Chazelle, Spielberg, Mendes… Certains des noms de réalisateurs cristallisant le plus les attentes ont en commun d’avoir produit récemment des « Lettres d’amour au cinéma ». Expression éculée désignant ces films qui transpirent, chacun à leur manière, d’un amour sincère pour le septième art. Tour d’horizon en trois styles épistolaires bien différents (plus un bonus d’une lettre encore à écrire).

La lettre dégoulinante

Des fèces de pachyderme au sperme synthétique, en passant inévitablement par une dose d’urologie et de giclures de vomi, la lettre d’amour au cinéma de Damien Chazelle tâche. Outrancier dans sa peinture d’un Hollywood probablement en bonne partie fantasmé – à l’instar du bouquin avec lequel le film partage une certaine gémellité : Hollywood Babylone de Kenneth Anger – le long-métrage du cinéaste franco-américain déborde de tout : de sa longueur, de ses mouvements de caméras résolument excessifs, du nombre de ses figurants, de son rythme, de son casting… Si on se chagrine de parfois ne pas réussir à détailler le fourmillement de ses scènes et d’une volonté d’outrance parfois un peu tiède, Babylon reste une bonne surprise de ce début d’année centrée sur la fabrication du cinéma.

Babylon

La lettre d'amour

Long-métrage cathartique pour un Steven Spielberg ,qui a dû attendre la mort de ses deux parents pour parvenir enfin à l’accoucher, The Fabelmans touche en plein cœur. Animé d’une envie de cinéma qui le traversera de part en part, le film se concentre plutôt sur les relations familiales des Fabelman (alter ego filmique de la cellule familiale de Spielberg) et l’élément perturbateur qui ébranlera le jeune cinéaste en devenir : le divorce de ses parents. Figurant des références bien ciblées (de la naissance d’une pulsion scopique grâce à Cecil B. DeMille à la transmission de la création via John Ford), le réalisateur de 76 ans venant de repartir bredouille des Oscars parvient à créer une autofiction débutant peut-être comme un égo-trip, mais clôturée avec la plus belle preuve d’humilité possible.

L'enveloppe vide

Dernier film de Sam Mendes, Empire of Light rajoute sa pierre à l’édifice de la lettre d’amour au cinéma en oubliant de remplir l’enveloppe avant de la poster. Le cinéaste de l’esbroufe visuelle – seule (et suffisante) qualité de 1917 qui secouait son spectateur d’un unique (faux) plan-séquence sur fond de première guerre mondiale – revient ici à l’intimiste. Explorant les amours, les fêlures et les espoirs d’une poignée de personnages tous employés dans un petit cinéma anglais, Mendes multiplie les pistes thématiques (racisme, point de vue sur la maladie mentale, changement d’époque, etc.), sans jamais parvenir à les développer. On en ressort fatigué par un film trop long, certainement creux et sauvé par quelques belles images. Dommage, ce sera peut-être mieux la prochaine fois.

Empire of Light

La lettre qu'il reste à écrire

Nous terminerons ce tour d’horizon des lettres d’amour au cinéma avec un réalisateur habitué du thème : Quentin Tarantino. Après nous avoir servi peut-être son plus beau film (jusqu’ici) avec Once Upon a time… in Hollywood, une réécriture du drame Sharon Tate/Charles Manson traversant le Hollywood de la fin des années 60, il nous dévoile la thématique centrale de son dixième et dernier film : la critique de cinéma. Si le nom de l’influente Pauline Kael a été évoqué, rien n’est confirmé si ce n’est un titre provisoire et de circonstance : The Movie Critic. En attendant sa sortie, on pourra se repaître du prochain essai de Tarantino, Cinema Speculation, publié dans quelques jours… En espérant qu’il soit meilleur que son roman Il était une fois à Hollywood, réécriture romancée et qui laissait franchement à désirer du scénario de son 9e film.

Quentin Tarantino

Conclusion

Qu’ils évoquent respectivement la manière de faire le cinéma, le parcours d’un cinéaste ou l’existence même d’une salle, ces trois films ont en commun de s’attarder sur des longs-métrages d’un grand cinéma passé : Cecil B. DeMille, Hugh Hudson, Hal Ashby… Des réalisateurs phares mais peu à peu oubliés par la nouvelle génération. De même qu’une certaine idée du cinéma, transpirant dans ces lettres d’amour : la salle en lieu faste (bien retransmis par le cinéma Empire dépeint par Mendes) où le divertissement est maître, électrisant la population dans une communion devant l’objet filmique (la scène finale de Babylon) en traversant toutes les couches sociales.

Une popularité qui semble passée, un succès populaire qui ternit (y compris pour ce genre de films, de véritables fours du box-office U.S.), l’apparition de nouvelles habitudes encouragées par l’émergence des plateformes SVOD et une pandémie qui n’a rien arrangé, voilà qui inquiète peut-être ces cinéastes. Crainte ? Prise de pouls d’un changement plus profond ? Effet de mode ? La recrudescence de ces lettres d’amour trahissent sans doute d’une évolution dans le septième art dont le futur nous dévoilera la nature.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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