plans et de matières. Le défilement est tantôt vertical, tantôt horizontal et on a parfois l’impression d’assister à un scrolling de jeu vidéo. Certains modèles rappellent également la série Little Nightmares. Toute la richesse de son travail découle également des matières employées, des filtres et techniques combinées. Parfois filmé en 35 mm, le film bascule aussitôt en numérique. Phil intègre également de vrais acteurs au milieu des marionnettes. Film muet qui rappelle parfois l’expressionisme allemand par sa radicalité, Mad God n’est cependant pas avare en grognements, cris et supplications.

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Dans ce manège mortuaire, où il se passe systématiquement quelque chose sur plusieurs plans superposés, un personnage à l’apparence tout droit sorti d’un bataillon nazi de Wolfenstein descend toujours plus profondément, impassible devant les horreurs auxquelles il assiste. Là-dessus, le film n’est pas avare en hémoglobine et en fluides corporels. Des géants qui se font électrocuter à la chaine génèrent des torrents de merde, eux même ingurgités par des créatures répugnantes en contrebas. Démembrements et vivisection génèrent leur lot de bruitages tout aussi vomitifs. Toujours mutique, le film génère pourtant une atmosphère oppressante et un univers réinventé à chaque scène. Mad God est un régal d’horreur, un film d’animation comme vous n’en avez jamais vu. 

L’illusion est organique, à des années-lumière d’effets spéciaux numériques lisses et sans âme. Tout comme les Animatronics de Jurassic Park plus crédibles que les images de synthèse de son ersatz Jurassic World, ou les forêts foisonnantes de Dark Crystal autrement plus vivantes que celles d’Avatar, Mad God dégage de la vie comme nul autre film moderne. Phil se réfère lui-même à Robert Ebert, critique du Chicago Sun-Times pour expliquer combien le stop motion vient des tripes. Mad God, c’est un peu cette phrase, un travail de passionnés, une ode à l’artisanat, un paradoxe à la frontière du réel :

« Computer graphics looks real but feels fake, and stop motion looks fake but feels real. »

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] rapprocher du récent chef-d’œuvre de Phil Tippett (tout juste sorti en coffret chez Carlotta) Mad God, ou plus encore par ses thématiques du terrifiant Shinamarink (ou The House, toujours le meilleur […]

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