Après Les Combattants et neuf ans d’absence, Thomas Cailley nous revient avec un film qui fait sensation au cinéma en ce mois d’octobre : Le Règne animal. La preuve d’un renouveau dans le cinéma français ? Nous allons essayer d’y voir plus clair ci-dessous…
Faites entrer les monstres...
François (Romain Duris) tente tout pour aider sa femme, en proie aux mystérieuses mutations animales qui touchent une part de l’humanité. Son internement dans une structure spécialisée l’obligera, ainsi que son fils Emile (Paul Kircher), à déménager au sud de la France. Pourtant, lorsqu’elle s’échappera du centre où elle est gardée, leur existence se retrouvera profondément chamboulée…
Voilà sans trop en dire le point départ de ce Règne animal, qui débarque inopinément dans la carrière de Thomas Cailley après une absence de près d’une décennie. Augmentation de budget et casting conséquent (Romain Duris en père, Paul Kircher pour jouer Emile et Adèle Exarchopoulos en Gendarme), son cinéma prend une nouvelle ampleur. Et force est de constater que Cailley négocie ce virage assez brillamment.
Ouverture fracassante
Une bonne partie de son film tient d’ailleurs dans sa scène d’ouverture, figurant le duo père-fils ainsi que leur adorable berger australien dénommé Albert. La voiture n’avance guère, coincée dans les embouteillages. Les klaxons résonnent. Et inexorablement, malgré les aphorismes lancés par le père pour éduquer son fils, la tension monte dans l’habitacle jusqu’à ce que Emile ouvre la portière et s’en aille.
« Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience »
Aphorisme de René Char, répété à plusieurs reprises par le père dans « Le Règne animal »
La caméra plutôt calme s’excite alors, suit le duo précédé du canidé entre les bagnoles stationnées, jusqu’à ce qu’un choc sonore les arrête dans leur dispute. Des cris émanent d’une ambulance, à quelques pas des deux protagonistes, avant de laisser place à la violence pure : deux soignants sont expulsés par les portes-arrières, arrachées par la puissance du choc. Et une étonnante créature, entraperçue plus que vue, s’extirpe du véhicule pour s’échapper en volant.
Dans cette scène nait d’abord la relation père-fils, qui traversera tout le long-métrage, entre heurts et rapprochements successifs. Cailley y préfigure également le motto de ses mouvements de caméra, portée à l’épaule mais stabilisée. En somme, ni du shaky-cam ni des plans fixes, mais un entredeux qui lui permet l’élasticité nécessaire aux sursauts d’action déboulant sur le plan tout en gardant une image parfaitement lisible. Finalement, la scène porte en germe la volonté (et la nécessité pratique, forcément) de la suggestion : si Le Règne animal n’est pas avare en effets (loin de là !), Cailley saura l’utiliser, ainsi que le dévoilement parfois partiel des créatures, pour rivaliser avec la concurrence à grand spectacle américaine, tout en ne cédant pas aux effets cheap ou au tape-à-l’œil grossier.
Cinéma de genre gourmand
Généreux donc, et parfois presque à l’excès, tant il lance des trames narratives diverses permettant à une multiplicité de films de naître au sein même de ce Règne animal. Tant qu’il est parfois difficile à Cailley de donner toute la consistance nécessaire à ces nombreuses intrigues, à l’instar de la romance sous forme de teen movie qui entoure Emile et sa bande, mais aussi d’un personnage de Gendarme incarné par Adèle Exarchopoulos qui reste une fabuleuse coéquipière comique malgré sa vacuité scénaristique. Et c’est là l’un des rares reproches à apposer à ce long-métrage.
Mieux, cette remontrance permet au film d’engager un propos multiple lui-aussi, et pour le coup brillamment maîtrisé. D’une body-horror à la Cronenberg (évoquant inévitablement La Mouche) filant la métaphore des changements physiques adossés à l’adolescence jusqu’à l’organisation intrinsèque d’une société refoulant systématiquement le retour au sauvage, en passant par le sort de l’animalité dépeinte d’une façon désarmante, le film s’enrobe d’une généreuse pluralité de discours.
Et cette construction en couches successives trouve son écho dans l’artisanat même du film, mêlant incroyables performances artistiques (notamment pour Tom Mercier, alias Fix l’homme oiseau), un goût immodéré pour les effets pratiques et l’ajout d’une habile dentelle numérique pour compléter les précédents.
Casting parfait ?
Notons côté acteur le choix judicieux du trio que nous évoquions plus haut. Paul Kircher devient encore plus convainquant que dans le pourtant déjà passionnant Le Lycéen de Christophe Honoré. Romain Duris, malgré quelques répliques qui lui tombent des lèvres (notamment en début de film), s’en sort à merveille en père et mari paumé tentant tant bien que mal de faire face aux remous de leur nouvelle existence. Et Adèle Exarchopoulos, parfaite malgré un rôle peu consistant, qui renoue avec le cinéma de genre après avoir été du casting de l’un des meilleurs films fantastiques de l’année passée, Les Cinq Diables.
Bref, Le Règne animal de Thomas Cailley parvient à offrir un brillant long-métrage de genre, généreux et puissant, intelligent dans ce qu’il raconte sans amputer son pan de pur grand spectacle. Une aventure émouvante, à découvrir actuellement en salles.
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
Catégories
Posts récents
Stay Hungry, l’appétit de vivre
- 12 novembre 2024
- 5min. de lecture
Doomsday (2008), le New York 1997 écossais ?
- 11 novembre 2024
- 5min. de lecture
Terrifier 3 – Ho ho horreur, le
- 11 novembre 2024
- 4min. de lecture
View Askewniverse, digression dans l’univers de Kevin
- 9 novembre 2024
- 13min. de lecture
À son image, instantanés d’indépendance
- 9 novembre 2024
- 6min. de lecture
[…] scène qu’elle traverse. Pour lui donner la réplique, Tom Mercier (l’homme-oiseau du Règne animal), dont la diction si particulière confère à son personnage un air perdu et hors-sol qui lui va […]
[…] énième film du dimanche, le cinéma français fantastique a même trouvé son portevoix avec Le Règne Animal et (à mes yeux) Tropic, l’un ayant rencontré un succès insolent en salles, l’autre faisant […]
[…] formes de discrimination qui meurtrissent une fraction importante de la société française, ce cinéma de genre gourmand se métamorphose sur support 4K Ultra HD (la vidéo flatte la rétine et l’audio […]