Depuis Joker et la remarquable prestation de Joaquin Phoenix, il semblerait que DC ait emprunté un autre chemin que le grand spectacle de Marvel, reproduit à chaque film selon une formule qui confine au mimétisme d’un cahier des charges toujours plus étriqué. Résolument plus sensible et original, tant au niveau de la réalisation que de l’écriture, The Batman s’inscrit clairement dans cette veine. Derrière les super-héros se cachent avant tout des Hommes. C’est le réalisateur Matt Reeves qui prend désormais les rennes de la franchise du chevalier noir. Sobrement intitulé The Batman, ce long métrage de près de trois heures souffle le chaud et le froid mais présente le mérite de dessiner à merveille les bas-fonds de Gotham.

Wayne's World

En revenant aux sources de Batman, campé ici par un Robert Pattinson crépusculaire, c’est la figure vampirique de Batman qui est la plus saillante. Le teint blafard, le visage angulaire et les cheveux en bataille, le jeune Bruce Wayne vit dans la douleur d’un deuil éternel : celui de ses parents abattus par la mafia dans une ruelle sombre comme Gotham en regorge. A des années lumières de l’assurance et de la vantardise du milliardaire sur sa quarantaine dans les précédents volets, c’est un Batman nettement moins affirmé et séducteur qui domine ici. Quasi gothique avec sa démarche lente et ses bottes de cuir, Robert Pattinson prend des airs de dépressif et les très rares blagues qu’il tente auprès de Catwoman sont des fours. L’air de Nirvana repris deux fois dans le film rappelle un côté un peu cliché et adulescent du jeune Bruce.

« Fear is a tool. When that light hits the sky, it’s not just a call. It’s a warning. For them »

Batman cherche encore son style ici et à la vivacité des scènes de combats de Nolan, Matt Reeves préfère la lenteur. Batman prend des coups et n’est pas encore le combattant hors pair qui danse entre les uppercuts. Quasi suicidaire, le jeune Bruce reconnaît qu’il ne craint pas la mort. Preuve en est, son armure subira nombre de rafales de mitraillettes. Si le costume de Batman est certes prévu pour résister dans une certaine mesure aux armes à feu, Matt Reeves a sans doute abusé de l’artifice, décliné tout au long du film. Voir Batman encaisser les coups de fusil à pompe à bout portant finit par être contreproductif. Ce choix est regrettable car Batman – mortel comme les autres – n’est pas non plus bulletproof dans les comics. C’est d’ailleurs cette vulnérabilité qui l’a toujours distingué de son rival Superman.

La prestation de Robert Pattinson tient la route et tranche par rapport aux dernières incarnations du justicier. A la surenchère de la voix rauque de Christian Bale, l’acteur a choisi de n’amplifier que très légèrement le timbre de sa voix. Pour autant, il eut été opportun de réaliser un travail sur la musculature du héros. Sans nécessairement rechercher un modèle de culturiste comme les années 1980 en produisaient par dizaines, il y avait sans doute un équilibre à trouver entre un Robert Pattinson svelte et un lutteur affuté.

Matt Reeves filme Robert Pattinson en contre-plongée pour lui donner un peu plus de carrure

I'm Vengeance

A dire vrai les scènes de combats restent épisodiques et assez rares finalement. Les plus belles sont celles tournées dans la pénombre totale, où les tirs d’armes à feu éclairent par saccade ces scènes stroboscopiques. The Batman est avant tout un thriller aux airs de polar que ne renierait pas Fincher à l’origine du sensationnel Se7en à la cruauté sans pareille. On retrouve un Gotham rongé par le crime jusque dans ces derniers recoins. Les ripoux, les procureurs véreux et tout le gratin de la ville font affaire dans la boîte cachée du Pingouin. Alors que Batman est directement inquiété dans une affaire de meurtres en série, Matt Reeves nous entraîne dans les profondeurs de Gotham. C’est assurément la plus grande réussite du film. Quand Selina infiltre la boîte de nuit, on croirait voir une scène de James Bond, la noirceur en plus. Finalement c’est aussi une enquête à deux têtes qui se dessine avec une large place laissée au lieutenant Gordon, seul flic intègre qui épaulera Batman tout au long du film.

The Batman multiplie les plans originaux avec panache

Le réalisateur nous livre la plus sinistre représentation de Gotham. Chaque plan est poisseux. Il fera nuit la majeure partie du film et une scène au manoir Wayne où Bruce, blanc comme un linge, plisse les yeux face à un léger rayon de lumière rappelle combien la chauve-souris est un chasseur nocturne. The Batman est une enquête réussie qui puise directement dans l’excellent comics Un Long Halloween. Les scènes de crimes sont l’occasion de rappeler que Batman est avant tout détective. Chacune d’entre elles assume un côté polar noir qu’on n’avait encore jamais vu au cinéma. C’est également le Batman de Miller qu’on retrouve avec des références à Year One.

