Onze ans ! Onze longues années nous séparent de la sortie de Limbo. C’était en juillet 2010, au plus creux de l’été, alors que les vacanciers s’agglutinaient nonchalamment sur les plages, préférant la chaleur du soleil à la moiteur d’un bon vieux pad 360. C’était l’âge d’or du Xbox live arcade. Le programme de Microsoft avait alors vocation à promouvoir la nouvelle garde indépendante. Le XLA n’avait plus à faire ses preuves depuis son lancement éclatant qui avait propulsé nombre d’indés sous le feu des projecteur. Retour sur un chef d’œuvre en clair-obscur !

Première production du studio danois Playdead, Limbo déjà était sorti dans une période estivale peu propice à l’exposition médiatique outrancière, départs en vacances oblige. Six ans plus tard, Playdead réitérait la manœuvre malicieusement avec sa toute nouvelle production Inside. Bien peu de communication, si ce n’est une poignée de courtes vidéos au cours des derniers salons mondiaux, avares en séquence de gameplay et si friands des cinématiques en CGI.

Littéralement des feux de détresse !

In Limbo Veritas

Après le succès critique de Limbo, comment renouveler l’expérience sans risquer le syndrome 1.5, la suite facile ou pire encore le coup dans l’eau ? Playdead s’est donc livré à un bel exercice d’introspection pour tenter de séparer le bon grain de l’ivraie, déjà bien rare dans le premier volet. Suite spirituelle de Limbo, Inside commence d’ailleurs si bien lors d’une charmante promenade champêtre dans la veine de son grand frère. Abandonnez d’emblée tout projet de pique-nique en famille. Pas de cueillette aux champignons avec Mamie Jeanne non plus, loin s’en faut ! L’heure est à la fuite. Déjà la forêt semble hostile, alors que les halètements de ce jeune garçon sans visage battent le tempo d’une course qui s’annonce effrénée.

Le rythme s’emballe, le héros anonyme s’essouffle, alors qu’une soudaine meute de chiens le pourchasse. Ils étaient si loin et pourtant les voilà désormais à ses basques, bien décidés à le hacher menu. À deux doigts de finir en pâtée, un prodigieux saut de cabri nous libère de la torpeur. On plonge dans un lac sans jamais s’arrêter. Les molosses sont à nos trousses, sans répit. Je les entends encore rugir férocement, leurs hurlements étouffés et déformés par la densité du cours d’eau, tandis que les milices rodent aux alentours. À l’horizon, on aperçoit un pont duquel deux faisceaux irradiant de lumière m’invitent à la prudence. Alors que des coups de feu retentissent brusquement, les premières balles pénètrent la surface de l’eau et nous encouragent à l’apnée en eaux troubles. Quand pourrais-je reprendre mon souffle ? Assurément pas de sitôt.

Le champ de blé : classique de tout bon slasher. 

50 nuances de gris

Inside est avant tout une belle leçon de rythme. On ne cesse de s’infiltrer au plus profond de cette sorte de camp d’aliénation mortifère, tantôt par un trou libéré par la chute d’un coffre-fort, tantôt après avoir glissé d’une fragile rambarde ou d’un ascenseur, qui semblait pourtant si protecteur, entouré de ses cages de fer. La progression est labyrinthique tout en étant paradoxalement toujours précipitée vers l’avant. L’horizon comme point de fuite. Littéralement.  Claustrophobes s’abstenir, si Limbo restait les pieds sur terre, Inside n’hésite pas à nous immerger dans les profondeurs. Au gré d’un sous-marin ou à la nage pour les plus hardis, on explore ces lieux sinistres jusqu’à finir happé à l’intérieur du cauchemar. Inside jouit d’une richesse rare lors de la progression du héros.

Plus qu’une simple tentative d’évasion, c’est une authentique fuite en avant qui nous anime, sans véritablement savoir pourquoi s’introduire obstinément toujours plus loin, plutôt que rebrousser sagement chemin, comme si l’on participait, aveugle, à une quête dont seul ce petit garçon peu bavard connaîtrait l’issue. Certaines séquences confinent le joueur au malaise. L’ambiance suffocante est naturellement peu festive. Qu’il s’agisse des teintes grises et autres dégradés et lavis de couleur sombre, seuls quelques rares rayons de soleil nous invitent à rejoindre la lumière. C’est d’ailleurs souvent elle qui nous guide ou nous sauve, c’est selon. Les amateurs de Limbo le savent, la lumière a toujours une part d’ombre, ce qu’elle révèle, elle le reprend aussitôt. Et vice-versa.

The Ring n’a qu’à bien se tenir !

