De Venise à la Corée en passant par Annecy qu’il clôturait en beauté, Inu-Oh poursuit sa tournée de festival en festival. Présenté à Fantasia, ce conte baroque du réalisateur fantasque Masaaki Yuasa (Mind Game, Ride your wave, Devilman crybaby) est l’un des immanquables de l’année. Adapté de la nouvelle Heike monogatari: Inu-ô no kan, cet anime survolté rafle les prix partout où il passe. Opéra déluré, Inu-Oh raconte les aventures d’un jeune pêcheur devenu aveugle après avoir récupéré un trésor maudit enfui sous la mer. Au même moment, naît une créature difforme au sein d’une respectable famille d’acteurs de théâtre (能), forme de drame lyrique ancestral aux codes bien enracinés. Inu-Oh est un anime qui à l’instar du traverse les âges. De la musique bouddhiste jusqu’au métal, Masaaki Yuasa nous embarque dans un époustouflant voyage visuel et sonore.

Nô more heroes

La force de cette comédie musicale c’est sans doute sa capacité à multiplier les approches. D’abord d’un point de vue artistique, Masaaki Yuasa emploie un nombre impressionnant de techniques d’animation. On passe de l’estampe japonaise à l’aquarelle, du dessin griffonné à de la 3D, de peintures marquées par de généreux coups de pinceaux à des traits gras qui rappellent le fusain. Malgré l’hétérogénéité des styles, Inu-Oh parvient à entretenir une cohérence visuelle remarquable. Cette opulence graphique trouve un même écho avec l’OST, réalisée par Otomo Yoshihide et interprétée par le chanteur des Queen Bee, Avu-chan, et le danseur Mirai Moriyama. Il a d’abord fallu créer les images avant de produire les séquences musicales raconte Masaaki. Puis les images ont été envoyées au compositeur. Un procédé qui n’a pas dû être tâche aisée pour synchroniser images et sons, confie le réalisateur.

inu Oh

« En fait, j'ai préparé toutes sortes de styles, ça peut aller de la danse classique à des mouvements de Jackie Chan, de MC Hammer, des Beatles... ou d'archives de sportifs de gymnastes, d'athlètes. »

Inu-Oh est un tunnel musical, un portail entre passé et présent. À l’instar du théâtre qui se définissait autrefois par son conservatisme, le film débute par des chants et danses traditionnelles où l’improvisation est proscrite. Le geste doit être parfait et reproduit à l’identique sous peine de contrarier le shogun. Petit à petit, les talents de cet improbable duo du pécheur itinérant et de l’aveugle se libèrent. Il y a comme un air de Zatōichi, la comédie musicale en plus.

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Les rites sont bien ancrés et le a longtemps été marqué par des danses costumées et masquées. Les acteurs du jouent essentiellement pour les castes privilégiées. Mélange de rites religieux visant à s’octroyer les faveurs des dieux pour les récoltes, le se destine au départ à une élite aristocratique. C’est à l’époque Muromachi, sous l’autorité des Shoguns Ashikaga que deux acteurs, père et fils, établirent le cadre de ce qui deviendrait le . Il y a des règles strictes pour les kimonos, les masques, la musique et la scène. Nos deux héros d’infortune vont subvertir les codes du pour révéler leur propre talent en se représentant directement devant le peuple.

L’un se met à improviser des rifs avec une sorte de cithare qu’il n’hésite pas à basculer derrière sa tête pour enflammer les foules, tandis que son acolyte se révèle par des danses toujours plus périlleuses. Dans la pure tradition , l’acteur principal, le shite, est masqué et fait progresser l’intrigue par ses danses. C’est tout naturellement la créature difforme qui endosse ce rôle. S’engage alors un dialogue avec le Waki, cette fois-ci joué par Inu-Oh, troubadour et musicien possédé lors de ses représentations.

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La musique des singes

Inu-Oh s’inscrit en porte-à-faux du rigorisme et rappelle les étapes, et évolutions du vers le Sarugaku, lequel ajouta au répertoire des acrobaties, des tours de magie et textes comiques. C’est sous l’influence du bouddhisme que de nouvelles cérémonies travestirent petit à petit les rites. La rencontre entre Inu-Oh et cette créature difforme va être l’occasion d’une émulation réciproque et d’une transgression constante qui confine à la profanation pour les vieux shoguns. Inu-Oh est une fable qui cherche à articuler tradition et modernité. L’histoire se livre par petites touches et si, au départ, on peut être quelque peu désarçonné par la narration, les pièces du puzzle s’assemblent jusqu’au feu d’artifice final.

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Inu-Oh luttera jusqu’au bout pour exprimer son art, alors que les foules se détournent des traditions et semblent gagnées par une transe collective, ce qui affole les autorités locales. Même les badauds affluent et sont endiablés par les deux artistes dont la popularité ne cesse de gagner les régions alentour, à l’image des premières rock stars et de leurs groupies. C’est toute la civilisation médiévale japonaise qui va basculer vers autre chose grâce à la performance conjointe des deux artistes.

Comme le rap, l’électro ou le métal qui furent méprisés par une sorte de puritanisme culturel, Inu-Oh rappelle combien les nouvelles formes d’expression sont systématiquement associées à l’hérésie par une certaine fange réactionnaire de la société. Audacieux, drôle et touchant, Inu-Oh s’est achevé à Annecy par une ovation du public… comme tout bon concert ! Un succès qui devrait sans nul doute gagner Montréal avant sa sortie en salle le 23 novembre 2022 en France.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] à l’identique avant qu’ils ne soient subvertis par le théâtre Nô populaire (lire notre critique d’Inu-Oh). Ou encore Le baroque qui désignait de façon péjorative des perles irrégulières (barroco) […]

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