Après sa flamboyante entrée dans le monde de l’horreur avec Hérédité, puis son glaçant Midsommar, Ari Aster, du haut de ses 36 ans, a su très rapidement se faire une place dans le monde du cinéma. Autant dire que l’arrivée de Beau is afraid attise les curiosités… Mais alors, qu’en est-il réellement ?
Troisième film : la discorde
Le troisième film semble être celui de la discorde pour l’actuelle jeune génération du cinéma de genre. Le The Northman de Robert Eggers a clivé critique et spectateurs, et Beau is afraid – d’après les premiers retours – s’apprête à faire de même. Entre le sommet d’ennui décrit par certains ou l’énième chef-d’œuvre du poulain d’A24, où se situe donc le film porté par Joaquin Phoenix ?
Il faut parler déjà de la première demi-heure du film. Un dévissage grotesque où tout aspire à distiller du glauque au sein d’un univers qui semble se collapser sur lui-même, au milieu duquel tente tant bien que mal de se débattre Beau Wassermann. Pauvre type incarné par Joaquin Phoenix, bedonnant, dépressif, assurément perclus de troubles psy, contre qui le monde entier semble s’acharner : camés drogués jusqu’à l’os, vendeurs récalcitrants, détraqué exhibitionniste… La totale ! Et Aster de s’amuser avec sa mise en scène pour retourner l’estomac du spectateur.
Le bruit de l'horreur
Si le film s’ouvre par un accouchement en vue subjective, c’est le design sonore que l’on retiendra immédiatement (comme l’étrange gimmick sonore de Midsommar (hou-ah !) ou les claquements de langue d’Hérédité). Tout de suite anxiogène, il sera ponctué de taloches retentissantes, à l’instar de la fessée au nouveau-né ponctuant un montage au cordeau, distillant cette oppression pure dans l’esprit du spectateur. En parallèle, Aster instaure un décalage constant entre de longs morceaux musicaux et ce qui se joue à l’image. Une désynchronisation qui rappelle évidemment la condition même de Beau, perdu dans ce monde qui semble vouloir sa peau, et ajoute au malaise suintant du long-métrage.
Jouant sur l’image du miroir, la caméra d’Aster fait vivre l’arrière-plan, se déplace en mouvements amples, colle au personnage (nous fait vivre le monde de Beau), s’attarde sur des détails qui font pourtant mouche. Chaque plan est nourri – parfois gavé – de fourmillements qu’il est impossible de capter en un seul visionnage, les personnages sont noyés dans des décors toujours subtilement disproportionnés (trop grands comme son appartement ou, au contraire, trop étriqués), les multiples (et évidents) fusils de Tchekov se déclenchent les uns après les autres… Et force est de constater qu’Aster, dans sa volonté initiale de créer une « comédie cauchemardesque », passe à côté de l’aspect comique mais touche assurément dans le mille au niveau délire glauque.
De l'Homme à la Mère
Puis le film va introduire peu à peu des personnages dans la (terrifiante) vie de Beau. Sa mère, évidemment, le pilier central du film, mais également Elaine (son amoureuse de vacance à qui il promet sa virginité), un couple qui le renverse en voiture et décide de s’en occuper, un ex-soldat bien flippant bourré de PTSD (Denis Ménochet)… A l’instar d’un tout récent Men d’Alex Garland, cette galerie de personnages sonne volontairement faux, nous comprendrons plus tard pourquoi…
Aster va faire son malin, nous perdre parfois, puis nous donner des indices au travers d’une partie théâtrale ou d’un segment télévisé balançant, l’air de rien, une bonne part de l’intrigue à la tête du spectateur. Désarçonnant, il transpire tout de même de ces choix radicaux une volonté d’un cinéma total, qui embrasserait tous les arts, convoquant de l’animation, s’aventurant sur les planches, osant parfois l’abstraction la plus totale et une grotesquerie décidément osée (nous n’en dirons pas plus, mais nous n’étions décidément pas prêts pour le face-à-face entre Ménochet et le zboub).
Oedipe sur l'Île des Morts
Puis Beau is afraid entrera dans son dernier tiers, résolument trop long, et convoquant les deux écueils que rencontreraient ces films paranoïaques : ne rien livrer au spectateur (il ne resterait alors qu’une folie pure, défaite de tout sens et prétexte à la seule esbroufe visuelle) ou en dire trop. Les réflexions avancées par le film sont passionnantes, notamment après l’entrée de Beau dans ce qui est un évident clin d’œil aux tableaux de Arnold Böcklin (et sa série l’Île des Morts). Mais la clé du film finit par être livrée sur un plateau (matérialisée par une image-mosaïque de sa mère, pchut, pas un traitre mot de plus !), trahissant une intrigue bien plus limpide que ce dont elle a l’air au premier abord.
En somme, Beau is afraid nous offre de réels moments de sidération (le premier tiers, la partie animée, la scène de sexe pour ne citer qu’eux) et mobilise une panoplie passionnante de thématiques qui nous susurre à l’oreille qu’Aster aurait quelques mommy issues… Si le film est trop long et procure des clés de compréhension parfois trop évidentes, et s’il nous a faussement été vendu comme une comédie alors qu’il s’agit plutôt d’un drame horrifique, Beau is afraid nous livre certaines des images de cinéma les plus percutantes de cette année 2023 et nous prouve, une fois encore, la maestria d’Ari Aster.
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Super critique, je rejoins ton avis aussi. Impossible de ne pas penser à une variante de Böcklin mais dommage de tomber dans une justification trop convenue et déjà largement intégrée les deux premières heures. Je ne pense pas qu’on avait besoin d’une explication de texte et le réal aurait peut être dû s’arrêter à mer. Un film claque qui aborde tous les genres du conte initiatique au drame comico tragique avec brio mais qui se perd peut être un peu en route.
En revanche je serais curieux de voir une étude des symboles qui transparaissent dans le film. A l’image de ce que tu avais fait sur Men, il y a j’en suis sûr des lectures très intéressantes à venir, rien qu’avec le théâtre de la forêt.
[…] Midsommar) de recruter ces deux génies de la stop-motion pour la section animée de son Beau is Afraid, tant l’univers visuel des Chiliens colle à ce que Aster déploie dans son chef-d’œuvre […]