• Testé sur PC au moyen d’un code fourni par les développeurs.
  • Configuration de test : RTX 4090 + i9-9900K = 4K 60 FPS quasi-constants, avec tous les potards à fond dont le path tracing (avec DLSS en mode Qualité + Frame Generation).
  • Jeu terminé en 25 heures en prenant mon temps.
  • Alan Wake 2 faisant partie du Remedy-verse, le jeu regorge de documents intéressants qui viennent nourrir le lore établi. Jouez tranquillement et prenez le temps de tous les consulter !
  • Critique écrite avec de la fièvre suite à une grippe carabinée.

Une erreur pour Alan Wake 2 aurait été de tomber dans le piège du « toujours plus » propre aux suites. Un piège d’autant plus ardu à éviter à notre époque où la notion de prise de risque créatif est difficilement compatible avec l’investissement financier et humain massif que représente une production triple-A. Alan Wake 2 sort 13 ans après l’original. Rendez-vous compte : treize ans ! Une éternité dans le monde du jeu vidéo. Pour quel résultat ? Verdict ci-dessous.

It's not a lake, it's an ocean

A l’époque, en 2010, le premier Alan Wake est piloté par un Remedy encore tâtonnant lorsqu’il s’agit de réaliser un jeu ambitieux sur le plan narratif. En effet, leur premier titre, Death Rally (1996), est un jeu de voitures vu du dessus tandis que les deux premiers Max Payne, bien que brillants et jouissifs d’un point de vue gameplay, disposent principalement de cinématiques racontées au moyen de vignettes de bande-dessinée.

Le premier Alan Wake avait su se distinguer du torrent de TPS qui déferlaient dans la foulée du succès de Gears of War. Avec son ambiance à la Twin Peaks, mâtinée de Quatrième dimension, le titre avait su tirer son épingle du jeu. Pour l’avoir refait récemment et testé sur MaG, le charme opère encore. Alan Wake, contrairement à Silent Hill 2, Dead Space, Resident Evil 4, voire Silent Hill 3 dans une certaine mesure, n’est cependant jamais parvenu à se démarquer en tant qu’œuvre pleinement singulière, la faute à un curseur « action » trop prononcé par rapport à son propos, à une sorte d’hésitation dans ce qu’il entendait incarner parmi les piliers évoqués ci-dessus.

J’entends par là qu’il ne suffit pas d’affubler un PNJ d’une bûche dans les bras ou de rendre son personnage principal accro à la caféine pour retranscrire correctement l’ambiance ouatée et cauchemardesque distincte du Twin Peaks de David Lynch et Marc Frost. Non, le malaise des films de Lynch vient souvent de l’indicible, de l’invisible, de l’Innommable, comme le reflète la célèbre et terrifiante scène du diner dans Mulholland Drive. Alan Wake en était donc resté au stade bon enfant du clin d’oeil. Réussi, certes, mais le joueur en restait là.

Pareil pour son hommage à La Quatrième Dimension qui se traduisait surtout par les excellentes scénettes de la série télévisée Night Springs, que le joueur pouvait visionner de façon intradiégétique. Du FMV (une spécialité de Remedy qui allait se renforcer par la suite) était alors incrusté dans certains tubes cathodiques répartis à travers l’aventure. Et si je vous disais qu’Alan Wake 2 faisait fi de toutes ces expérimentations de jeunesse ?

La forêt n'a jamais été si dense...

De la suite dans les idées

Disons-le franchement : Alan Wake 2, dans l’industrie du triple-A actuelle, fait presque figure d’OVNI. Oh, en apparence, on s’y tromperait vu de loin ! En effet, à l’exception des animations faciales qui demeurent la chasse gardée de Naughty Dog, Alan Wake 2 offre les graphismes les plus léchés à ce jour depuis The Last of Us: Part 2, notamment au moyen de l’implémentation du path tracing, qui rend les jeux de lumière plus vrais que nature.

Cette avancée technologique a un prix : il faudra une carte graphique récente pour en profiter, sous peine d’être condamné à jouer à 30 FPS, avec le DLSS activé en mode Performance. Que la majorité des joueuses et joueurs, toutefois, se rassurent : Alan Wake 2 est sublime, même sans path tracing. Cependant, sa direction artistique a été conçue avec cette technologie en tête du début à la fin.

Pour faire simple, je n’avais jamais vu de ma vie de joueur de si beaux et crédibles effets de lumière, au point souvent de flirter avec le photoréalisme. À côté, même Cyberpunk 2077 en 2.0 paraît un peu moins abouti. Au delà de la crédibilité de ses éclairages naturels, c’est lorsque le titre enchaîne les clairs-obscurs façon Suspiria de Dario Argento que le path tracing prend toute son ampleur. Une claque visuelle à se décrocher la mâchoire et qui instaure un nouveau standard technologique.

L'écriture pour seule échappatoire.

A dream within a dream

Vous l’aurez compris, Alan Wake 2 est beau, magnifique même. Mais ce n’est pas ce qui en fait une œuvre majeure. N’allez pas non plus chercher de révolution du côté du gameplay TPS, très proche du premier jeu, soit classique et efficace (on éclaire notre cible puis on lui tire dessus). Non, ce qui propulse Alan Wake 2 au rang d’œuvre la plus ambitieuse jamais développée par Remedy, c’est la façon dont il imbrique narration et mise en scène.

