À l’occasion de la sortie du coffret collector Nicolas Philibert : En psychiatrie chez Blaq Out (contenant les films Sur l’Adamant, Averroès et Rosa Parks, La Machine à écrire et autres sources de tracas & La Moindre des choses), nous allons revenir un à un sur ces différents documentaires d’un réalisateur centré sur le milieu de la psychiatrie. Passionnant, documentant l’évolution de cette pratique entre 1992 (La Moindre des choses) et 2024 et nous mettant face à l’humanité de ces gens si différents mais qui nous ramènent pourtant au centre de ce qu’est l’humain. Après Sur L’Adamant et La Moindre des choses qui ont déjà été chroniqués, c’est au tour d‘Averroès & Rosa Parks de passer sur le grill de la critique…

Triptyque documentaire

Le coffret En Psychiatrie regroupe un ancien film (La Moindre des choses) sorti en 1992, ainsi que le triptyque documentaire sorti entre 2023 et 2024. Après Sur l’Adamant, c’est donc sur le second pied de ce trio que nous allons nous pencher. Le premier explorait la nécessité et la précarité d’un hôpital de jour telle que la péniche de l’Adamant, tandis qu’avec Averroès et Rosa Parks on va plus se concentrer sur de longs entretiens entre le personnel de l’hôpital Esquirol et les patients. Ce lieu, tout comme l’Adamant, fait partie du Pôle psychiatrique Paris-Centre, et Averroès et Rosa Parks en sont deux unités.

Si La Moindre des choses était passionnant en ce qu’il racontait de l’art comme ciment entre toutes ces polarités dépeintes à l’écran (on y suivait la préparation de l’Opérette de Gombrowicz par des patients d’une structure psycho-thérapeutique), on lui reprochait tout de même un montage trop cut. Nicolas Philibert souhaitait sans doute insuffler un rythme à son récit par le montage, mais il segmentait par la même occasion de nombreux échanges, ce qui gardait souvent le spectateur plus à l’écart des différents patients qu’il dépeignait. Bien plus tard, il s’attaquait avec Sur l’Adamant à la représentation d’une structure à l’écran. Si les soignés y occupaient une place certes prépondérante, les plans s’attachaient d’avantage à dessiner la nécessité et la précarité de la péniche/hôpital de jour de l’Adamant. Avec Averroès & Rosa Parks on est encore dans tout à fait autre chose…

En effet, si le long-métrage débute par une longue séquence de drône (ensuite présentée aux patients) montrant depuis les airs les allures militaires (ou pénitentiaires) de l’hôpital, Nicolas Philibert va beaucoup plus se rapprocher de ses résidents. Il posera ses deux caméras (l’une dirigée vers le patient, l’autre vers le soignant) lors de consultations, généralement en petit comité. Sans contextualisation, on va suivre tout au long des deux heures vingt du film ces échanges. De véritables tranches de thérapies, où le temps long permet au documentariste d’aller capter non seulement toutes les fêlures de ces êtres humains fragiles et malmenés, et par la même occasion de relever les défis immenses qui se posent au personnel soignant ainsi que le manque cruel de moyens auquel ils doivent faire face…

Sonnerie de téléphone

En effet, le format rugueux du long-métrage – que l’on peut volontiers rapprocher du génialissime Notre Corps dont nous avions déjà parlé sur MaG – permet de faire apparaitre les anomalies. La gêne face à la caméra s’efface, les langues se délient, on s’extrait de plus en plus de cette sorte d’effet Hawthorne filmique pour capter l’essence de ce que sont ces réunions “soignants-soignés”. Mieux encore, la caméra pourra capter l’inattendu. Une sonnerie du téléphone de garde qui interrompra à deux reprises une réunion, prouvant à quel point les soignants doivent être sur tous les fronts constamment. Les cris d’une patiente qui, comme la sonnerie, mettra sur pause un échange.

On comprend aisément le manque de moyen, le manque de personnel, le manque de temps à accorder à ces âmes en peine bousculées par la célérité constante de notre société. Si les soignants s’efforcent de leur offrir un havre de paix temporaire (social, chimique ou les deux à la fois), les fréquentes allusions des patients au sujet du système de santé (et en particulier du milieu psychiatrique) est assez indicatif de ce qui s’y passe réellement. Tantôt assez bouleversant, tantôt carrément oppressant, Averroès & Rosa Parks montre un échantillon succinct de cette vie cachée que les financiers tentent de plus en plus d’étouffer. Le documentaire met en lumière ce monde à part et ses habitants, et prouve encore une fois la nécessité primordiale de ces lieux de soins.

 Fiche technique (Averroès & Rosa Parks)

DVD Région B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 139 min
Date de sortie : 03 décembre 2024

Format vidéo : 576p/25 – 1.85
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

3d-nicolas_philibert_coffret_en_psychiatrie.0

Le coffret contient les autres films de Nicolas Philibert (Sur l’Adamant, Averroès et Rosa Parks, La Machine à écrire et autres sources de tracas & La Moindre des choses), de nombreux bonus vidéo (notamment « Nicolas Philibert, hasard et nécessité », un film de Jean-Louis Comolli (2019, 90’)) ainsi qu’un livret de 144 pages. Les films font l’objet de critiques séparées à retrouver sur MaG.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Commentaires sur Inline
Voir tous vos commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x