Barbie, l’une des deux roues en matière de blockbuster/rouleau-compresseur du duo Barbenheimer matérialisé par une tempête sur les réseaux sociaux, sort ce mercredi en salles. Si d’un point de vue médiatique et publicitaire le film semble déjà faire carton plein, qu’en est-il de l’œuvre (ou devrait-on dire le produit ?) en elle-même ? A-t-on réellement vu la vie en rose devant ce Barbie ? Enfilez vos escarpins pour cette critique en direct de Barbie-Land…

Des talons hauts aux Birkenstock

Tout commence à la manière d’un conte, dans le monde fabuleux de Barbie. Toutes les Barbie vivent leurs meilleures vies, à enchaîner journées farniente à la plage et soirées parfaites entre filles. Du moins jusqu’à ce que Barbie stéréotypée (Margot Robbie) ne commence à penser à la mort… Dès lors les catastrophes vont s’enchaîner pour elle (malheur, ses talons touchent même le sol !), tant et si bien que la seule option envisageable semble d’abandonner ce véritable havre de plastique pour se rendre dans le Vrai Monde, afin de voir ce qui cloche avec la fille possédant sa propre version de la poupée… Toute une épopée !

Barbie

Niveau scénario, rien de nouveau sous le soleil. Toy Story marchait sur ce même chemin désormais depuis longtemps balisé. Non, là où Barbie se démarque c’est plutôt au niveau de sa volonté de mêler ses immenses décors artificiels de plastique bon marché aux personnages en live-action. Et si au niveau de la direction artistique le travail semble avoir été stakhanoviste et se ressent clairement à l’écran, la caméra de Greta Gerwig parait bien en peine de les filmer… mais afin d’en parler nous nous devons d’invoquer le maître lorsqu’il s’agit de maisons de poupées. J’ai nommé : Wes Anderson !

Du rose... pastel

En effet, même si le caractériser de la sorte est un net goulot d’étranglement pour considérer sa cinématographie dans sa globalité, Wes Anderson a tout de même de manière répétée filmé des maisons de poupées. Qu’il s’agisse d’animation pure ou d’un mélange carton-pâte / live action plus proche à l’ambition de Barbie (jusqu’au tout récent Asteroïd City, même s’il s’en éloigne un peu plus), il s’amuse à faire évoluer ses personnages dans ses fabuleuses scènes en toc mêlant maquettes, décors en taille réelle et jeux d’échelle.

Barbie

Et là indubitablement le bât blesse. Si Anderson explore chaque détail de son décor, autant dans la profondeur que dans la verticalité, en multipliant les idées visuelles pour le capter dans sa globalité et le mettre au service de l’histoire (quoiqu’on en pense du film, il faut voir la folie visuelle de The French Dispatch), Barbie se contente d’une malheureuse caméra-monstration. Dans ce décor fou, l’objectif reste bien sage, purement illustratif. Il y suit Margot Robbie, s’autorise une légère désaturation de l’image dans le Vrai Monde, quelques travelings et de malheureux champ/contre-champ… Bref, une mise en scène bien au ras des pâquerettes… Après tout, il ne faudrait pas distraire le spectateur du message principal du film : la publicité.

Coming of age pas toujours très rose

Mais pour ne pas être malhonnête, avant d’évoquer le sujet qui fâche, parlons du seul thème qu’explore Barbie ne participant pas à la logique publicitaire du film : le passage à l’âge adulte. Plusieurs scènes au cours du long-métrage offrent en effet une nette rupture de rythme pour évoquer cette phase charnière où l’importance des parents commence à décroître et où les jouets finissent par prendre la poussière dans les placards. Des moments suspendus, émotionnels, où enfin l’autrice derrière la caméra semble prendre un temps pour évoquer un sujet cher et s’éloigner de l’unique visée mercantile de son film. Avant d’à nouveau – et bien rapidement – se faire ravager par la vague rose de blagues potaches et de musiques insipides.

