• Version PC testée sur mon vidéoprojecteur 4K, un régal !
  • Fini d’une traite en un peu moins de trois heures
  • Code transmis par l’éditeur
  • Monokel est désormais un studio à suivre de près !

Le tambour médiatique de fin d’année, aussi impitoyable qu’inarrêtable, laisse peu d’espace pour les nouveaux venus. Difficile de creuser son trou commercial pour les derniers de cordée, sans qu’il ne s’agisse d’une tombe. Les grands éditeurs aiment à saturer le « temps de cerveau disponible » à grand renfort de jeux spectacle. Au milieu de ce no man’s land artistique, certains résistants cherchent à percer une ligne de front. C’est le cas de l’éditeur suédois Thunderful. Récente fusion de plusieurs bastions indépendants, dont Image & FormZoink et Rising Star Games notamment, l’éditeur à l’alléchant portefeuille créatif vient d’entrer en bourse, à l’instar d’un certain Devolver. Avec Firegirl, The Gunk et White Shadows, cela fait pas moins de trois nouvelles licences catapultées simultanément (et maladroitement) en décembre. Cygne noir de l’hiver, White Shadows a baigné dans l’ombre de la presse spécialisée. MaG rétablit aujourd’hui la lumière sur cet éclair de génie, première fable ludique du studio allemand Monokel.

Un jeu Ravens(burger)

White Shadows s’inscrit dans le courant des productions du maître suédois Playdead à qui l’on doit les mémorables Limbo et Inside. A la croisée d’un die and retry et d’un puzzle-game modérés, c’est surtout par sa proposition narrative minimaliste que se distingue cette école. Première règle d’or : une interface inexistante, pas de HUD ni de tutorial. Un bouton, deux, tout au plus. Dialogues réduits à des bruits ou langues inaudibles. Deuxième mantra : un style visuel radical à l’esthétique exclusivement dédiée à la narration. Le premier né de Monokel s’inscrit parfaitement dans cette ligne et coche un à un les prérequis pour séduire le joueur. Le jeu débute avec une entrée en matière in medias res, sans même passer par la case menu. A quoi bon ? 

La caméra se rapproche d’un gigantesque téléphone duquel un coucou mécanique s’extirpe. Notre humanoïde à tête de corbeau s’en échappe ensuite. Avec sa palette de nuances de gris et ses puissants néons, le titre raffole des références aux années 1930. De vastes tours se dessinent dans le ciel, traversé par des trains mécaniques à toute allure. White Shadows rappelle immédiatement le chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis. Propulsé au beau milieu de cette chaîne de production qui éventre ces quartiers aériens, on participe à une éternelle fuite en avant.

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Propaganda

La phrase assassine « Les corbeaux sont coupables » lit-on sur les façades de cette ville qui rappelle également l’ancienne Citadelle de Kowloon, quartier hong-kongais à la verticalité et densité de digne de Blade Runner. Notre petit corbeau s’enfourne malgré lui dans une chaîne de production quasi concentrationnaire. A l’instar de l’enfant -et héros malgré lui- de Limbo, l’œil de l’oiseau crève l’écran, telle une lanterne dans la nuit noire. On avance, parfois surpris par de vastes halos lumineux et écrans publicitaires proto-fascistes, qui associent l’oiseau de malheur à la peste noire. Le vertige est omniprésent dans White Shadows qui semble parfaitement avoir intégré la construction labyrinthique et le rythme posé d’Inside. Ici, un ascenseur activé par un cochon dans une roue de métal, nous fait découvrir l’immensité de la ville et ses généreux panoramas. Au loin, des cloches retentissent pour annoncer le prochain programme de la sinistre métropole de « Funworld », tout cela sous la chevauchée des Valkyries de Wagner.

