• Testé sur PC (RTX 3080) sur vidéoprojecteur 4K tard dans la nuit noire…
  • Le jeu souffre de ralentissements entre les différents tableaux, même avec une configuration de l’espace sur PC. 
  • Code transmis par l’éditeur
  • Fini en 3h50 sur Steam. 
  • Screenshots maison.

Véritable météore sur la scène du jeu indépendant, le studio danois Playdead avait réussi son doublé avec Limbo, pionnier du Xbox live arcade et Inside, l’œuvre renversante qui avait réussi à faire passer la formule de 2010 pour une esquisse. Fondé par Dino Patti et Arnt Jensen, les deux auteurs, avares en communication, avaient annoncé leur séparation fracassante pour tenter l’aventure solo. Somerville est l’enfant issu de ce divorce. Qu’on ne s’y méprenne, le jeu est seulement produit par Dino Patti et est en fait réalisé par Chris Olsen, connu pour son travail dans l’animation sur des films comme Skyfall. Ce nouveau mariage a donné le studio britannique Jumpship, résolument tourné autour de Chris comme le reconnaît expressément Dino. « Il y a cette idée fausse que c’est mon jeu » confiait-il récemment à Games Indusrtry. A peine Somerville sorti, l’éditeur boulimique Thunderful s’emparait du studio Jumpship. Finalement, que reste-t-il de la fougue et de l’audace d’un studio autrefois indépendant et désormais amputé d’une de ses deux jambes : coup de génie ou œuvre de commande ? 

La guerre des mondes n’aura pas lieu

D’entrée de jeu, les habitués du studio danois Playdead reconnaissent la patte graphique d’Inside. Dans Somerville, une fois n’est pas coutume, on contrôle un personnage aphone. Après un plan séquence vu du ciel à l’image de l’ouverture de Shining, la caméra se rapproche avec élégance jusqu’au cœur de cette petite baraque perdue dans une de ces campagnes anonymes. Un couple est endormi devant la télé avec un enfant en bas âge sur le canapé. On débute l’aventure avec ce petit poupon qui sautille comme une puce pour se déplacer. Les parents dorment et on explore la maison dans l’obscurité, alors qu’une lumière acidulée projette des ombres violettes de l’extérieur. Après avoir escaladé des tiroirs, on erre maladroitement jusqu’à une fenêtre que le petiot essaye de d’ouvrir avant de perdre l’équilibre et tomber dans une poubelle. Les parents se réveillent et on prend aussitôt le contrôle du papa, héros malgré lui du titre.

Somerville est le prolongement naturel de la DA d'Inside

Cette première prise en main est à mon avis la meilleure manière de représenter l’essence de Somerville. Chaque idée de gameplay se soldera systématiquement par une glissade irrémédiable vers la poubelle ludique. Cela peut paraître un peu brut d’entrée de jeu mais Somerville saborde systématiquement ses propres propositions de gameplay. En choisissant la voie de la 3D, Jumpship a sauté à pied joint dans la gueule du loup en empruntant tous les travers d’une caméra bancale et d’une spatialisation ratée. Si les plans restent gouvernés par un soucis esthétique constant, la caméra lointaine trahit trop souvent le joueur sans réussir à guider notre regard là où il devrait pourtant s’attarder.

Octodad Traveller

Ces soucis de caméra s’aggravent d’autant plus que le père de famille est un lointain cousin d’Octodad. En appuyant sur le bouton A, le malheureux saisit comme un pot de colle tout ce qui lui passe sous la main, sans que cela soit nécessairement voulu par le joueur. Somerville propose aussi des courses poursuites au rythme haché, la faute à une lecture difficile des profondeurs et des collisions franchement énervantes. Si ces détails peuvent sembler anecdotiques, leur récurrence peut vite devenir une purge sur une expérience qui ne dure qu’une poignée d’heures à peine. C’était par exemple le défaut du premier Little Nightmares qui avait réussi à rectifier le tir avec justesse dans son excellent second volet.

Little Nightmares II
Voir notre interview des développeurs de Little Nightmares 2, autre jeu issu de l'école Playdead

C’est comme si Jumpship avait renié son propre héritage. Là où Inside avait compris qu’un défilement horizontal ne pouvait fonctionner qu’à condition de faire preuve de souplesse, Somerville cumule les tares en plus d’être gangrené de bugs graphiques qui interrogent sur la finition du titre. J’ai d’abord cru à des cas isolés mais les quelques échanges avec d’autres joueurs m’ont convaincu d’un phénomène autrement plus persistant. Il faut dire que dès le début du jeu, le chien était bloqué dans la table basse ; quelques instants plus tard le maudit cabot partait dans le décor sans raison, comme si Milou avait abusé de l’herbe à chat. Quant à la compagne de notre personnage, celle-ci s’est lamentablement coincée dans une portière de voiture avant de se faire rattraper par un alien ; enfin mon premier plongeon s’est soldé par un Petit Grégory comme on dit dans le milieu : bloqué et condamné à la noyade. Ah et j’oublie mon fils stroboscopique qui clignote et disparaît lors d’une cinématique qui jouait la carte de l’émotion forcée, à grand renfort de piano. C’est dommage mais c’est encore raté…

Somerville
Heureusement que le jeu sait proposer de très belles compositions

Il faut prendre la manette en main pour comprendre combien Somerville est lourdaud. Tourner une simple manivelle est un chemin de croix, sauf à considérer qu’il faille que je revoie mes capacités psychomotrices chez le toubib. Je ne parle même pas de certains obstacles fantaisistes qui bloquent notre chemin artificiellement alors qu’il suffirait de passer à côté. Pis encore, Somerville trompe le joueur en choisissant arbitrairement de ralentir ou accélérer le rythme de notre personnage de manière arbitraire, quitte à faire parfois passer le héros pour un malade du Covid au dernier stade. C’est comme si le jeu se défaussait par avance pour la médiocrité de ses énigmes, lesquelles reposent trop souvent sur l’ajout d’un handicap.

