À l’occasion de la sortie de son nouveau court Les Collines de sel, présenté en Irlande au 11th Indie Cork Film Festival et tout récemment aux Journées de Soleure en Suisse, retour sur la carrière du jeune cinéaste Alexandre Schild.
Cinéma crépusculaire
Un cinéma du crépuscule. Voilà en une poignée de mots comment l’on pourrait définir l’œuvre d’Alexandre Schild, le jeune réalisateur suisse qui vient de présenter son tout dernier court-métrage Les Collines de sel en Irlande et en Suisse. Un crépuscule qui baigne ses plans de ses lumières rasantes, qui noie ses personnages dans la mélancolie d’un été passé (Cyril & Louise) ou sous les cieux bientôt menaçants d’un orage qui nait (Lettres en ton nom). Rougeoyant, il incendie les roselières dansant dans l’infatigable mistral camarguais dans Les Collines de sel. Mais surtout un crépuscule qui hante les protagonistes de ses films. Crépuscule d’un amour, d’un basculement hors de l’enfance, d’une insouciance déjà perdue.
Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
De ces trois dernières strophes du poème Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud, on retrouve l’essence de ce qu’expriment les images des courts-métrages d’Alexandre Schild. Mélange habilement confus entre personnification et réification, la prosopopée de Rimbaud converse avec les plans de Schild, convoquant lui-aussi un imaginaire enfantin (la balançoire et les déguisements de Lettres en ton nom, le passage de la cigarette dans Cyril & Louise) mâtiné d’exaltation et d’insouciance pour mieux rendre tragique le moment de bascule vers l’âge adulte. Et du fameux poète on identifie encore certains traits dans les personnages croqués dans ses films, à l’instar de Robert (notamment Maxime Huriguen dans Lettres en ton nom), héros rimbaldien tragique attendant dans un souffle queer le retour promis d’un amour passé.
Granulosités nostalgiques
L’inframonde des souvenirs chez Alexandre Schild trouve sa porte d’entrée dans la convocation de fétiches multiples, toujours désuets. De l’utilisation d’échanges épistolaires dans Lettres en ton nom au dictaphone présent dans Les Collines de sel, l’objet suranné convoque le déclenchement des réminiscences, le spleen tentant et doucereux du souvenir aussi bien que ses saillies coupantes et douloureuses. Le fétiche arrache aux ombres de mémoire un pan de réalité inaltérable, une étincelle qu’on chérit et qu’on voudrait ranimer d’un souffle, mais qui ne parvient jamais vraiment à reprendre.
Ces fétiches s’incarnent jusqu’à la granulosité des images (les réminiscences dans Lettres en ton nom, le 16 mm dans Les Collines de sel ou dans Cyril & Louise, le Super 8 dans le clip d’Idiot Fish), qui portent en elles le germe de cette nostalgie tenace. Des fétiches que même le deuil, la mort, la séparation ne pourront altérer. Si d’aucuns le rapprochent de Xavier Dolan dans ses thématiques, picturalement on voudrait plus l’adosser au travail visuel de Bertrand Mandico. Amour de la pellicule, goût du désuet, palette pastels, et désormais un lien plus tenu encore en la personne de Clara Benador, apparaissant aux côtés de Lukas Inoesco dans Idiot Fish (tourné par Alexandre Schild) tout autant que dans Rainer, a Vicious Dog in a Skull Valley de Mandico.
De Mandico il emprunte également ses “garçons sauvages” (titre d’un long-métrage de Mandico autant que du bouquin de Burroughs duquel il est adapté) : ces groupes de potes tourmentés, au faîte de leur jeunesse mais un peu trop conscient d’y être et craignant le moment fatidique du basculement – lent, insidieux ? – vers autre chose. Cyril Metzger (L’Évènement, bientôt La Morsure présenté à Gérardmer) deviendra l’un des “wild boys” récurrents d’Alexandre Schild. L’acteur franco-suisse incarne avec brio et énergie les personnages fiévreux du réalisateur suisse et reviendra dans son prochain projet prévu pour 2024, titré Le dernier soleil.
Cinéma littéraire
Nous évoquions plus haut Rimbaud, nous aurions sans doute pu également en citer mille autres. Baudelaire et son spleen lancinant, évidemment Kundera et les amours qu’il décrit dans L’Insoutenable légèreté de l’être notamment, mais au lieu d’égrainer un inventaire à la Prévert il vaudrait mieux se contenter d’évoquer la veine éminemment littéraire du cinéma d’Alexandre Schild. Une veine qui nourrit d’autant plus le besoin de fétiches que nous évoquions tantôt…
Car ici les mots sont partout… Dans les lettres évidemment, mais aussi sur-imprimés sur l’image dans Cyril & Louise, projeté contre le corps même des acteurs dans le clip Gyrophare pour Kacimi, en carton ouvrant le court-métrage d’une simple définition dans Les Collines de sel. L’endophasie induite par ces incursions de textes à l’image font dialoguer les déambulations des personnages et les propres angoisses internes du spectateur, apportent des mots sur les maux.
Les Collines de sel
Nous avons déjà pu évoquer son dernier court en date, Les Collines de sel. Carcan d’à peine sept minutes, sauvant en son sein un objet précieux, d’une beauté rare. Si les thématiques déjà évoquées d’Alexandre Schild sont bel et bien là, il troque ses terres natales genevoises pour un univers camarguais, maritime et marécageux. Contrée fort à propos pour un court-métrage sur le deuil, où des montagnes de sel se substituent aux larmes déjà sèches de ses deux actrices principales (Isaline Prévost Radeff et Ella Pellegrini).
Alexandre Schild, réalisateur
Né en 1999 à Genève, Alexandre Schild a fait ses débuts dans le monde du cinéma en réalisant au cours de l’été 2017 un premier court métrage, Granuleuse rêverie. Fort de cette première expérience, il a ensuite donné vie à son second court, Idylle Martyre, qui a été remarqué dans plusieurs festivals et s’est vu attribuer le deuxième prix au festival de Schaffhouse.
En tant que réalisateur autodidacte, Schild a poursuivi son parcours créatif en se consacrant à la réalisation de clips vidéo pour divers artistes, avant la sortie de Lettres en ton nom, son premier film produit. Présenté dans divers festivals, le court a également été diffusé sur la télévision nationale suisse (RTS), consolidant ainsi la reconnaissance de Schild en tant que cinéaste émergent. Ce sont ensuite Cyril & Louise puis Les Collines de sel qui ont encore davantage renforcé la réputation prometteuse d’Alexandre Schild dans le paysage cinématographique contemporain.
Certaines de ses réalisations sont disponibles sur sa page Vimeo.
Filmographie
Sélection de ses principales réalisations :
- 2018 : Granuleuse rêverie
- 2019 : Idylle martyre
- 2022 : Cyril & Louise
- 2022 : Lettres en ton nom
- 2023 : Les collines de sel
- 2024 : Le dernier soleil
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Superbe article. J’aime beaucoup l’angle littéraire adopté. Merci pour la découverte.
Rien à dire de plus, juste envie de découvrir…