Après nous avoir enjoint à regarder avec Chouf, le réalisateur franco-tunisien Karim Dridi revient avec une œuvre passée par l’ACID cannois : Fainéant.es. Titre clin d’œil – ou coup de coude – au mépris d’une classe politique autant obnubilée par ses “renflements bruns” que par la très libérale notion d’ “efficacité”, le film est une vraie œuvre punk et féminine. Hors de tout ce que le cinéma nous abreuve habituellement, déroutant, politique, voilà bien un long-métrage que l’on ne voit pas tous les jours. Autant profiter de sa ressortie en format physique pour s’y (re)plonger.

Errances heureuses

Djoul (.jU) et Nina (Faddo Jullian), deux “soeurs” comme elles s’appellent, se font violemment éjecter d’un squat en Bretagne. Elles prennent alors la route dans leur vieux camion, pour sillonner la France. Amours, joies et galères sont forcément au rendez-vous, au gré des nuits interlopes qu’elles traversent au sein de cet hexagone parallèle, dans cet infra-monde punk qu’elles habitent jour après jour.

Tandem de femmes, cinéma de gueules cassées, Fainéant.es questionne dès son titre le doux mépris de la classe politique et bourgeoise pour ce monde qu’on qualifie volontiers d’hippie ou de marginal. La fainéantise, les sans-dents, les moins que rien,… On connaît bien cette douce musique susurrée par la France start-up, celle qui se lève tôt, qui réussit et qui travaille, elle. Et dans un beau geste punk, Fainéant.es lui fait un sacré doigt d’honneur qui s’attache à représenter les gueules qu’on ne montre pas sur grand écran, les accents et les phrases qu’on n’y entend jamais, les corps qui dégueulent des standards dans lesquels on veut les enfermer.

Punk, vraiment ?

En effet, dans un pur geste punk Fainéant.es aurait dû totalement s’absoudre du scénario et de son ordre castrateur. Malheureusement, il y revient trop souvent (pour clore son récit sous forme de boucle, pour narrer une dispute, puis des retrouvailles, pour connecter le destin de deux personnages), et c’est dommage. Le long-métrage aurait été parfait dans une épure qui se serait marié à son propos. Là, il tente trop souvent de se raccrocher au train scénaristique pour totalement convaincre…

Plus petit reproche, mais reproche tout de même : s’il avait voulu épouser le code punk, Fainéant.es aurait dû s’amputer de plusieurs dizaines de minutes. L’esthétique punk : la simplicité (le film l’a malgré ses virages scénaristiques), l’os, la concision. Une concision qui aurait imposé à Fainéant.es plutôt une durée d’1h20 que les près de deux heures que fait le long-métrage. Deux heures qui l’alourdissent de plusieurs ventres mous malvenus.

Éloge de la fainéantise

Si nous rêvions à son visionnage de son alter ego taillé à l’os, parfaitement a-narratif, ne nous mentons pas : Fainéant.es est tout sauf du cinéma mainstream. Et ça fait autant plaisir à voir qu’à entendre. En effet, le film est traversé de plusieurs morceaux savamment trouvés et d’une bande-originale qui lorgnerait presque vers celle du Règne animal, la mélodie en moins, le métallique en plus.

« Fainéant, c’est ne rien faire. Fainéant, c’est faire le vide. Fainéant, c’est être. »

Bref, vous l’aurez compris, si ce cinéma de trognes n’est pas sans défaut, il n’en est pas moins un objet tout à fait non conventionnel. Du cinéma hors des clous, qui a galéré à se produire, et qui explore une frange de la société qu’on a plus tendance à occulter qu’à filmer, et en ça il en devient une œuvre fragile, assez passionnante à étudier et à comprendre. Un long-métrage à retrouver d’ores et déjà en format physique…

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 103 min
Date de sortie : 19 novembre 2024

Format vidéo : 576p/25 – 1.77
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

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Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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