Le loup, question brûlante de société… Entre les calculs électoralistes visant à brosser dans le sens du poil une masse de votants agricole plutôt farouche, un intérêt du politique pour la question scientifique absolument absente et de réels problèmes sur le terrain pour un métier déjà en péril, le canidé sait s’attirer les foudres. Un catalyseur à crocs dont s’empare le cinéma, puisqu’après le splendide Vivre avec les loups (et le reste de sa trilogie consacrée au prédateur) de Jean-Michel Bertrand, ce sont deux nouveaux documentaires radicalement différents qui sont proposés à Visions du Réel.

Tamina – Will There Ever Be What Used to Be ?

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, la vallée de Tamina est perdue au fin fond des Grisons, en Suisse. Le lieu idéal pour la quête que s’est lancée Beat Oswald, co-réalisateur du documentaire : enfin rencontrer un loup. Mais si tout ici tend à l’idylle sauvage, sorte de mirage induit par la nature montagneuse de la vallée, le grand prédateur ne soulève pas moins de problématiques qu’ailleurs…

Un film de citadin (Oswald ne s’en cache pas), reprenant l’idée des films de Jean-Michel Bertrand (la traque, l’envie de tomber sur le prédateur) mais en pervertissant de l’intérieur son processus. Mâtiné de second-degré et d’une bonne dose de cynisme, la traque en elle-même n’est qu’un leurre et l’envie du cinéaste ne réside nulle part d’autre que dans le désir d’ausculter une communauté montagnarde par le prisme du retour du sauvage.

Parfois quasi-philosophique, le documentaire se permet des réflexions passionnantes (il cite notamment le brillant Baptiste Morizot dans ses références, guère étonnant vu le sujet) mais le tout s’englue dans un trop-plein constant de ricanements. Jamais sérieux, toujours en décalage, mêlant (malhabilement) les tons, on ressort de Tamina avec quelques belles images en tête, mais en étant irrémédiablement brouillé dans un propos plus abscons qu’éclairant. Dommage…

Un pasteur

Second film, seconde ambiance, diamétralement opposée à celle de Tamina. Exit les réflexions philosophiques d’un citadin perdu à la montagne, Un pasteur de Louis Hanquet est un premier film visant à tirer le portrait d’un berger. Métier en péril guère aidé par le retour naturel du loup, la caméra de Hanquet va coller aux basques du taiseux Félix et de son père, accrochés aux crêtes pour faire paître leurs moutons.

Formellement splendide, Un pasteur parvient parfaitement à retranscrire l’ambiance de la montagne, du travail avec les bêtes, de la panoplie de gestes entourant le métier de berger. Plus étonnant, surgissent à plusieurs reprises au cours du long-métrage des images de caméra thermique (tournées par l’éthologue suisse Jean-Marc Landry dans un cadre scientifique, puis a posteriori intégrées au film) représentant le grand prédateur. Musique menaçante, sursaut formel détonnant, libertés prises avec le médium documentaire (notamment la mise en scène d’un rêve), ces séquences trouvent leur sens dans la logique du long-métrage mais dérangent tout de même par le peu de nuance qu’elles apportent.

Plus dommage encore, Louis Hanquet révèlera en session de Q&A que ce duo de bergers n’était pas farouchement opposé au loup, qu’ils décrivaient volontiers comme « le berger des bergers ». Une nuance qui aurait été salvatrice pour un film lissant un propos ô combien complexe pour d’un côté magnifier le métier de berger et de l’autre parfaitement diaboliser le loup… Un bémol important (d’autant plus que le réalisateur avait sous la main tout le matériel pour faire apparaitre cette nuance), qui n’enlève pas la maestria qu’a Louis Hanquet pour filmer la montagne et ses protagonistes principaux. Un documentaire splendide, se permettant même de beaux moments d’émotion, à ne surtout pas manquer malgré ses quelques faiblesses !

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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