Après un étonnant buzz sur internet (suite au leak du film sur la toile), The House – ou Skinamarink de son titre original – a débarqué en France sur la plateforme Shadowz après une brève séance parisienne. Résolument clivant, il nous a offert pour notre part notre plus grosse frousse annuelle ! Retour sur le phénomène de l’épouvante actuelle…

Expérience du moins

Deux enfants, largués dans une maison. La réminiscence de l’absence d’une mère. Un père à peine présent. Ébauches d’un scénario se dessinant en décalque des plans du début de Skinamarink, se présentant en une poignée de plans statiques comme un film du frugal. L’éclairage minimaliste, les plans rognant constamment l’action, les acteurs en hommes-troncs inversés dont le visage ne nous est (presque) jamais dévoilé et surtout le grain de l’image. Ce bruit de luminance constant, traversant Skinamarink de part en part, texturant l’écran de cet étrange spectre de pixels duquel semble constamment émerger le pire.

The House (Skinamarink)

À force de regarder l'abîme...

Des plans fixes, souvent longs, parasités par ces interférences persistantes, émergent des doutes. D’abord sur l’architecture même de la maison, que le réalisateur Kyle Edward Ball parvient parfaitement à caractériser tout en retranchant pourtant au spectateur toujours la majorité de la scène. De l’image suinte une étrangeté se matérialisant graduellement. Du plan fixe qu’il nous oblige par la longueur à fouiller, l’œil détecte une aberration – un cadre de porte présent où il ne devrait pas y en avoir, une ombre étrange, une bizarrerie d’architecture. Mais sitôt vue, le plan nous échappe pour le suivant, d’apparence tout aussi banale jusqu’à ce qu’une nouvelle singularité apparaisse.

... l'abîme regarde aussi en toi.

Et par ce procédé, Skinamarink nous oblige à le sonder. Chaque plan est passé au crible. Chaque détail devient douteux, chaque ombre une silhouette menaçante, jusqu’à ce que l’assistance ne commence à créer son propre croque-mitaine ! Des plans auparavant étranges émanent peu à peu une menace tangible, projetée inconsciemment par le public à l’écran. Les murmures des deux enfants, bientôt seuls dans cette maison, nous obligent à monter le son. À tendre l’oreille. Le film tente de s’échapper du spectateur pour mieux lui sauter dessus, lui ôte tous ses sens pour l’attaquer au centuple.

The House (Skinamarink)

Puis vient le moment où le doute n’est plus possible. Les fenêtres disparaissent. Les portes se déplacent. Les ombres envahissent les pièces, à peine troublées par la lueur stroboscopique d’un écran cathodique posé au sol, dernière distraction pour les deux enfants désormais abandonnés à leur propre sort. La digestion a commencé et l’ogre maison n’est pas prêt à les recracher, lorsque soudain une voix – déformée, gutturale – résonne de l’étage.

Le Croque-Mitaine

Les deux gamins l’attribuent immédiatement à la figure parentale, irrémédiable absente, et l’un d’eux va oser monter les escaliers. Gradation dans l’horreur, cette scène marque le tournant d’un film dérangeant vers un film purement terrorisant. Un chamboulement matérialisé par une caméra qui passe de longs plans-fixes, parfois de très légers travellings, à une caméra portée à hauteur de gamin. Décrochage souligné par la voix de cet enfant, rempli d’espoir : Maman ? Papa ? Et le film de parvenir à secouer son spectateur et à le faire entrer immédiatement en empathie avec ce gosse dont nous n’avons vu, littéralement, qu’un bout de jambes…

The House (Skinamarink)

Et si la gradation dans l’horreur opère bel et bien dans cette chambre perdue à l’étage de cette maison démoniaque, c’est que le film tire sur ses rênes. La fenêtre de jump scare s’ouvre, mais Kyle Edward Ball semble bien décidé à ne pas la refermer de sitôt, créant la même tension qui traverse le tout aussi petit budget Leaving D.C. La caméra erre dans cette chambre, prenant en son œil cyclopéen le spectateur en otage. Une prise d’otage consentie et presque masochiste – il suffirait de fermer les yeux – que le réalisateur a bel et bien anticipé lorsque son personnage lui-même clos ses paupières. Ne reste alors que l’écran noir, les parasites à l’image et le son, et l’horreur ne fait pourtant qu’enfler.

Horreur expérimentale

S’il est indéniable que le côté expérimental du film demandera à son auditoire un lâcher prise des plus total – d’où, probablement, le schisme creusé entre les avis dithyrambiques et désastreux qu’il récolte – il va sans dire qu’il lui impose une expérience d’épouvante ultime. En faisant le choix de ne pas imposer (ou presque) de bestiaire visuel horrifique, il se contente de faire germer les peurs du spectateurs qu’il projettera lui-même à l’écran.

The House (Skinamarink)

Une véritable expérience de cinéma, bien loin des trains-fantômes bien inoffensifs proposés par bon nombre de blockbusters horrifiques actuels (Scream 6, Evil Dead Rise, Crazy Bear ou encore tout récemment La Main etc.), qui s’avère également être de loin le film d’horreur le plus notable de l’année jusqu’ici. Une preuve de plus, s’il en fallait, que le budget ne fait pas tout : le long-métrage a coûté 15’000 dollars, soit à peu près 4333 fois moins que la purge Renfield gonflée d’hémoglobine numérique !