Un ersatz d’Inside

C’est flagrant de constater combien Somerville échoue là où Inside excellait. Je pense à cette scène du second où on était pourchassé par une meute de chiens et où on sautait in extremis dans l’eau, à deux doigts d’être croqué. Même configuration avec des extraterrestres dans Somerville, mais sans le rythme ni la fluidité. Notre personnage se heurte benoitement à un mur invisible ou ne comprend pas qu’il faut interagir avec un élément du décor tant le gameplay est pataud. La fluidité est pourtant la clé de voute du genre, sans laquelle le gameplay s’engouffre dans la frustration. Le jeu n’est pas davantage rattrapé par des énigmes trop souvent carambolées et à l’intérêt ludique plus que discutable. On alterne entre les phases où on nettoie l’environnement façon Haven. D’un simple bouton, on liquéfie certains éléments du décor et inversement. Une idée sous exploitée, incapable de générer quelconque liant avec le joueur, quelque peu désemparé face à un rythme qui confine de plus en plus au surplace.

Inside
Lire notre critique d'Inside, modèle du genre !

Non content d’être le parent pauvre de la réflexion, Somerville s’est séparé de la plateforme et ne parvient que très rarement à toucher le joueur. Les tableaux s’enchaînement trop vites et on perd tout ce qui faisait le charme des précédentes productions Playdead, à savoir la claustrophobie et la soudaine ouverture sur un tout autre pan ignoré du monde. Ce défaut est accentué lorsqu’on découvre une autre pièce qui n’a strictement aucun intérêt pour la progression ou qu’on poursuit la résolution d’une énigme sans que le jeu ne réussisse à nous faire comprendre qu’on y était déjà parvenu. Cerise sur le gâteau, le jeu souffre de ralentissements et saccades bien senties entre les différents tableaux.

Autre tort, Somerville manque à peu près toutes les occasions de s’emparer d’un début de propos. Les premières fois où l’on atterrit dans ce camp de réfugiés où les tentes s’étendent à perte de vue, on se dit que peut-être le jeu saura saisir l’opportunité de la question migratoire. Après tout quoi de plus à propos pour une histoire d’invasion extraterrestres où tout un chacun devient mécaniquement étranger dans son propre pays ? Et non, c’est encore raté, Somerville préfère jouer une partition trop connue en se retranchant derrière la beauté froide de ses panoramas et la recherche de notre famille. Alors que le générique se lance, le joueur s’interroge : entre régression et progression laborieuse, Somerville avait-il vraiment quelque chose à nous raconter ?

Si ce bon vieux Phil Collins nous a appris une chose, c’est qu’il aurait mieux fait de rester dans son groupe Genesis plutôt que de tenter l’aventure solo. Dino est un peu un Phil Collins qui s’ignore, on reproduit la même formule qu’Inside mais sans panache. On change un oui deux riffs de guitare et on croit reconduire le succès originel alors que tout ou presque sonne faux. Echec et math pour Somerville qui saborde méthodiquement chacune de ses propositions de gameplay, la faute à un manque de finition et un défaut de recul sur ses propres mécaniques qu’il vomit au joueur. On sait combien les séparations qui s'opèrent dans la douleur peuvent parfois traumatiser les enfants. Somerville est de ce calibre-là, un jeu empêtré par l’histoire de ses aïeux. Incapable de s’en affranchir, incapable de les égaler. Chris Olsen prive de toute perspective engagée l’enfant bâtard de Playdead, sans doute trop écrasé par l’héritage de son producteur. Somerville est désincarné et n’accouche de pas grand-chose d’original, sauf à considérer qu’un pastiche soit une œuvre nouvelle. Comme un goût d’imposture qu’on aurait dû flairer rien qu’à voir la typographie tirée d’Inside dès l’écran titre de Sommerville. Après la séparation commence le deuil.

Pour
  • Une DA aux panoramas saisissants
  • Le côté guerre des mondes
  • Variété des environnements
  • L'introduction plutôt réussie
  • Jeu court et heureusement
Contre
  • Gameplay aux fraises et rythme bancal
  • Mauvaise spatialisation avec la 3D
  • Collisions et bugs fatigants
  • Manque de finition général
  • Ralentissements entre les tableaux
  • Enigmes sans saveur
  • Caméra qui trompe le joueur
  • Pas de moment véritablement marquant
  • Impression de jouer à un ersatz d'Inside
  • Où est la vision de l'auteur ?

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] A Plague Tale Requiem et le TPS sanguin Evil West. On partage ensuite notre deuil sur Somerville. Guillaume revient sur son pêché mignon, les jeux Dark Picture Anthology avec le dernier volet […]

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[…] Cocoon s’inscrit d’emblée dans cette catégorie, qui nous a rendu prudent depuis le décevant Somerville. Présenté comme le nouveau jeu du père des gameplay de Limbo et Inside, Cocoon trahit […]

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