Après Barbie, c’est à l’autre membre du duo Barbenheimer d’être passé au crible : le très attendu Oppenheimer de Christopher Nolan. Après un Tenet palindromique qui avait scindé critique et public, le réalisateur se penche sur une figure scientifique et historique de premier ordre. L’occasion pour lui de signer son meilleur film ou de poursuivre une courbe descendante ? Réponse ci-dessous !
Critique quantique
J. Robert Oppenheimer. Si on le surnomme le père de la bombe atomique, il est surtout celui qui a ramené les théories quantiques du vieux continent aux USA. Remarqué par l’armée, il va finir à la tête du projet Manhattan : une vaste entreprise désireuse de développer la bombe atomique avant les nazis, au plein cœur de la Seconde Guerre mondiale. Mêlant drame intime, course scientifique et énormes enjeux diplomatiques, la vie d’Oppenheimer se voit adaptée à l’écran après avoir été couchée sur papier dans les pages de American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer de Kai Bird et Martin J. Sherwin.
Film anti-spectaculaire ?
Si la bombe nucléaire a toujours fasciné le septième art – Docteur Folamour, Hiroshima mon amour, Jamais plus jamais… pour ne citer qu’eux – le destin central d’Oppenheimer n’est pourtant pas le plus connu. Évoluant entre les pontes de la physique du vingtième siècle, apparaissant comme autant d’Easter Eggs dans le film (Einstein évidemment, Niels Bohr, Enrico Fermi et Werner Heisenberg notamment), Oppenheimer le film se place plutôt comme une œuvre anti-spectaculaire. Manipulant enjeux diplomatiques (la question des tendances communistes d’Oppenheimer, le développement de la bombe avant les nazis, les lignes parfois troubles entre pays ennemis et pays amis, etc.), questions intimes (les liaisons extraconjugales de notre cher Oppi) et évidemment scientifiques, Nolan n’a d’autre choix que de nous faire un film bavard.

En effet, si la question du développement de la bombe est évidemment un fil rouge menant à un certain climax, la chair même du film reste les dialogues. Peut-être par crainte de perdre son spectateur, Nolan fait alors le choix étrange de noyer ses deux premières heures d’une nappe de musique constante (composée par Ludwig Göransson avec qui il avait déjà collaboré pour Tenet). Liant un peu artificiel et déroutant, accompagnant un montage épileptique dont la cadence empêche à chaque scène de réellement devenir marquante tant chacune d’entre elles est aussitôt balayée par la suivante.
La ponctuation régulière de sortes de pop-up « quantiques » (des images d’étincelles pas toujours très inspirées notamment), surlignées par une musique beaucoup trop forte lancée comme des coups de corne de brume pour tenir éveillé son spectateur, reste également un choix plus que discutable. Nolan serait-il mal à l’aise avec la linéarité et le côté intimiste de son histoire ?
Clarté nolanienne
Malgré tout, force est de constater qu’avec ce montage beaucoup trop énervé Nolan parvient tout de même parfaitement à transmettre à son spectateur tous les enjeux de son film. Effleurant la science sans jamais vraiment y pénétrer (dommage ou tant mieux, à vous d’en juger…) et restant en surface des considérations géopolitiques de son histoire, il fait le pari de la clarté. Plus fort encore, Nolan nous présente et parvient à faire vivre toute sa galerie de personnages (et dieu sait s’il y en a !) de manière assez brillante, sans jamais nous perdre face à ce défilement continu de nouvelles têtes. Chapeau l’artiste !

Au niveau des personnages féminins – c’est rarement le fort de notre cher Christopher – force est de constater que le bât blesse. Entre Jean Tatlock l’amante instable et très sexualisée (Florence Pugh) et son épouse Katherine Oppenheimer, une femme au foyer acariâtre et alcoolique (Emily Blunt), on touche ici au talon d’Achille d’Oppenheimer. Mais pour une fois, Nolan peut au moins (en partie) se réfugier derrière l’histoire avec un grand H… Katherine était en effet destinée à devenir une grande biologiste, avant sa rencontre avec Oppenheimer et son avenir désormais tout tracé de ménagère. Et c’est malheureusement une réalité (d’ailleurs pas encore tout à fait effacée aujourd’hui !) : la science était un milieu machiste où les quelques femmes qui s’y osaient finissaient bien souvent par se faire éjecter…

Le BOUM !
Puis après deux heures de film vient l’explosion. Et du sur-cut constant écrasé par une musique bourrine, on passe au silence total ! Un contraste saisissant, faisant de la scène d’explosion la séquence la plus marquante d’Oppenheimer. Dommage que Dany Boyle ait déjà capté la même scène dans un film bien plus subtil (et métaphorique !) et avec le même Cillian Murphy : Sunshine, en 2007. Si le parallèle est frappant et qu’Oppenheimer souffre de la comparaison, il n’en reste pas moins que le décompte jusqu’à l’explosion de la bombe atomique reste ce que Nolan propose de plus saisissant dans le film.

Et après ? Car si ces deux heures passent en effet comme une lettre à la poste et que la force du récit parvient – certes quelque peu artificiellement – à emporter son spectateur, il reste encore un bon tiers de film… Et puisque le climax de l’explosion est passé et que la tension retombe, Nolan s’arrange pour confectionner un mille-feuille scénaristique dont lui seul à le secret. Rendant ainsi confus un segment d’histoire pourtant relativement linéaire et compréhensible, il finit par complètement se perdre dans les méandres de cette dernière partie.
Explosion en demi-teinte
Si le propos – l’utilisation par l’armée puis l’ingratitude de cette dernière – n’est pas anodin et qu’Oppenheimer (le personnage) échappe assez justement à tout manichéisme (sa recherche de gloire questionnable, ses interrogations sur l’atome qu’il semble constamment mettre de côté, sa relation douteuse aux femmes, etc.), ce dernier tiers est plombé par sa longueur et ses enjeux finalement relativement faibles. Certes la piqûre de rappel concernant l’aberration des armes nucléaires et cette idée de contamination du mal (en luttant contre les nazis l’Amérique a fini par créer l’annihilation ultime) n’est pas inintéressante, Nolan finit par forger un boulet qui plombera tout son film.

Retenons tout de même l’interprétation – parfaite de bout en bout – et la mise en lumière de cette biographie hors-norme, dans un film globalement de très bonne facture. Si la mise en scène et l’artificielle complexité injectée dans le scénario plombent Oppenheimer, il n’en reste pas moins un blockbuster assez passionnant à découvrir au cinéma (malheureusement très rarement en IMAX 70 mm, les conditions idéales voulues par Nolan).

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Critique intéressante qui me donne envie de me réconcilier avec Nolan après Tenet qui m’avait tellement ennuyé qu’il avait lessivé mon âme !
Ton expression de “millefeuille scénaristique” m’a fait sourire, c’est tellement ça. C’est comme si, passé un certain stade dans ses films, Nolan ne pouvait pas s’empêcher d’inutilement compliquer les choses pour exprimer au final une idée simple.
J’apprécie ce réalisateur autant qu’il me fatigue !
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[…] sentiment que Nolan ne fait confiance ni à son image ni à son spectateur (à ce sujet, relire la critique de Mr […]