House of the lost leaves

Une plongée dans un distillat d’horreur, qui n’aurait pas à rougir face au premier segment de Lost Highway… L’œuvre ultime de David Lynch offrait en effet déjà un condensé de trouille dans ces vidéos tout aussi bruitées, reçues par la poste, où une caméra inconnue se baladait dans les couloirs de la maison du personnage principal. Si le grain de l’image et le trouillomètre rapprochent les deux œuvres, le design sonore fait de bourdonnements électriques et de bruit blanc ne pourra que souligner une certaine gémellité avec l’œuvre du papa de Mulholland Drive. Pourtant, la véritable inspiration du film – tant qu’il pourrait aisément être considéré comme une adaptation inofficielle – est à chercher du côté de La Maison des feuilles d’ailleurs réédité (enfin !) dans une merveilleuse édition couleur chez Monsieur Toussaint Louverture.

The House (Skinamarink)
La mise en page déstabilisante de « La Maison des Feuilles »

En effet, l’œuvre maboule de Mark Z. Danielewski infuse chaque plan de ce Skinamarink (après avoir influencé de nombreux films, dont le récent et très bon Relic de Natalie Erika James). La terreur sourde que l’on ressent face à ce livre qui métamorphose sans cesse sa mise-en-page à mesure que se transforme la maison qu’il décrit est la même sensation de vertige qui noue le ventre du spectateur de Skinamarink. Et si Danielewski utilise tout ce que le format peut lui offrir (pages blanches, insert d’images, textes mouvants, police changeante, polyphonisme visible…), Kyle Edward Ball est tout aussi inventif avec son long-métrage. Jeu avec le silence et les sous-titres, plans à l’envers, graduelle déstabilisation de tout repère spatial et temporel pour approfondir l’abîme face auquel le spectateur se trouve en toute fin de film.

« Before I made my YouTube series, I made a short horror film that I thought people wanted to see, but I didn’t really want to make. And then I found out that people didn’t really want to see it. I learned after that point that what the audience wants to see and what you want to make are actually more similar than you’d think. »

Un réalisateur qui a déjà creusé le genre au travers de sa chaîne YouTube (que l’on ne peut que vous conseiller de découvrir, un exemple ci-dessus) : Bitesized Nightmares. Laissez-vous tenter par ce Skinamarink sur Shadowz ! Loin des productions sitôt vues, sitôt oubliées, le film propose une terreur lente, qui infusera dans votre sang un véritable distillat de cauchemar.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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KillerSe7ven
Administrateur
1 année

Il a l’air très cool mais je me le réserve sur grand écran sur mon vidéo pro à la maison ! Pour quand je serai de retour de vadrouille.

KillerSe7ven
Administrateur
1 année
Répondr à  Mr Wilkes

Vu le message vocal que j’ai reçu de mon frère cette nuit au milieu de l’orage canadien, je crois bien qu’il fout vraiment les pétoche ce film. Tu avais raison !

Ummagumma
1 année
Répondr à  KillerSe7ven

Étant donné qu’à la campagne une partie des orages se soldent par une coupure d’électricité alors oui j’étais un peu nerveux lorsque le film s’est terminé vers minuit et que le tonnerre grondait dehors!

Sinon j’ai vraiment aimé le film, surtout sa réalisation, j’ai trouvé qu’on était presque dans de l’expérimental à certains égards. Il fait aussi si souvent sombre qu’on se croirait en haute mer, dans le bleu flou de l’océan, sauf qu’ici c’est l’obscurité et on essaye d’y deviner des formes qui parfois ne sont que dans notre tête. Comme quand on tâtonne dans le noir en vrai.

J’ai eu moins peur (sentiment subjectif) que devant It Follows ou Hereditary pour citer les deux derniers films à m’avoir vraiment fait peur au point de faire des cauchemars. Mais doux Jésus c’est difficile de ne pas être impressionné par la mise en scène ultra claustrophobe et qui donne l’impression que ces pauvres gosses sont absolument piégés dans une autre dimension par un démon avec un grand D, le genre qui se nourrit de la peur de ses hôtes, comme lors d’une paralysie du sommeil. C’est un peu comme s’ils se faisaient digérer par la maison.

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je n’avais jamais rien vu de tel. Je conseillerais également de le regarder un soir où t’es en forme car j’étais de mon côté fatigué de ma journée quand je l’ai commencé tard et vu qu’il y a de longs silences et que c’est volontairement un rythme lent, ça a peut-être nui à mon immersion car j’étais tout simplement bien fatigué.

Hâte de voir ce que le réalisateur fera ensuite.

le loup celeste
Administrateur
1 année

Une œuvre particulièrement expérimentale visiblement. J’adore ! 🙂

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[…] d’horreur distribué par A24 titré La Main (Talk to Me en version originale). Après le choc Skinamarink, que vaut donc cette production horrifique estivale ? Réponse à lire […]

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