À l’occasion de la sortie du coffret collector Nicolas Philibert : En psychiatrie chez Blaq Out (contenant les films Sur l’Adamant, Averroès et Rosa Parks, La Machine à écrire et autres sources de tracas & La Moindre des choses), nous allons revenir un à un sur ces différents documentaires d’un réalisateur centré sur le milieu de la psychiatrie. Passionnant, documentant l’évolution de cette pratique entre 1992 (La Moindre des choses) et 2024 et nous mettant face à l’humanité de ces gens si différents mais qui nous ramènent pourtant au centre de ce qu’est l’humain. Débutons avec La Moindre des choses qui est donc chronologiquement le premier film de ce coffret…

Gombrowicz, un accordéon et des danses

Un château, un grand parc, des gens qui y divaguent. On comprend que des préparatifs sont en route. On va bientôt y jouer Opérette de Witold Gombrowicz. L’accordéon dérange les arbres centenaires. Les rires fusent. Les cris et les chants aussi. Il faut dire que les acteurs ne sont pas des professionnels. Ils sont tous pensionnaires ou soignants à la clinique de La Borde, spécialisée en psychothérapie.

Sans contextualisation, avec des interventions de l’auteur circoncises à quelques phrases prononcées en réponse aux patients, La Moindre des choses (qui est chronologiquement le premier film sélectionné dans ce coffret En Psychiatrie) propose une réelle plongée dans le monde de la psychothérapie des années quatre-vingt-dix. Certainement pas neutre, car le filmage est évidemment influencé par un montage parfois un brin trop découpeur (on aurait aimé plus souvent de longues scènes plutôt que ces nombreux cuts qui amènent certes un rythme, mais qui empêchent aux saynètes de prendre toute leur ampleur), le documentaire fait émerger des tranches de vie. Philibert s’occupe à capter les regards – empreints de doute, circonspects, tantôt amusés, tantôt dérangés par cette caméra voyeuse et intimiste – et à détailler les gestes.

Des marches maladroites, ces doigts qui pressent sur les tablettes de médicaments pour en remplir des soucoupes entières, les voix qui sonnent et désonnent, parfois de longs (et percutants) inserts face-caméra… Plus on s’enfonce avec eux dans cet été rythmé par les répétitions de cette pièce, plus on se fait une place à leurs côtés. Plus leurs anormalités s’effacent. Plus l’humain en chacun d’eux affleure.

Un texte au galop

Mieux encore, on comprend la résonance toute particulière que prend le texte de Gombrowicz pour eux. Une pièce développée par l’auteur polonais pendant plus de 15 ans, comme il l’explique ici : “J’ai ressorti alors mes brouillons d’Opérette, une pièce que j’avais commencée quand je travaillais encore à la banque – et que j’avais abandonnée – et avec laquelle j’avais lutté de nouveau à Tandil, et que j’avais encore une fois remise dans un tiroir…” (Testament. Entretiens avec Dominique de Roux). Dans ces danses, ces chants, l’urgence qui traverse le texte et son jeu sur les faux-semblants, sur les apparences, interprétés par ces acteurs-là prennent tout leur sens. Adieu la forme “incommode, rigide, désuète” du théâtre (selon les propres mots de Gombrowicz), bienvenue à la spontanéité, à la dissonance, à la folie bienfaitrice.

S’il faut quelques minutes pour entrer dans le film, comprendre son dispositif qui vous propulse dans cette vie sans préambule, on en ressort ravivé, heureux, probablement plus humain. La représentation finale, sous les yeux d’un public visiblement amusé et de la femme de Gombrowicz elle-même, parachèvera de donner au film une teinte joyeuse, qui évite le plombant ou le pathos pour simplement montrer à quel point ces lieux de psychothérapie sont indispensables et vivants, exactement comme ce qu’il fera vingt ans plus tard avec Sur L’Adamant. Un très beau documentaire !

 Fiche technique (La Moindre des choses)

DVD Région B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 104 min
Date de sortie : 03 décembre 2024

Format vidéo : 576p/25 – 1.66
Bande-son : Français Dolby Digital 2.0
Sous-titres : Français

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Le coffret contient les autres films de Nicolas Philibert (Sur l’Adamant, Averroès et Rosa Parks, La Machine à écrire et autres sources de tracas & La Moindre des choses), de nombreux bonus vidéo (notamment « Nicolas Philibert, hasard et nécessité », un film de Jean-Louis Comolli (2019, 90’)) ainsi qu’un livret de 144 pages. Les films font l’objet de critiques séparées à retrouver sur MaG.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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