Ours d’or de la dernière Berlinale, Sur L’Adamant de Nicolas Philibert (fameux documentariste, notamment de Être et avoir) vient juste de sortir sur support physique… Le moment idéal pour (re)découvrir ce documentaire qui nous ramène au centre de l’humain.

Oasis sur l'eau

Certains des premiers plans figurent la péniche de L’Adamant, posée sur les flots tranquilles de la Seine, entourée par l’agitation chronique de la ville. Bateau de police pressé, ponts saturés d’une circulation anonyme et ininterrompue, trains hâtés de combler leur retard, foules anonymes… Tout s’excite, tout s’agite, et la péniche semble observer d’un œil distant cet énervement citadin. Et pour cause ! Le bateau et ses entrailles sont détachés de cette temporalité. Il s’inscrit dans le temps long, où la contraction constante de notre société est interdite. Sa coque se veut la promesse d’un temps de pause…

Mais ce lieu de temps long n’en est pas pour autant dépourvu de vie, bien au contraire. De l’ouverture de ses étranges volets futuristes aux derniers soleils du couchant, la péniche abrite une vie grouillante. Le centre de jour aux pieds dans l’eau protège de ses murs ceux qui en ont le plus besoin. Mais ici, si leurs remarques cinglantes, leurs mouvements désinhibés ou leurs yeux parfois fuyants dénotent d’un trouble psychique sous-jacent, rien ne distingue plus les patients des soignants. Psychiatres, animateurs et soignés se mêlent sans se cacher derrière un uniforme, une blouse ou de savantes lunettes. L’Adamant n’est pas un hôpital (il est toutefois rattaché à un service), mais un carcan où ces femmes et hommes pas comme les autres peuvent s’épanouir, au moins pour un moment.

Et à voir le monde autour de cette péniche s’exciter, courir après le temps, harassé par le travail, l’argent, la réputation, on finit par se demander où se situe la normalité dans cette histoire. Mais trêve de digressions, revenons à l’os de ce documentaire…

La Nef des fous ?

Nicolas Philibert (s’) offre la dilatation temporelle et presque aucun commentaire, ses images parlent d’elles-mêmes. Les plans prennent le temps, taquinent, accrochent les regards, décrochent des interpellations : « Tu me filmes là ? ». Et le réalisateur de répondre simplement, sans plus relancer la discussion. Philibert capte le lieu, s’efface à mesure que le temps passe, devient autant le témoin des altercations que des coups de joie.

On devine les pathologies, nombreuses. Parfois à peine visibles, d’autre fois plus. Et elles questionnent notre normalité, à l’instar de Pénélope mon amourClaire Doyon filme avec une tendresse poignante l’autisme de sa fille. Et au gré des paroles échangées, on se plonge dans le monde qu’est le leur, avec gaieté parfois, avec émotion souvent. On devine également la complexité d’un tel lieu, le risque d’une étincelle qui pourrait créer un incendie au-dessus de cette Seine si paisible. Ici, on n’est pas derrière des écrans, pas plus que réduits à ces cases à cocher. Mais jusqu’à quand ?

C’est la question posée par Philibert en fin de documentaire. Jusqu’à quand… Au temps où les hôpitaux sont devenus des machines à fric, sujets au rendement, et les patients de la matière humaine à soigner au plus vite, L’Adamant fait figure d’exception. Osons espérer que ces lieux d’humanité subsistent… Osons croire, mieux, qu’ils puissent faire des émules. Un documentaire passionnant, bouleversant par instant, qui mérite largement son sacre à Berlin !

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 106 min
Date de sortie : 19 septembre 2023

Format vidéo : 576p/25 – 1.85
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Sur L’Adamant

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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