Après un récit hommage au journalisme avec The French Dispatch, Wes Anderson s’attaque au mythe de l’acteur dans son nouveau long métrage présenté en compétition à Cannes. Asteroid City est un film choral au casting XXL. L’action prend place au cœur des années 1950 dans le désert de Monument Valley, où vont se croiser des personnages au caractère bien trempé.

Cannes signature 2

Wes Anderson creuse la figure de l’acteur

On ne présente plus Wes Anderson, ses univers loufoques où des couleurs pastel inondent l’écran, tout particulièrement depuis ses derniers films. Une fois n’est pas coutume, le réalisateur reprend sa recette de narrations en patchwork, où les dialogues donnent la part belle aux échanges en petit comité. Le film démarre par un père de famille taiseux, qui échoue à Asteroid City avec ses trois enfants en bas-âge à la suite d’une panne automobile.

Après un échange téléphonique avec son beau-père, joué par un Tom Hanks intraitable, Augie Steenbeck (Jason Schwartzman) annonce enfin à la marmaille que leur mère est morte. Seul bémol, cela fait une semaine qu’il connaît la nouvelle. Se succéderont ainsi toute une succession de tableaux incisifs avec, comme seul fil conducteur, ce désert et ce curieux météore religieusement exposé au milieu du gigantesque cratère gardé par l’armée. Une jeune équipe de scientifiques prodiges, une star de cinéma et une ribambelle de personnages se retrouvent ici avec un unique diner typiquement américain et un motel rudimentaire comme lieu d’échange.

ASTEROID CITY (2023)

Contrairement à The Grand Budapest Hotel ou encore L’île aux chiens qui, chacun à leur manière, avaient opté pour une narration entre voyage initiatique et road movie, Asteroid City choisit une même unité de lieu : ce trou paumé au fin fond du Grand Ouest. Malgré cela, le film fait preuve d’un mouvement permanent avec cette succession de dialogues au rythme soutenu et à des scénettes qui s’enchaînent sans relâche. Avec sa structure en trois actes et un épilogue déluré, Asteroid City est annoncé d’emblée comme une pièce de théâtre par Bryan Cranston en guise de narrateur.

Loin d’être statique, Asteroid City multiplie les vifs mouvements de caméra propres au style du réalisateur texan afin de passer d’un personnage à l’autre. Avec sa composition qui dénote toujours d’une symétrie quasi obsessionnelle et une grammaire minutieuse de la composition, le cadre théâtral du film correspond parfaitement à Wes Anderson. Le stop motion -autre signature du réalisateur- fait de nouveau mouche. Idem pour le choix d’une photographie où les tons bleus et ocres sont surexposés, comme un monde embelli qu’on regarderait au travers des lunettes de soleil polarisées du gonzo-journaliste Raoul Duke de Las Vegas Parano.

ASTEROID CITY (2023)

« Tu ne peux pas te réveiller si tu ne t’endors pas »

Mention spéciale à Scarlett Johansson, hypnotique dans le rôle de Midge Campbell, égérie du grand écran rappelant Marilyn Monroe, la chevelure blonde en moins. L’actrice donnera la réplique à Jason Schwartzman en nous offrant les plus belles scènes du film. D’un micro-bungalow à l’autre, l’actrice se fera tirer le portrait par ce père photographe brisé par la vie, non sans évoquer la rencontre mythique de Paris Texas par sa beauté froide. Wes Anderson convoque de très (trop ?) nombreuses références du cinéma pour nourrir son récit. Dialogues lunaires, troisième mur, passages en noir et blanc où les comédiens échangent sur leurs rôles respectifs, dont ils peinent à comprendre la finalité, Asteroid City joue sur deux tableaux, quitte à parfois dérouter son spectateur.

Avec son immense casting de plus d’une vingtaine d’acteurs légendaires, aucun d’entre eux ne parvient vraiment à s’imposer pour un récit résolument pensé comme une chorale. Revers de la médaille, on aimerait parfois que certaines scènes se prolongent plutôt que de choisir la format TGV de la narration. A chaque fois que le rythme gagne en ampleur, on passe à un autre duo sans réussir à nous faire atteindre la barre de l’émotion sincère.

Wes Anderson fait du Wes Anderson

Les acteurs s’interrogent sur le plateau. « Je ne comprends pas la pièce » se confie Jason Schwartzman à Edward Norton. « Peu importe, continue de la raconter » lui réplique son partenaire. Ode au plaisir de jouer pour l’acteur sur fond de vanité, le dernier tiers choisit une formule peut-être un peu trop catapultée pour convaincre. Avec une chute où certains axes ne semblent pas tous achevés, Wes Anderson s’est-il laissé emporter par le gigantisme d’un casting où de nouveaux venus viennent rejoindre les fidèles du réalisateur ?

ASTEROID CITY (2023)

Tom Hanks, Tilda Swinton, Willem Dafoe, Margot Robbie, Adrien Brody, Matt Dillon, Jeff Goldblum, Jeffrey Wright et nombre d’autres stars du cinéma auront chacun droit à leur scène, parfois de quelques minutes seulement. Si l’on comprend mieux le théâtre de l’action à Monument Valley, cette avalanche de grands noms étouffe un peu la narration. Le vide existentiel de ses personnages traverse tout le film. Tourné durant le COVID, la pandémie a probablement contribué au thème choisi par Anderson, alors que le monde entier se trouvait pour la première fois séparé et vidé de son sens.

Le maître nous offre visuellement l’un de ses films les plus maîtrisés, comme un hommage au cinéma. Cependant Asteroid City laisse le sentiment d’une excessive complexité qui pourra fatiguer le spectateur. Alors que les IA commencent à imiter Wes Anderson en singeant le travail fantasque de l’artiste, le réalisateur texan séduit mais frise peut-être sa propre caricature par moments en nous écrasant de dialogues et d’acteurs, aussi beaux soient-ils. S’il n’est pas forcément toujours pertinent de reprocher à un réalisateur de faire ce qui lui donne sa signature, Wes Anderson devra sans doute songer à redonner du souffle à sa créativité pour ne pas donner le sentiment d’indigestion ou de superficialité comme Tim Burton et d’autres avant lui.

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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le loup celeste
Administrateur
10 mois

Au sommet de son art, #WesAnderson élargit son (magnifique) cadre pour évoquer l’incertitude de la création dans un récit choral aussi drôle que mélancolique où les personnages, dont le désir d’exister est palpable malgré le vide existentiel de leur vie (le cratère), se rencontrent dans des scénettes méta qui ne tournent pas à vide. Vous ne pouvez pas vous réveiller si vous ne vous endormez pas !

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[…] La critique de KillerSe7ven […]

Mr Wilkes
10 mois

Je l’ai vu hier, peut-être un peu trop tard pour une fin de semaine, mais j’avoue parfois avoir complètement décroché entre la VO et son débit très très rapide, la truculence visuelle des scènes et les différents niveaux du film… Passionnant sans le moindre doute, mais il me faudra un second visionnage ^^

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[…] carton-pâte / live action plus proche à l’ambition de Barbie (jusqu’au tout récent Asteroïd City, même s’il s’en éloigne un peu plus), il s’amuse à faire évoluer ses […]

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