Barbie

Barbie, la nouvelle Simone Veil

Mais alors, me diriez-vous. Qu’en est-il des saillies féministes de Barbie ? En effet, on la sentait poindre dans la bande-annonce, cette volonté de mettre en avant des « femmes puissantes ». Terminologie chère à une Léa Salamé qui en a consacré deux livres et qui devrait adorer le film par son parfait mix à l’écran d’une idéologie ultra-libérale mâtinée d’un progressisme de façade bien sage. Si le film coche bel et bien le cahier des charges de la représentativité (palette entière de couleur de peau, toutes les silhouettes, toutes les tailles, etc.), le long-métrage devient bien plus uniforme au niveau des occupations de ces mêmes Barbie. En effet, chacune d’elles fricote avec les hautes sphères : présidente, scientifiques reconnues, prix Nobel… La Barbie-moyenne n’existe pas !

Vrais accessoires d'une Barbie des années 1965. Image du Daily Mail.

Exactement comme si Mattel ayant remarqué que l’idéal physique (la grande blonde fine comme un cure-dent implorant aux jeunes filles de « Manger moins » pour maigrir, cf. la collection Barbie 1965…) enfoncé dans les têtes des gamines ne faisait plus vendre, il le remplaçait par une autre forme de totalitarisme idéologique. Dans les années quatre-vingt on complexait de ne pas être une plantureuse suédoise juchée sur des talons, à présent les gamins complexeront de ne pas être prix Nobel. À chaque époque ses tourments…

Féminisme / conquistador, même combat

Pire encore, lorsqu’au cours d’une péripétie que nous ne dévoilerons pas (ce serait triste de gâcher par un spoil ce magnifique spot publicitaire) le patriarcat s’empare de Barbie-Land, c’est pour retourner toutes les “femmes puissantes” décrites ci-dessus en potiches dévêtues promptes à servir une bière bien fraîche à leur Ken préféré. Et le film d’expliciter avec ces mots : c’est comme pour les indigènes face aux virus des conquistadors, ils n’y ont jamais été confrontés, ils ne pouvaient donc pas se défendre ! Une métaphore un poil compliquée à filer, renvoyant bel et bien – au-delà de la blague – à une drôle de vision de la condition féminine. On devrait peut-être se cotiser pour envoyer quelques livres de Mona Chollet à l’équipe du film, qu’ils puissent jeter un coup d’œil à l’histoire de l’assujettissement des femmes.

Barbie lorsqu'on lui propose de lire du Mona Chollet.

Et si nous évoquons le féminisme, impossible de faire l’impasse sur un passage qui se veut d’ailleurs particulièrement acerbe. Voulant rencontrer la jeune fille propriétaire de la version d’elle-même en poupée, Barbie-Margot-Robbie s’en va dans son lycée. Certaine de l’accueil que lui fera la petite, elle s’approche d’elle et de son groupe de potes tout sourire. Mais là, douche froide ! L’ado va traiter Barbie (nous résumons, mais c’est l’idée) de stéréotype sur pattes insufflant une logique fasciste dans la tête des gamines. Scène qui va se clore sur une Barbie en pleurs, s’éloignant de ce groupe d’ados comme une victime de bullying atterrée.

À première vue, un passage introspectif pour les créateurs du jouet – on y cite pêle-mêle quelques exemples de modèles Barbie du passé aux relents plutôt problématiques actuellement – qui devrait rassurer les parents et montrer que le film est conscient de son héritage. Mais mettons-nous au niveau des têtes blondes : ce bref passage, au rythme ultra-élevé, composé d’un champ-lexical pas évident (fascisme, stéréotype, …) et mettant en point d’orgue une Barbie devant s’en aller en courant, les joues mouillées de larmes. Il est fort à parier qu’ils ne bittent rien au discours, mais ressentent de l’empathie pour la poupée. Jackpot !

