Le 29 novembre prochain sort en salles le Conann de Bertrand Mandico (lire notre critique), une œuvre dense, un univers visuel ébouriffant, qu’on vous propose ici d’accompagner d’une sélection de court-métrages du même réalisateur. Entre exubérances sexuelles, biopic remaniés et mise en scène truculente, bienvenue dans l’univers déjanté du réalisateur français le plus barré du moment…
Sommaire
Nous, les barbares
Provenance : Luxembourg, France, Belgique | Date de sortie : 2023 | Où voir le film ? Distribué avec Conann | Durée : 27 min.
Oeuvre très proche de son parent Conann et de son frère de durée Rainer, a Vicious Dog in a Skull Valley, elle a été présentée dans la sélection “Territoires virtuels” du GIFF (Geneva International Film Festival). En effet, Nous, les barbares s’inscrit dans une lignée thématique (l’histoire de cette Conann et des guerrières qui la côtoient) et visuelle, mais en se démarquant par sa diffusion. Nous, les barbares était effectivement proposé via des casques de réalité virtuelle où le spectateur, assis au centre, découvrait simultanément 4 parties du court-métrage en se tournant à 360° dans l’espace.
Ainsi, à lui d’effectuer son propre montage de cette œuvre en choisissant quel écran regarder (le son dispensé correspond à l’écran qu’on fixe, tout en entendant les chuchotements des autres écrans dans notre dos). Une pierre supplémentaire dans le canon de Conann, tombant comme la preuve d’une envie d’exploration des nouveautés du medium cinématographique…
Rainer, a Vicious Dog in a Skull Valley
Provenance : France | Date de sortie : 2023 | Où voir le film ? Distribué avec Conann | Durée : 26 min.
Seconde et dernière œuvre en lien avec Conann, ce court présenté au GIFF directement après le long-métrage permet un approfondissement de l’Univers construit sous la forme d’une boucle où, personnage après personnage, on creuse dans la mythologie et dans l’Univers Conann.
Drôle, barré, érotique et macabre, on retrouve tous les ingrédients du long mais en se focalisant plus sur la parole et le point-de-vue de Rainer (la géniale Elina Löwensohn, qu’on retrouvera également en medium dans le prochain Betrand Bonello, La Bête, et dans tous les courts de cette sélection). Une parfaite après-séance au long-métrage de Mandico donc (ou séance test pour entrer ou pas dans l’Univers du réalisateur avant Conann, comme l’indiquait Killerse7ven dans la sélection de courts pour Halloween !).
Boro in the box
Provenance : France | Date de sortie : 2011 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 40 min.
Biographie filmée du réalisateur et plasticien polonais Walerian Borowczyk, Boro in the Box prend la forme d’un abécédaire (forme utilisée par Borowczyk lui-même dans sa carrière) où chaque lettre narre, chronologiquement, une étape importante de la tumultueuse vie du cinéaste…
Si le biopic en noir et blanc prenant des atours surréalistes rappelle parfois le Elephant Man de Lynch, Boro in the Box est peut-être le court le plus sobre de la sélection. Pour autant, Mandico ne s’interdit pas de véritables vertiges de mise en scène, la splendeur d’une photographie achrome et une narration euphémique et naïve qui sublime ce court-métrage. Et d’ailleurs, on comprend aisément tout l’amour que porte Mandico pour son personnage (dont la voix est interprété par Elina Löwensohn qui joue aussi la mère), tant il multiplie les références à Borowczyk dans ses propres œuvres (y compris dans les courts de cette liste !). Ainsi, ce Boro in the Box est une invitation à découvrir le cinéma fou du polonais (entre l’ours nymphomane de La Bête, le Luchini lubrique des Contes Immoraux ou encore les explorations artistiques de l’Escargot de Vénus, il y a de quoi faire…) en plus d’être une œuvre passionnante visuellement et narrativement. Et si le documentaire ne vous suffit pas, sachez que Mandico a également participé à l’ouvrage WALERIAN BOROWCZYK pour Les Éditions de l’œil, explorant le travail plastique, graphique et cinématographique de l’artiste aux maintes facettes.
Y a-t-il une vierge encore vivante ?
Provenance : France | Date de sortie : 2015 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 8 min 47
Comme pour Rainer, A Vicious Dog in a Skull Valley nous parlions de ce court-métrage dans la sélection d’Halloween. Une œuvre qui s’inscrit dans la lignée de ce que propose Mandico dans ses films : de la poésie, beaucoup, du gore, de la nudité, le tout dans un carcan éminemment expérimental. Ici, Y a-t-il une vierge encore vivante ? propose une relecture en pseudo-biopic mâtiné de fantastique de la vie d’une Jeanne d’Arc qui aurait échappé au bûcher. Une semi-vierge a alors le malheur de tomber sur cette Jeanne tyrannique qui l’entraîne dans son sillage.
Living Still Life
Provenance : France, Belgique | Date de sortie : 2012 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 15 min. 41
Si on ne change pas les bonnes choses (on a toujours affaire en rôle principal à la muse de Mandico, Elina Löwensohn), l’image se fait ici plus nette, moins encombrée, moins parasitée. Pour Living Still Life (sous-titré La Résurrection des natures mortes), on a affaire à une artiste visiblement torturée qui, tombant sur le cadavre d’un lièvre, prend au pied de la lettre la citation de Walt Disney ouvrant le court-métrage : “L’animation est l’illusion de la vie”. Elle emmènera alors le Lepus sanguinolent dans son atelier, où elle tentera de lui insuffler une nouvelle vie en l’animant en stop-motion.