Alternant habilement et au bon vouloir du joueur entre Alan Wake et l’inspectrice du FBI Saga Anderson, le bijou de Remedy excelle dans sa capacité à nous livrer le récit par fragments dont on passe son temps à remettre la temporalité, voire la véracité en question. L’histoire se déroule ainsi par l’entremise de dialogues in-game, de sortes d’échos de conversations qui voient des ombres en FMV venir s’incruster avec élégance sur la ligne de fuite du décor (impossible de rendre justice au génie, à la pertinence et à l’élégance de ce procédé au moyen de captures d’écran) et de véritables scènes tournées par des acteurs en chair et en os, dont le célèbre scénariste Sam Lake, pilier de Remedy et visage de Max dans Max Payne 1 et 2. Cette incrustation donne lieu à des scènes mémorables, dont une en particulier, absolument délirante, vous trottera probablement en tête à jamais.

Ce tourbillon de moyens d’expression, dont la plupart évoquent les artifices du théâtre, constitue l’une des principales forces de cette suite, qui crée un nouveau type de mise en scène, à la fois brute et racée, encore jamais vu dans un jeu vidéo d’horreur. C’est un peu le brutalisme sensationnel de Control appliqué à la narration.

Le personnage de Saga Anderson, d'une belle justesse, tant en FMV qu'en pixels.

Lalanne Wake

Il est difficile de mettre des mots exacts sur la réussite de Remedy. Alan Wake 2 dispose d’une atmosphère à couper au couteau, en particulier du côté d’Alan qui erre depuis 13 ans dans un quartier de New York parallèle perdu dans les limbes de l’Antre noire. L’horreur y est diffuse, sourde, latente; l’obscurité infinie et épaisse comme de l’encre. Lorsqu’Alan tente de communiquer avec Saga Anderson vers le monde des vivants, les deux protagonistes ne perçoivent que des bribes de mots l’un de l’autre. Cette dimension maudite, sorte d’au-delà hanté en suspension dans l’espace-temps, entre les Morts et les Vivants, les Ténèbres et la Lumière, ne répond à aucune règle logique. Il revient alors à Alan d’écrire le récit de sa fuite, avec l’aide de l’agent Anderson. Je n’en dirai pas plus.

Contrairement au premier Alan Wake, le second opus ne cesse de varier les lieux visités. Si vous passerez du temps en forêt, il ne s’agit là que l’une des zones très détaillées que vous serez amenés à parcourir. Toutes dotées d’un level design aux petits oignons, ni trop petit ni trop grand pour nos personnages moins vivaces qu’un Léon Kennedy au galop, ces zones de jeu offrent toutes une atmosphère distincte, tant visuellement que sur le plan sonore. À noter également que comme souvent avec Remedy, la musique joue un rôle de premier ordre dans la mise en scène, qu’il s’agisse de rendre l’ambiance pesante ou au contraire de créer un décalage absurde.

Aux grands mots les grands Remedy

Je ressors d’Alan Wake 2 surpris, marqué et profondément subjugué par ce que j’ai vécu, par ce récit dense et hyperbolique dont j’ai jusqu’à la dernière seconde interrogé la côté réel ou non, l’un des thèmes centraux du titre (interrogé, entre autres, par la question de la sénilité et de la démence des personnes âgées). À la fin du premier jeu, Alan nous quittait sur cette réalisation « It’s not a lake, it’s an ocean ». Lorsque les crédits d’Alan Wake 2 tombent treize ans plus tard, on se dit qu’Alan Wake 2 est plus qu’une suite, c’est un renouveau, en tous points supérieur à l’original, et un nouveau standard pour l’industrie.

Alan Wake 2 n’est pas simplement « Alan Wake en mieux », c’est un titre novateur, une œuvre qui ose, qui interroge et qui surprend. Un peu à la manière de David Lynch qui n’a pas donné exactement à ses fans ce qu’ils attendaient dans la saison 3 de Twin Peaks, Remedy a choisi de s’affirmer en créant une suite à contre-courant de ce à nous sommes habitués, tantôt terrifiante, tantôt amusante, à la frontière du réel et à la croisée des genres et des scènes.

Lorsque vous lancerez Alan Wake 2, prenez le temps de vous immerger, d’écouter le son des arbres qui grincent dans la forêt ou encore de réfléchir devant son tableau d’enquêtes qui détaille l’intrigue. Beaucoup moins orienté action que le premier, ce sont les mots qui y ont préséance, davantage que la poudre ce qui, quand on y pense, est finalement beaucoup plus logique pour un écrivain.

Résident permanent dans la petite bourgade de Raccoon City et prosélyte du génial Rain World depuis 2017, on l'entend parfois jurer à pleins poumons lorsqu'il perd lamentablement face au singe de Sekiro à un poil de lemming près. En quête d'une 3080 depuis bientôt un an, le malheureux espère une réception de sa commande en 2022 : l'important c'est d'y croire ! Son TOC préféré ? Recenser dans un PDF tous les jeux auxquels il a joué dans sa vie.

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[…] claque technique, certes en deçà de celle procurée par Alan Wake 2 l’an dernier (lire notre critique), n’est toutefois pas exempte de défauts. On déplore ainsi des ralentissements assez fréquents […]

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[…] narratives et de mises en scène de Remedy, en particulier celles expérimentées par Alan Wake et son meta-univers associé, la cohérence et la maîtrise en moins pour les équipes de […]

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