Après un plébiscite dans son pays d’origine, le second film du réalisateur iranien Saeed Roustayi, La Loi de Téhéran, quitte enfin les terres perses pour investir nos cinémas. Sorti au départ en 2019 et vainqueur du Grand prix du Festival du film policier cet été, le film retrace les péripéties croisées de toxicomanes, policiers et narcotrafiquants. C’est une véritable course folle pour débusquer les gros bonnets d’un commerce qui n’épargne pas la population iranienne, frappée de plein fouet par une explosion de la consommation de crack. Le titre originel du film parle de lui-même : Metri Shesh Va Nim, « Juste 6,5 » qui renvoie aux 6,5 millions de consommateurs de crack pour 83 millions d’habitants. 6,5 fait également référence au prix du drap mortuaire qui coûterait plus cher que le tissu pour s’habiller. Des chiffres qui donnent le vertige et probablement en deçà de la tragique réalité.

La mort aux trousses

L’un des dialogues du film oppose deux policiers épuisés par cette traque incessante et les pressions exercées par les autorités iraniennes. À quoi bon lutter contre une hydre chaque jour plus puissante ? Le vieux flic désabusé par des années d’interrogatoires musclés – et bien peu scrupuleux des droits des prévenus – s’interroge face à son collègue sur l’explosion de la consommation depuis son entrée dans la police. Le film est à l’image de la première scène : une course-poursuite qui oppose un dealer à un gardien de la paix. À toute allure, le marchand de misère défile entre les ruelles de Téhéran. Alors qu’il prend un peu d’avance sur son poursuivant, il cherche à se débarrasser maladroitement de la came qu’il transportait en la lançant par-dessus un grillage. Échec, le paquet retombe sur le sol. Le jeune prend ses distances alors que le flic ramasse la came. Dans la précipitation, le gamin grimpe au-dessus d’une grille de chantier et tombe malgré lui dans un trou. Dans le brouhaha des machines, un tracteur balaye la terre et achève sans le savoir le jeune, enseveli vivant, loin des regards et rattrapé par une mort sourde.

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Cet incident tragique va mettre à mal la police locale. Les autorités réclament un coupable, certains étant suspectés d’avoir laissé filer le trafiquant qui aurait permis de remonter la piste vers de plus gros poissons. Tout au long du film, les dialogues percutants fusent et mènent tambour battant l’intrigue, qui ne laisse que peu de répit au spectateur. L’ambivalence entre bourreau et victime est permanente et le point de bascule particulièrement instable alors que la précarité des droits de l’Homme soumet chacun aux pressions et chantages infamants. Trahir sa famille, son amant ou son voisin et à quel prix ? À la suite d’un procès expéditif, la présence d’un avocat n’apparaît qu’au dernier quart du film. Présence aussi fugace qu’inutile pour les droits des condamnés d’avance.

21 grammes

L’écriture et la fulgurance des échanges entre policiers et petites frappes offrent un rythme effréné au film. On est suspendu à chaque dialogue, alors que le chantage est la clé de voute de tout un système soumis à la violence. Ici, nul besoin de fusillades, le mort plane sur chacun, du petit bonnet qui risque la peine de mort pour possession de quelques grammes de crack à celle d’un policier qui céderait aux pots de vins qu’on lui propose. En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi, « Qu’est ce que ça change ?  » s’interroge l’un des trafiquants alors que la police recherche ses motifs. « J’avais faim » plaide-t-il en sa faveur. Les marchands de misère ou la misère du marchand est l’une des questions fondamentales qui animent l’œuvre. Les battues menées par la police dans les ghettos rappellent cependant combien le risque d’être exécuté pèse particulièrement sur les membres les moins privilégiés de la société, comme le révèlent les réguliers rapports d’Amnesty International. L’Iran est responsable à lui seul de 56 % de toutes les exécutions recensées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, alors qu’on observe en moyenne un recul international de cette pratique archaïque.

« Ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. »

La Loi de Téhéran montre en creux l’échec d’un système répressif vain, de ses cellules claustrophobiques à la potence. On suffoque avec les prisonniers dans un commissariat moite et surpeuplé, où la sortie n’offre que peu de chances de liberté. Si la peine de mort est privilégiée et en explosion depuis 2010 notamment en raison d’un climat social explosif, cela ne semble pas endiguer le phénomène qui au contraire s’accélère. Le jeune cinéaste Saeed Roustayi prend à contrepied le polar et les obstacles de censure qu’il a vraisemblablement dû franchir pour publier et exporter son long métrage. Après les déboires subis avec les autorisations de tournages étalées sur plus de sept mois et les demandes de coupes par le régime, c’est la brigade des stupéfiants qui a cherché à empêcher sa sortie…

Loin d’un basique film d’action ou de scènes chocs sur la torture, le réalisateur a choisi de livrer un film social au plus proche des personnages, qu’on suit tour à tour. Le réalisateur, initialement remarqué pour ses documentaires, a cherché l’authenticité en recueillant des témoignages jusque dans les commissariats et en travaillant avec de vrais toxicomanes pour certaines scènes. On navigue notamment entre Samad, le policier, et Nasser, le dealer. Le scénariste et réalisateur concède dans un entretien leur proximité sociale

« Ces deux personnages sont les deux faces d'une même médaille. Ce qui me semble primordial, c'est qu'ils sont tous deux issus d'une même classe sociale. »

Saeed Roustayi précise même qu’il avait tourné « une séquence -supprimée au montage- qui nous faisait comprendre que Samad habite dans le quartier où se trouvait la maison natale de Nasser ». Ces deux personnages devaient à tout prix être crédibles, « qu’on leur donne raison ou tort. Chacun d’eux croit en lui-même et estime qu’il a raison d’agir comme il le fait, même s’il sait qu’il n’a parfois pas eu le choix. » précise-t-il encore.  Difficile donc de trouver un personnage principal puisqu’on comprend assez vite que le sort des uns et des autres est soumis à un châtiment semblable : la peur. Celle des pauvres rabattus dans des cellules étouffantes, celle des policiers soumis à la corruption permanente ou la suspicion, celle des juges qui appliquent une loi inique et aveugle. Le dénominateur commun : l’absence de moyens et la faillite d’institutions destinées à pérenniser un régime autoritaire. En filigrane et à la lecture des interviews de cette nouvelle vague d’artistes animés par la question sociale, on lit parfois la peur du milieu culturel qui mène un chemin de croix pour braver la censure du régime. Dans La Loi de Téhéran, la vivacité des dialogues tranche avec l’épée de Damoclès qui plane sur chacun : la peine de mort, châtiment ultime ou vertu supposée résoudre toute situation déviante. Une impasse mortifère a priori tranchée chez nous et qui mène ailleurs droit au gouffre, à l’instar de la remarquable scène d’ouverture.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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CHEVALLIER
CHEVALLIER
2 années

Belle plume !!!

Une critique très complète à la fois sur le film mais également sur l’histoire de ce pays !
Merci !

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