Image nette, donc, format large, musique sobre et thème glauque, la recette macabre de Living Still Life le rapproche du travail d’explorateur de l’indécence mené par Lars von Trier. Absolument épatant dans sa gradation et dans l’étrange schisme qui se forme entre vie (l’artiste, la stop-motion, les couleurs) et mort (les paysages couvés par l’hiver, les cadavres, les entrailles), Living Still Life est un choc d’images en à peine un quart d’heure. Une œuvre de flux et de reflux, à apposer à l’aune d’Une Charogne de Baudelaire, où constamment le plus beau côtoie la pourriture et la mort. Épatant !
Ultra Pulpe
Provenance : France | Date de sortie : 2018 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 38 min. 17
« C'est ça que tu veux non ? La chair, la mort et le stupre... »
Une citation d’Ultra Pulpe qu’on devrait inscrire en frontispice de l’œuvre tant elle annonce la couleur de ce court-métrage de Bertrand Mandico. Mise en abîme d’un tournage, Ultra Pulpe montre la fin d’une liaison entre deux femmes, l’une réalisatrice (Joy, alias Elina Löwensohn, que serait le cinéma de Mandico sans elle ?) et d’une actrice (Apocalypse, Pauline Jacquard) à la clôture d’un tournage de long-métrage fantastique. Pour la retenir un peu plus longtemps, Joy va lui narrer cinq histoires tirées d’autant d’expériences vécues lors des tournages de ses films (dans lesquelles on retrouvera, entre autres, la géniale Vimala Pons). Des contes de femmes et de temps, d’âge qu’on ne veut pas avoir et de vieillesse qu’on n’accepte pas.
Peut-être l’un des courts les plus denses de la sélection et l’un des plus longs également (30 minutes), Ultra Pulpe étire en format Panavision son image, plus nette et moins parasitée que d’habitude chez Mandico. Errant entre un atterrissage sur La Planète des Vampires de Mario Bava pour un récit décidément en prise avec un complexe d’œdipe persistant, à des séquences de pures créatures cronenbergiennes (un téléphone sortant d’une ouverture abdominale en forme de vulve, un jeu d’arcade qu’on doit doigter pour pouvoir y jouer, …), on retrouve dans Ultra Pulpe cet attrait pour la chair couplée à la technologie. Une imagerie que Giger n’aurait sans doute pas reniée… Sexuel, féminin, nostalgique, un court qu’on ne saurait commenter sans en évoquer la splendide musique signée Pierre Desprats, artiste musical très récurrent chez Mandico.
Prehistoric Cabaret
Provenance : France | Date de sortie : 2013 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 10 min.
Invitation express de Bertrand Mandico dans un sordide cabaret islandais. Une table d’invités végète sous la lumière bleuâtre tamisée de l’établissement, du moins avant qu’une Reine de la nuit (Elina Löwensohn, encore elle !) accompagnée de quelques stripteaseuses ne débarque pour leur présenter une étrange caméra organique, phallique même, qui s’apprête à pénétrer la maîtresse de cérémonie…
Avec Prehistoric Cabaret, portant une facture surannée d’une vieille émission de télévision à l’image bruitée, fréquemment parasitée d’une mire couleur ou de différents cartons texte, Mandico explore de l’intérieur (c’est le cas de le dire !) la notion de pulsion scopique. La caméra n’est pas juste là pour posséder l’autre d’un regard objectif, mais bel et bien pour le pénétrer tout entier… Portant les résurgences d’un cinéma empruntant à Cronenberg ses étranges gadgets mi-machine, mi-vivants, Prehistoric Cabaret plonge durant 10 minutes dans un monde d’orgie burlesque et terrifiantes à rapprocher du non moins génial Society.
Notre-Dame des hormones
Provenance : France | Date de sortie : 2014 | Où voir le film ? MUBI | Durée : 31 min. 22
Deux actrices répétant pour une pièce de théâtre tombent sur une mystérieuse créature dans la forêt: dépourvue de membres, sporadiquement poilue et d’apparence phallique. Immédiatement attirées, l’étrange chose devient, entre les deux femmes qui tentent de se l’arracher, un terrible objet de convoitise.
Narré par nul autre que Michel Piccoli (Le Mépris, La Belle Noiseuse, …), on retrouve au casting de cet OVNI évidemment Elina Löwensohn mais aussi Nathalie Richard et Agnès Berthon (des actrices récurrentes chez Mandico). Si la mise en scène est folle et regorge d’idées, on ne pourra s’empêcher de penser à un film bâtard, accouché d’une illégitime union entre un Argento post-Suspiria et un Cronenberg avide de créatures en effets pratiques. Un film de textures – comme souvent chez Mandico – mais aussi un film de détails, saturant le plan d’un millier d’idées visuelles.
Conclusion
Avec ces quelques courts aisément disponibles sur Internet, on peut se faire une idée assez globale de l’hétérogénéité du travail visuel de Mandico (le monde par exemple qui sépare Boro in the box de Nous, les barbares), de ses principaux thèmes de prédilection et de ses inspirations revendiquées ou non. On espère aussi qu’il vous donnera envie de découvrir Conann, le prochain long de Mandico diffusé en salles à partir du 29 novembre 2023 !
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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