Inside
Son modèle : Inside, le roi du clair obscur (testé sur MaG)

L’éclaircie vient après la pluie

Des machines s’actionnent dans l’ombre, tandis qu’en arrière-plan des files de cochons lobotomisés sont transformés en électricité. Le bétail est aussitôt propulsé dans des tubes de verre jusqu’à l’autre bout de la ville. Tel un plan séquence de La soif du Mal d’Orson Welles, chaque scène contribue à la cohérence de l’univers, lequel impose son identité en quelques minutes à peine. White Shadows joue avec les profondeurs de champ et n’est pas qu’un simple scrolling 2D horizontal ou vertical. Des peintures propagandistes rappellent les débuts de l’expressionnisme allemand, plus précisément le cinéma muet du Cabinet du docteur Caligari. On glisse alors au cœur de la machine. Une scène de plate-forme nous fait sauter de trains en trains à l’instar des dragons volants de Ghosts’n Goblins avant d’entrer dans l’envers du décor du ministère des lumières. Les références aux camps de travail, puis à l’holocauste se révèlent progressivement selon une variante contemporaine. Cette dernière pourrait aussi bien dénoncer nos abattoirs de notre société de consommation sans limites. 

White Shadows
White Shadows parvient à trouver son propre style graphique

« Créateur de batterie depuis 19.. » lit-on sur un panneau, alors que seuls les deux derniers chiffres effacés laissent présager les années noires des premiers camps d’extermination nazis. Il faut jouer à White Shadows pour comprendre combien ce jeu allemand réinvente à sa manière la grammaire narrative d’Inside. Il ne s’agit pas seulement de jeux d’ombres et lumières, ni de ces folles séquences où, de justesse, l’on échappe à la mort parmi nos congénères corvidés. C’est par son déroulement qui file comme un ruban qu’on participe à l’Histoire. L’utilisation de nos congénères (façon Lemmings qu’on envoie au casse-pipe) prend un autre chemin que celui imposé par Inside, dont White Shadows semble directement répondre. L’OST, exclusivement composée de musiques classiques, contribue à cimenter cette ambiance particulièrement dérangeante. Des rats baragouinent dans un langage criard qui rappelle les idiomes des extraterrestres de Mars Attack. Enfin, les bruitages radiophoniques et cachets télévisuels sont une franche réussite.

White Shadows

« Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d'autres. »

Très vite, White Shadows prend le contrepied d’Inside, dont il reprend allègrement les codes pour mieux les détourner. Souvenez-vous de cette scène du jeu suédois, où l’enfant, s’extirpant d’un champ de maïs, trouvait des petits poussins qui nous suivaient en piaffant joyeusement. Même point de départ ici, dilemme et forçage ludique, mais dénouement tout autre… White Shadows choisit un cheminement en boucle narrative autrement plus inclusif et moins pessimiste sans doute. Des plans infinis laissent entrevoir des bras de métal qui cultivent des fermes d’œufs, produits en batterie, jusqu’à l’avènement du prophète : celui qui choisira de prendre le scrolling à rebours. Le slogan « All animals are equals » sera décliné selon les propositions antagonistes des deux camps. Propagandes, contre-propagandes s’affrontent pour un unique récit, baigné dans ce théâtre de la cruauté où l’on est tantôt victime, tantôt complice, sinon bourreau. White Shadows est une relecture moderne originale de la ferme des animaux d’Orwell.

En nous faisant revivre certaines scènes par un habile manège, la suggestion opère naturellement et le joueur, marqué par les précédents traumas, changera le cours du récit. Renversement narratif à mi-parcours écrit avec intelligence, la magie du conte opère à merveille. Seuls quelques problèmes de collisions, sauts maladroits et échelles invisibles écorneront légèrement l’expérience. White Shadows est une fable orwellienne brillante par son approche, sa souplesse et son style années 1930 remarquablement retranscrit. Il interroge sur le revers du plébiscite, l'endoctrinement populiste, comme les moteurs du racisme et de l'exclusion, premiers leviers du fascisme. Un corbeau qui augure -pour une fois- un bien bel avenir pour le studio Monokel !
Pour
  • Style visuel riche
  • Rythme bien maîtrisé
  • Puissant pouvoir de suggestion
  • Réponse directe à Inside
Contre
  • Problèmes de collision par moment
  • Rigidité du personnage parfois abusive
  • Expérience courte (mais intense)
  • Sortie dans une relative indifférence du calendrier de fin d'année

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

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Ummagumma
2 années

Tu m’as convaincu, ce sera mon prochain jeu quand j’aurai terminé Pillars of Eternity !

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