C’est du côté de la Norvège que le public s’est tourné pour récompenser The Innocents non seulement à Paris lors de l’Etrange Festival mais également à Strasbourg, où le film a reçu la distinction ultime, l’octopus d’or doublé du prix du public du FEFFS. Un triple couronnement avec le Grand prix Nouveau genre pour le deuxième long métrage de Eskil Vogt. Un succès qu’il doit également à Joachim Trier avec qui il co-scénarise ses films. Après Blind qui mettait en lumière la vie d’une aveugle isolée, Eskil Vogt poursuit son exploration des sens mais aussi du handicap. Des enfants se découvrent des pouvoirs paranormaux qui s’additionnent et se combinent lorsqu’ils sont réunis. Se dessine alors une autre forme d’éveil confronté au pouvoir d’adjuger la mort.

Do you want to play a game ?

Dès la première scène du film, la jeune héroïne Ida se réveille dans la voiture, l’air inquiète, le regard perdu dans le vide alors que la famille s’apprête à emménager dans une banlieue norvégienne. Sans haine ni plaisir, avec la froideur innocente de l’enfance, elle pince sa sœur Anna, autiste et incapable de réagir. Blonde aux yeux bleu, innocente et fragile, un corps en devenir qui gagné par les humeurs expérimente parfois le pire. Une image qui ne quittera pas la pellicule jusqu’au générique, celle d’enfants qui n’ont encore qu’une notion évanescente du mal et la liberté infinie de la première transgression. Les parents sont les grands absents du film puisqu’il n’y apparaissent que de manière fugace. Les enfants semblent livrés à eux-mêmes ou tout du moins sans véritable contrôle. Ils errent dans la forêt ou dans cette petite banlieue de HLM où les problèmes semblent si rares.

The innocents

L’un d’entre eux, Ben, développe des pouvoirs de télékinésie. Tout commence par un simple jeu alors qu’il fait dévier des petits cailloux de leur trajectoire. Un jeu en entraînant un autre, le garçon vraisemblablement tourmenté s’amuse à vérifier le théorème du chat qui retombe sur ses pattes du haut d’une cage d’escaliers d’un immeuble. La bête blessée sera froidement exécutée par l’enfant. A partir de cet instant et alors que ses pouvoirs évoluent de manière exponentielle, le spectateur est au même stade qu’Ida, effrayée et fragile puisque c’est la seule à ne pas avoir de pouvoirs. 

Un rapport de prédation naît petit à petit et l’impression qu’à tout instant Ben pourrait dérailler. Cette tension va s’instiguer crescendo tout au long du film. Les plans fixes rappellent ceux d’It Follows de David Robert Mitchell, où la mort semblait pouvoir surgir à tout instant. Est-ce que cet enfant en proie à des crises de colères pourrait abattre un arbre ou même un immeuble par la pensée ? C’est cramponné au fauteuil du cinéma que la sueur froide nous saisit lentement. Ne dit-on pas que les enfants expérimentent parfois une cruauté sans pareille, encore aveugle au regard inquisiteur de la société ?

« Je ne crois pas au cliché des enfants angéliques »

En proposant une lecture radicale du monde des enfants, ici parfaitement hermétique aux adultes, Ida est livrée à elle-même et sans jamais flancher pourtant, elle devra naviguer prudemment. The Innocents s’inscrit donc dans la lignée fantastique de ces films où des ados doivent se débrouiller par eux-mêmes mais cette fois-ci sous l’angle de l’enfance, ce qui décuple le sentiment vulnérabilité. Dans un entretien accordé au journal Le Point lors du Festival de Cannes, le réalisateur revient sur sa démarche artistique. « L’idée du film m’est venue après mon premier enfant, à l’âge de 35 ans », nous explique Eskil Vogt, père d’un garçon et d’une fille. « J’ai ressenti de nouveau ce que c’était qu’être un enfant, cette découverte maladroite du monde… Des souvenirs que j’avais complètement oubliés sont remontés et j’ai réalisé à quel point ce monde-là est différent du monde adulte. […] »

The innocents

« Nous venons au monde sans code moral, sans sympathie, un peu comme des sociopathes narcissiques et il faut apprendre en grandissant les codes de socialisation. »

En prenant à rebours le conte de fée de l’enfance dorée et du mythe de la candeur, Eskil établit un diagnostic clinique mais réaliste : « L’enfant vit dans son monde et, quand une chose impossible ou inexplicable se présente à lui, il se dit juste Okay ! et passe à autre chose. Parallèlement, on ressent à ces âges des angoisses, et je voulais aborder cette magie intérieure de l’enfance à travers un récit fantastique. » Dans ce même entretien, on y apprend également que les enfants âgés de sept à dix ans ont été choisis parmi 2000 candidats dans les écoles élémentaires de Norvège et qu’ils ont bénéficié d’un coach en permanence ainsi que d’une conseillère psychologique pendant tout le tournage d’une quarantaine de jours. 

Sobre et élégant dans sa mise en scène, The Innocents est épuré, même sur le plan musical et propose finalement un huit clos entre quatre HLM où l’enfance éprouve les limites du pouvoir. Un film fantastique qu’on vous recommande vivement lorsqu’il sortira chez nous, puisqu’à l’heure actuelle, la date de sortie reste indéterminée en France !  

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La bande-annonce :

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
2 années

J’ai vraiment hâte de le voir !

le loup celeste
Administrateur
2 années
Répondr à  Ummagumma

Moi aussi.

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[…] le film à Strasbourg où il avait remporté l’octopus d’or. N’hésitez pas à (re)lire notre critique pour plus d’informations sur ce long-métrage norvégien. Après son sacre à l’Etrange […]

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[…] A l'instar de l'excellent The Innocents d'Eskil Vogt, la question du hancidap est traité avec justesse […]

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[…] par reproduction et pression sociale ou des enfants de l’excellent thriller fantastique The Innocents par la découverte du pouvoir illimité et la bascule vers le meurtre originel. « Je ne crois […]

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