Adaptation du roman éponyme de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux est la grosse production hexagonale qui sort ces jours-ci en salles. Réalisé par les frères Boukherma (Teddy, L’Année du requin), produit (entre autres) par Gilles Lellouche et distribué par Warner Bros, le long-métrage nous propose une plongée étouffante entre les étés 1992 et 1998 dans un bled perdu de l’Est de la France.
Anthony (Paul Kircher, déjà génial dans Le Lycéen d’Honoré et encore plus dans Le Règne animal, et qui est ici, empressons-nous de le dire, la grande force du film) s’emmerde ferme avec son cousin. S’ils s’apprêtent à visiter la plage des culs-nus, c’est sans grand espoir d’y voir autre chose que quelques vieux en train de rôtir au soleil. Ils tombent pourtant sur deux jeunes filles et pour Anthony, c’est le coup de foudre immédiat pour Stéphanie. Ces dernières les invitent à une fête, le soir-même. Ils s’y rendent en piquant secrètement la moto du père d’Anthony (Gilles Lellouche). Après une nuit d’ivresse, un coup du sort parachève la violence de leur gueule de bois : la moto a disparu…
Commençons par parler du livre. Nicolas Mathieu déploie avec Leurs enfants après eux puis Connemara quelques années plus tard un véritable continuum autant géographique (la France rurale de l’Est et ses classes sociales, pour le dire vite) que stylistique. Et la première chose qui saute aux yeux en lisant Nicolas Mathieu, c’est à quel point il est plus intéressé par le descriptif que par le narratif. Chaque action est trouée de digressions descriptives dès que cela est rendu possible. Des descriptions distillant souvent des indices quant à la condition sociale du milieu dépeint par le bouquin.
« Les hommes parlaient peu et mouraient tôt. Les femmes se faisaient des couleurs et regardaient la vie avec un optimisme qui allait en s’atténuant. Une fois vieilles, elles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s’étaient fait la malle.»
Nicolas Mathieu, dans les premières pages de "Leurs enfants après eux"
Une écriture criblée d’une certaine trivialité tout célinienne : en quelques pages de l’ouverture du roman, on parle de “plages des culs-nus”, d’espérer “sortir des meufs”, de “fesses pas croyables”, on se payait “200 balles de skunk” et de son “premier pet'”… Les marques (Vittel, Prisu, Vache qui rit, Ray-Ban…) prennent un rôle quasi-métonymique et permettent à Nicolas Mathieu le double rôle de situer sociologiquement et temporellement son récit.
Une poignée de considérations littéraires qu’il est bon de garder en tête lorsque l’on voit l’adaptation des frères Boukherma, tant ils retournent absolument chacune de ces caractérisations. D’un récit fait de constantes digressions descriptives, on en tire un film qui ne prend jamais le temps de voir, qui a si peur de sa durée (2h20) qu’il s’inquiète toujours de créer du rythme, parfois bien artificiellement. D’un bouquin perclus de considérations sociales, on évacue presque totalement cet aspect, relégué à quelques (beaux) plans de hauts-fourneaux devenus cathédrales et d’un discours effleurant à peine le sujet. On préfère à cela la narration d’une histoire d’amour – vue et revue – qui de sous-intrigue du livre devient moteur intégral du récit. Finalement, d’un texte moucheté de cette multiplicité de trivialités, on pond un film à l’esthétique classieuse, proprette, certes (généralement) très agréable à regarder mais finalement bien vaine.
Impossible de passer à côté, Leurs enfants après eux lorgne beaucoup du côté d’un film sensation de cette fin d’année : L’Amour ouf, de Gilles Lellouche. Et la présence de ce dernier au casting n’est pas le seul point commun des deux œuvres. C’est en effet l’acteur et réalisateur qui avait acquis les droits du roman de Nicolas Mathieu (et qui aurait dû réaliser l’adaptation), avant de devenir l’un des producteurs du projet passé aux mains des Boukherma.
Si d’aucuns parlent d’anti-Amour ouf pour décrire Leurs enfants après eux, on est pourtant face aux mêmes généalogies d’objets filmiques. On connaît les films sociaux plombants teinte gris sur gris, on avait aussi les personnages hauts en couleurs venus tout droit du ch’Nòrhd de la filmographie de Bruno Dumont, on a désormais le cinéma juke-box style tape-à-l’œil emporté dans le sillage de l’égo-paquebot Lellouche. Au programme : prolo-porn, amourettes érotisantes et méchants arabes. Et si Leurs enfants après eux colle en effet à la structure du livre (la fête, le vol de la moto par Hacine, l’explosion de la cellule familiale, la revanche, etc. etc.), le film fait passer tout le contenu sociologique du livre dans sa forme. Et de ce vide ne subsiste qu’une intrigue un brin gênante, mollassonnement raciste, qui s’arrête à point nommé : la coupe du monde 98, la liesse, la joie populaire. Inutile d’évoquer vraiment ce qu’on laisse à cette France des miettes (elle n’a qu’à traverser la rue…), inutile de creuser la question du racisme, inutile de réfléchir pour qui va voter Anthony dans quatre ans puisque regardez-les, ils sont contents. Circulez, y a rien à voir, la France Black-Blanc-Beur tape dans un ballon et hop, un p’tit coup de Johnny, un p’tit coup de Cabrel, et on passe à autre chose…
Non, le seul segment qui surnage de cette version ciné de Leurs enfants après eux, c’est celui traitant de la relation filiale entre le père et le fils. Et la déshérence annihilatrice (et un brin touchante, avouons-le) de ce père alcoolique et largué. Donnons-lui ça, sa capacité à ne jamais ennuyer en deux heures vingt de film (à quoi bon ?) et des images plutôt de très belle facture. C’est déjà mieux que rien… Reste un conseil avant de se risquer à cette version filmique : oser se frotter aux très belles pages de Leurs Enfants après eux par Nicolas Mathieu, qui a eu le goût de gagner un Goncourt et d’être également un très bon roman. Comme quoi, tout est possible !
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
© 2021 MaG - Movie & Game Tous droits réservés