Projeté lors de la soirée Halloween au Louxor avec The Wicker Man, autre film au destin chahuté, The Appointment a tout d’un rendez-vous manqué : celui d’un film maudit qui aura mis près de quarante ans à être disponible, après avoir subi les frasques d’une production laborieuse et d’un échec commercial. Dans l’incapacité d’assister au récital de violon de sa fille, Johanne, son père Ian (Edward Woodward) doit prendre la route après avoir une série de cauchemars prophétiques. Retour sur ce film miraculé qui est enfin disponible dans une version restaurée en Blu-ray comme au cinéma !

Lindsey décompose la cellule familiale

Par une anecdote que beaucoup d’enfants nés du siècle dernier reconnaîtront comme la lointaine époque où l’on allait au vidéo club pour choisir le film du samedi soir, Vic Pratt, archiviste du cinéma raconte comment il a découvert ce film par hasard : « Un soir mon oncle avait choisi le film réalisé en 1981 par Lindsey C. Vickers. Un choix étrange car ce n’était pas le genre de choses qu’il apportait habituellement. La plupart du temps nous regardions un vieux film de la Hammer ». Film expérimental, pour visionner The Appointment jusqu’à maintenant, il fallait avoir su dénicher une vieille VHS poussiéreuse auprès d’un collectionneur ou retrouver la sainte relique dans un vide grenier.

Le trio familial est systématiquement hors rapport.

Pour comprendre le mythe autour de cet unique film britannique de Lindsey C.Vickers, il faut revenir à la promesse initiale d’une série de films destinés à être vendus à des chaînes de télévision du monde entier sous le titre « A Step in the Wrong Destination ». La distribution du film aura été condamnée par des relations houleuses avec la production. The Appointment disparut des radars à quelques exceptions de rares passages télévisés. Perdu dans les limbes de l’oubli et d’un culte nourri par le fétiche de la cassette maudite, le film de Lindsey C.Vickers démarre avec un ambiance cotonneuse qui préfigure déjà sa capacité cauchemardesque et d’autres films à venir des années 80 qui cultivent la même atmosphère suspendue au fantastique et à l’effroi du non-dit. Le meurtre originel a tout d’un songe d’autant plus dans sa version longue, plus puissante que celle que nous vous partageons tout de même.

Contrepoint du cauchemar

La première partie de The Appointment nous précipite dans un puits sans fond duquel on ne s’échappera pas indemne jusqu’au générique. Comme une chute elliptique, à l’image d’un interminable escalier en colimaçon duquel on tomberait sans prises, l’œuvre ne cesse de se répondre par des émotions quasi obsessionnelles. The Appointment donne à voir l’invisible, celui derrière l’ambiguïté des relations familiales. D’abord dans la remarquable séquence qui nous fait mesurer l’ampleur du complexe d’Electre de Johanne vis-à-vis de son père : avec de prodigieuses idées de mises en scène et trois bouts de ficelle, Lindsey C.Vickers électrise chacun de ses plans d’une ambiance malsaine.

Performance remarquable de Samantha Weysom dont la carrière n'aura malheureusement jamais décollé.

Johanne en veut terriblement à son père de ne pas pouvoir assister à son récital de violon. Pour de mystérieuses raisons, celui-ci doit s’absenter mais l’échange liminaire avec l’un de ses collègues laisse préfigurer d’autres motivations plus perverses. S’agit-il de briser sa fille ou de s’en éloigner pour s’en protéger ? L’ambiguïté plane tout au long du film. La puissance du regard de Johanne pénètre l’âme. Alors qu’une larme éphémère glisse le long de son visage, on devine la haine, celle qui germe de la trahison et du fruit d’un amour toxique. Fascinante capacité à parler au spectateur par le jeu du corps.

Sans nul doute la séquence corporelle la plus poignante du film.

A genoux, en train de caresser lentement le bras de son père assis sur le canapé, Johanne catapulte immédiatement le film dans une dimension psychanalytique inquiétante. L’OST de Trevor Jones (à qui l’on doit notamment la musique de l’incroyable Dark Crystal, Labyrinth ou encore Le Dernier des Mohicans) renvoie à la névrose infantile avec des notes de violons qui entretiennent le chantage affectif à l’écran. Summum de la malaisance, la mère en arrière-plan, silencieuse. Johanne est indifférente à sa propre mère et ne lui adressera aucun regard.

Le deuil sied à Électre

De lents plan séquences dessinent la fascination de l’enfant pour son père, dont le portrait ne quitte pas la table de chevet et même la commode. Lindsey C.Vickers parvient à nous faire ressentir une tension palpable : celle d’un rapport impossible. Derrière la porte de la chambre de Johanne, Ian fixe la clenche, il hésite à rejoindre sa fille en pleine nuit. Depuis son lit, Johanne jubile comme si elle sentait la présence de son père et qu’une mystérieuse force ne demandait qu’à satisfaire leur union interdite.

Comme un côté Shining sorti un an plus tôt avec la mécanique des photographies à double lecture.

« Dans la mort, le sujet devient une diagonale entre l’espace et le temps » écrivait l’écrivain et graveur autrichien Alfred Kubin dans l’Autre côté, livre fantastique où un dessinateur est invité à rejoindre « l’Empire du rêve », utopie crépusculaire qui vire à l’effondrement cauchemardesque. The appointment réussit à découpler l’action résiduelle du temps. En effet, ne vous attendez pas à des retournements en cascade et autres rebondissements. Lindsey C. Vickers propose un cinéma de l’angoisse psychique par la répétition en boucle et la banalité du quotidien.

Un jour sans fin

Un cauchemar duquel on ne parvient plus à s’extirper et qui prend un virage interminable dans la seconde partie du film où Ian conduit. Plus il s’éloigne de la cellule familiale, plus la tension grimpe et les plans se répondent, jusqu’à nous laisser imaginer les angoisses qui traversent le personnage. Moins percutante que cette folle introduction et son meurtre initial non élucidé, il faut adhérer au minimalisme le plus sommaire et à l’inévitable tragédie annoncée. Par sa lenteur et son rythme elliptique, The Appointment rappelle les partis pris affichés de films modernes comme Enter The Void de Gaspard Noé, où l’expérience sensorielle est indissociable de longueurs sans lesquelles l’immersion serait paradoxalement impossible. Il n’est pas si étonnant que le réalisateur français habitué des polémiques ait félicité la sortie du titre :

« Chef-d’œuvre méconnu, The Appointment est un très grand film [...] labyrinthe [qui] crée une sorte d’état hypnotique, à la fois terrifiant et libérateur. Il est temps que les spectateurs français découvrent ce singulier et profond rêve prémonitoire d’un contemporain, injustement méconnu, de Nicolas Roeg.» »

Pour l'époque et le budget, la scène du crash ne manque pas d'audace.

The Appointment est affaire de signes à l’image de cette silencieuse meute de rottweilers qui rodent la nuit. Sans transformer l’essai, cela reste un film fascinant pour sa capacité à hypnotiser le spectateur quitte à l’ennuyer sur son épilogue d’une lenteur propre à la paralysie du sommeil. Il faut cependant parfois accepter de s’ennuyer un peu pour basculer d’un état à un autre. Une curiosité à réserver aux passionnés de cinéma fantastique, ne serait-ce que pour sa première partie sans équivalent. Dans une logique de patrimoine courageuse, on remercie le distributeur Les Films du Camélia et le fossoyeur de films Marc Olry, sans qui ce long-métrage maudit serait définitivement enterré. 

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Commentaires sur Inline
Voir tous vos commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x