Capitalisme rose

Et même si le long-métrage tente constamment de montrer à quel point il est subversif – tant que cela en devient embarrassant – tout ressemble à un vague coup d’épée dans l’eau. Il se met même à “critiquer” les pontes de Mattel (principal producteur du film) en y mettant à la tête de l’entreprise un cheptel d’hommes blancs dirigé par un Will Ferrell qui cabotine en PDG obnubilé par l’argent. Mais même lui, la tête pensante de laquelle naît toutes les logiques stéréotypiques de la marque de poupée, finit par être caractérisé comme un nounours mignon avide de câlins en fin de film. C’est si joli, au final, le capitalisme !

Barbie

Si Barbie voudrait se faire passer pour un film-pirate, détournant de l’intérieur les studios pour en faire la critique, il en est bien loin. Et si l’on compare les logiques promotionnelles d’un vrai film-pirate proprement avorté par la Warner (l’excellent et sous-estimé Matrix Resurrections en 2021), avec le délire marketing de ce film en rose, on comprend rapidement à quel point il est inoffensif et se positionne uniquement en tant qu’objet publicitaire pour les deux méga-firmes qui le financent. Un long-métrage bien tiède donc, qui s’amuse à censurer le seul gros mot du film d’un logo Mattel collé sur la bouche de l’actrice qui le prononce… Ça en dit long.

Barbie

Va Greta, je ne te hais point...

Dommage, car on aimait bien Greta Gerwig. Qu’elle soit actrice dans un gros film Netflix réalisé par son mari Noah Baumbach – White Noise – ou dans le tout petit film d’horreur décalé Baghead, ou déjà réalisatrice dans  Les Filles du docteur March ou Lady Bird, elle avait à chaque fois au moins une proposition à faire. Pour Barbie, elle semble s’être laissée broyer par la machine… Mauvais présage pour son prochain film en tant que scénariste, le déjà tant commenté Snow White prévu pour 2024 ? L’avenir nous le dira.

En ce qui nous concerne, à part quelques bonnes blagues, une poignée de passages amusants et l’interprétation parfaite du duo d’acteurs principaux, il ne reste pas grand chose d’autre à garder de ces deux heures de gavage de guimauve visuelle à l’idéologie plus que discutable. Le film est d’ailleurs bien moins beau que l’autre pub payante sortie cette année, Super Mario Bros Movie, même s’il a tout l’air d’être promis à devenir au moins aussi rentable. L’assurance donc, après avoir rendu exsangue ses franchises de super-héros (et face aux récents flops de Morbius, Black Widow ou encore Ant-Man 3), de voir Hollywood se jeter sur des adaptations de jeux et de jouets. Et ce n’est pas Mattel et ses quatorze (quatorze !) projets de film (Hot Wheels, Polly Pocket et j’en passe) qui dira le contraire…

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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KillerSe7ven
Administrateur
1 année

Super critique qui prend plusieurs angles pour décortiquer le film. Ça m’a donné envie de me faire mon propre avis mais comme je m’y attendais, ça a l’air creux et pire encore, un objet marketing pour faire avaler la pilule d’un monde marchandisé qu’on ne connait que trop bien.

BennJ
Administrateur
1 année

Merci pour la critique super intéressante à lire comme d’habitude 🙂 Je suis juste étonné que tu ne parles pas du père Gosling, il est complètement transparent dans le film en tant que Ken ?

le loup celeste
Administrateur
1 année
Répondr à  BennJ

Justement non, il prendrait même le dessus sur Barbie !

le loup celeste
Administrateur
1 année

Si elle n’est pas en plastique (direction artistique époustouflante et mise en scène fort à-propos), cette satire pop à l’humour absurde qui dynamite l’image ringarde et controversée de sa poupée vedette (le casting est génial) pour en faire une icône féministe opposée au patriarcat, n’en reste pas moins un placement de produit géant (mal) camouflé sous une couche de paillettes roses. Plus inclusives et donc plus rentables, nul doute que les #Barbie vont se (re)vendre comme des petits pains !

Ummagumma
1 année
Répondr à  le loup celeste

Je n’en attendais rien mais vous m’avez donné envie de le mater malgré ses défauts. Il faut dire que les grimaces de Ryan Gosling sur les affiches sont hilarantes. Je le connais seulement dans des rôles sérieux donc ça contraste ^^

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