Claustrophobia

En outre chaque idée de gameplay – pourtant basique prise isolément – se renouvelle au fil du jeu. Un mécanisme à vapeur fera plus tard l’affaire, sitôt cassé ou libéré de ses joncs. Idem pour certaines séquences de casse-têtes qui ne sont pas sans rappeler les Lemmings ou plus récemment l’excellent et torturé The Swapper. C’est à ce titre qu’Inside est brillant, puisqu’il ne nous laisse jamais le temps de nous ennuyer. Plutôt qu’épuiser à outrance des concepts, le jeu préfère nous offrir un flux constant de situations, où l’observation sera le maître mot. Rassurez-vous, aucune énigme n’est insoluble et les habitués du studio fileront sans doute à toute allure. Toutefois, force est de constater l’ingéniosité des dispositifs mis en place, leur clarté immédiate malgré l’atmosphère si pesante. La modernité d’Inside résulte de sa capacité à produire un gameplay sans aucun tutoriel ni lignes de dialogue. La narration émane d’elle même comme si elle ne nécessitait aucun contexte. Elle est et c’est tout. Par le mouvement se raconte une aventure minimaliste mais non moins essentielle. On observe, on apprend, on avance : une démarche simple mais ô combien naturelle.

Le contrechamps au cœur de la narration d’Inside…

Des visages, des figures

Inside n’est pas qu’un bon game design. Sans sa plastique réussie et sa mise en scène subtile, appuyée d’un effet de travelling bien senti, il faut admettre que le corps du gameplay serait même plutôt banal, hors quelques phases « atmosphériques » défiant les lois de la gravité élémentaire. Et pourtant l’OST percutante et la profondeur des graphismes génèrent une atmosphère sans équivalent. Ici le silence est maître et les rares interventions musicales sont autant de catalyseurs de tension. En tous points il s’agit d’une partition maîtrisée de bout en bout. Même les animations ont gagné en souplesse depuis Limbo et leur variété participe au caractère organique de l’ensemble. Certaines ont par ailleurs été concoctées à usage unique, non sans procurer une véritable sensation de vie à ce menu personnage à la figure vierge. La progression tous azimuts nous rapproche toujours un peu plus du cœur de la machine, si bien qu’Inside porte finalement très bien son nom. A moins que ce soit en nous même que nous allons plonger. 

Initiation à la natation synchronisée

La mort aux trousses

Certaines séquences rendent aussi clairement hommage au cinéma japonais, du fantastique à l’horreur. Le dernier tiers du jeu est d’ailleurs une véritable surprise, battant en brèche tout ce qui précédait jusqu’alors. Cronenberg semble si proche, à l’instar d’un certain film culte de 1958 dont nous tairons religieusement le nom… Les thèmes abordés ne tombent jamais dans la caricature. C’est morbide, macabre mais pas seulement. L’aspect étrangement familier de certaines situations suscite l’angoisse immédiate. Quand une troupe d’humains désincarnés nous suit telle une meute de morts vivants, que ce qui s’apparente à de serviles ouvriers se joint en renfort à la mêlée jusqu’à former un corps maladroit, on ne peut s’empêcher de penser à l’aliénation. En miroir de notre propre infortune, Inside renverse habilement la manœuvre jusqu’à mélanger victimes et bourreaux, sous de lointain airs de Milgram. Pas un dialogue, pas un mot, ces corps atones ne vous serviront qu’à progresser jusqu’au générique final après trois quatre heures d’aventure et de lugubres défilés organiques. L’Etrange, tel est sans doute le mot le plus approprié pour définir Inside. Et l’Etrange n’est jamais bien loin du réel comme chacun sait.

VERDICT

Si vous avez aimé Limbo, Inside devrait vous ravir. Sachez toutefois que si ce dernier préférait sans doute la plate-forme au casse-tête, ici c’est un peu l’inverse. Quelques simili phases d’infiltration, moins de pièges dissimulés sans doute mais une violence tout aussi dérangeante. La mort n’est à dire vrai jamais bien loin. Un pas de travers et le couperet tombe sans crier gare. La progression par l’échec fait encore partie inhérente de l’expérience Playdead, même si l’attention du joueur peut lui permettre de répondre correctement aux situations dès la première tentative. C’est d’ailleurs un si beau moment de grâce lorsque l’on échappe de justesse à un ennemi, déjouant in extremis le sadisme sans pareil des développeurs danois. Peut-être également un peu plus contemplatif, Inside propose des plans monumentaux où la petitesse du héros tranche radicalement avec l’horreur d’un monde gouverné par les machines. Les allusions à une technique dont on ne serait plus maître, l’omniprésence viscérale des villes ainsi que ces quelques envolées fantastiques nous livrent une fresque intérieure du plus bel effet et dont chacun se gardera de tirer une unique lecture. Bienvenue au bal des pendus, un voyage à l’intérieur qui ne laissera personne indemne.
Pour
  • Photographie au service du gameplay
  • Direction artistique inspirée
  • Narration sans texte ni interface
  • Fuite en avant sans aucun temps mort
  • Ambiance musicale froide et glaçante
Contre
  • Attendre la prochaine pépite Playdead

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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[…] le courant des productions du maître suédois Playdead à qui l’on doit les mémorables Limbo et Inside. A la croisée d’un die and retry et d’un puzzle-game modérés, c’est surtout par sa […]

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