Lire : HS – Batman – 20 comics pour apprivoiser la chauve-souris

Here comes the Wayne again

La pègre et les luttes intestines entre les Falcone, les Maroni et les figures montantes du grand banditisme renvoient directement à Al Capone et au Chicago des années 1930. La photographie comme la réalisation sont particulièrement inspirées. Il pleut des cordes tout au long du film et Matt Reeves n’hésite pas à resserrer le cadrage et enchaîner des montages percutants, en Batmobile notamment. On alterne entre vue subjective et caméra à hauteur des roues du bolide. La pluie battante est retranscrite par des effets de flous qui génèrent une atmosphère claustrophobique. 

Matt Reeves tente aussi quelques percées inclusives avec des sous-entendus sur la bisexualité de Catwoman ou encore un lieutenant Gordon joué par l’excellent Jeffrey Wright. Un choix qui permet d’éviter que les seuls Noirs de Gotham soient ceux qui apportent les donuts à la pause café car il est vrai que les comics Batman n’ont que très peu de personnages de couleur au casting. En outre Matt Reeves a choisi notre époque contemporaine avec ses résaux sociaux et leurs travers. Un choix largement mis en avant par l’intrigue du film et la communication facecam de Riddler

Les prémisses de l'alliance entre Gordon et Batman

Question pour un champion

Certains plans ressembleraient presque à des peintures. On se laisse entraîner par cette réalisation sensible et inspirée tout au long du film. Pour autant, The Batman tire la corde et aurait sans doute gagné en rythme en supprimant une demi-heure. La relation de Batman avec Catwoman (Zoë Kravitz) semble aussi un peu carambolée et aurait gagné à faire preuve de davantage de profondeur. On dit également qu’un bon Batman dépend de son méchant. The Batman ne fait pas défaut et Riddler fait mouche, notamment lors d’un glaçant monologue à l’Asyle et une retranscription des plus fidèles du comics. Chacune de ses interventions est l’occasion d’une énigme dans la pure tradition du personnage des comics. 

Paul Dano joue avec finesse ce personnage obsessionnel au sourire dérangeant. Collin Farell est aussi méconnaissable et livre la meilleure interprétation du Pingouin à ce jour. L’acteur aura d’ailleurs droit à un spin-off tout comme le futur commissaire Gordon et l’asile d’Arkham. En filigrane, on retrouve certaines thématiques de Joker (lire notre test Ultra HD Blu Ray) comme le pouvoir des riches et la misère sociale. Selina inquiète à ce sujet directement les blancs riches lors d’une adresse à Batman. Idem pour Riddler qui renvoie la douleur de Bruce à son appartenance sociale de privilégié porté par sa fortune. Si ces personnages sont remarquablement bien interprétés, aucun n’efface le personnage de Batman. Matt Reeves semble avoir trouvé un équilbre différent de celui des deux derniers Nolan. 

Collin Farell méconnaissable

The Riddler is asking for you

En adoptant une approche plus réaliste du personnage, DC a choisi une ligne réussie qui donne à respirer dans le paysage un peu trop lisse des super-héros. Un blockbuster intelligent et on l’espère une ouverture vers d’autres arcs sombres du héros comme la Cour des Hiboux. Matt Reeves distille savamment les références aux comics, qu’il s’agisse de celle de l’orphelinat Wayne ou même de quelques indications pour le prochain volet. Il y a fort à parier que le prochain Robin est le jeune orphelin du début du film. Matt Reeves osera-t-il aller sur le terrain d’un deuil dans la famille d’Aparo et Starlin ?

La scène d'investiture du héros, un plan aérien de toute beauté

The Batman n’est pas qu’une nouvelle itération de la quête de vengeance du chevalier noir. Il interroge en creux la place du héros dans la société, son lien avec la Police et la population. Un héros n’existe qu’à condition qu’il jouisse du soutien et de l’admiration du peuple. C’est toute la symbolique de la scène où Batman brandit un fumigène et où la caméra, depuis le ciel, montre la foule suivre Batman. Le rapport à l’image, au symbole et à la représentation qu’implique le costume de Batman est le fil conducteur. C’est l’incarnation d’une Justice personnelle et solitaire qui doit rencontrer son audience. 

« It can be cruel, poetic or blind. But when it’s denied, its your violence you may find »

« Et pourquoi pas partir traquer les fauteurs de misère des hedgefonds » propose Catwoman au justicier ? Le silence du justicier est une réponse en soi. S’en suit une scène où les deux personnages prennent chacun leur moto, puis se séparent avec un magnifique plan dans le retroviseur du chevalier noir, comme si cette relation était le signe d’un éphèmère aboutissement de l’impossible. C’est aussi une manière originale de rappeler que Batman a davantage officié contre les malfrats que contre les criminels en col blanc. Un dernier dialogue qui interroge sur le sort de nos sociétés et sur une justice à deux vitesses qui conduit irrémédiablement à l’engrenage criminel de Gotham.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] Dans ce blockbuster anti-spectaculaire qui redonne des « couleurs » au Chevalier (très) noir, le Bat vengeur et le Wayne névrosé s’aventurent du côté du thriller poisseux à forte consonance fincherienne. (lire notre critique ici). […]

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[…] directeur de la photographie et véritable artiste à qui l’on doit beaucoup à la plastique de The Batman, The Creator ou encore Rogue One, soit les blockbusters les plus autorisant de ces dernières […]

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