Si vous avez vu la bande-annonce de Sur les chemins noirs, il y a fort à parier que vous avez lâché un petit rire gêné, ou au moins un soufflement agacé. Rassurez-vous, le film n’est pas aussi mauvais que la bande-annonce le laissait présager. Il n’en est pas non plus très bon et nous allons tenter de comprendre pourquoi…
D'abord un livre
Marcher pour se reconstruire, voilà ce que Sylvain Tesson entreprend en 2015 après une chute qui manque – de peu ! – de le laisser tétraplégique. Des Cévennes aux plages de Normandie, il trace une diagonale à travers l’hexagone et se promet de n’emprunter que les chemins noirs. Les pistes secrètes qui serpentent le relief, évitant agglomérations et modernité pour embrasser le sauvage. Boitant, en pleine réparation physique, il parviendra à se hisser jusqu’à l’Atlantique et en tirera un véritable succès de librairies : Sur les chemins noirs. Une ode au silence, à la nature sauvage, à la contemplation et à l’immobilité imposée par sa condition de marcheur, dans un monde où tout va toujours plus vite.
Après Vicky (2016) et Mystère (2021), Denis Imbert s’attèle à la réalisation d’une adaptation de ce travail littéraire sur grand-écran. Jean Dujardin y jouera le rôle principal (renommé pour le film Pierre) le tout dans un film dont la bande-annonce laissait entrevoir un potentiel naufrage intégral. Si Sur les chemins noirs est un peu mieux qu’il n’en avait premièrement l’air, Imbert trahit tout ce qui faisait l’essence du matériau original. Nous allons voir pourquoi…
De l'anti-narratif pur jus
D’un récit de marche et d’aventure solitaire ne peut que découler une forme anti-narrative : les rencontres n’apparaissent jamais là où on les attend, les climax sont passagers et multiples, la temporalité s’étiole parfois pour mieux se resserrer à d’autres instants, le silence est omniprésent… Ne pourrait convenir à une adaptation d’un tel bouquin qu’un travail purement documentaire – rejouer le périple, les rencontres, tandis qu’elles se passent directement devant l’objectif – ou fictionnel, mais embrassant sa qualité détachée de l’ordre narratif. Et ça tombe bien, on a eu ces derniers temps au cinéma deux exemples de films magnifiques relevant de ces deux possibilités-là.
... l'option documentaire
La Panthère des neiges est le premier. Et c’est un exemple d’autant plus frappant qu’il s’agit aussi d’une œuvre sœur d’un livre éponyme de Tesson, suivant les pas du célèbre photographe animalier Vincent Munier. Le film documentaire s’est tourné en même temps que Munier prenait ses photos et que Tesson rédigeait ce qui allait être son livre, directement au fond des contrées où rôde le fantomatique félin. En résulte des œuvres tricéphales, produites simultanément et se nourrissant les unes les autres au lieu de se parasiter. Il s’agit de la première manière selon laquelle aurait pu être filmé Sur les chemins noirs… Mais Denis Imbert a loupé le coche, lui restait alors la seconde option.
... l'option a-narrative
La deuxième possibilité est celle du film fictionnel mais détaché des contraintes scénaristiques : La Montagne de Thomas Salvador en est l’exemple parfait. Fait majoritairement de silence et de contemplation, mais s’autorisant une part complètement fictionnelle, le film happe son spectateur par ses ambiances, son côté taiseux et la beauté plastique de ses images. Salvador n’a rien besoin de verbaliser – ou presque – tout passe par les images. Et ce n’est (malheureusement) à nouveau pas le choix que prend Denis Imbert…
... l'option Imbert
Mais que fait-il donc, le brave Imbert ? Il prend ce qui fait l’ossature de l’œuvre littéraire de Tesson (décrite plus haut) et la retourne comme un gant. Là où le silence nourrissait l’âme de l’écrivain en guérison, Imbert y injecte une voix-off constante, résolument trop verbeuse pour un Jean Dujardin peinant à s’en dépêtrer. L’a-narratif devient du pur narratif conventionnel, créé ex-nihilo par un découpage positionnant la chute en faux climax du film. Et le travail d’écriture, par excellence taiseux et solitaire, devient un brouhaha constant : Pierre griffonnant dans son cahier en murmurant les phrases qu’il couche sur papier, Pierre qui assène des sentences pompeuses à ses interlocuteurs…
Des personnages mous
Pire, cela rend Pierre insupportable. Lorsqu’il n’assène pas ses aphorismes péremptoires aux rares personnes qu’il rencontre, le personnage de Dujardin devient tantôt un étrange précepteur paternaliste pour un jeune gars qu’il croise en chemin, ou le bourgeois sentencieux pénible qu’on évite en soirée. Mais l’écriture devient plus faiblarde encore lorsqu’elle touche aux personnages féminins, disposés dans le récit pour poser un regard de désir sur le vieux loup solitaire (même lorsqu’elles ont bien vingt ans de moins).
« Je suis plus heureux devant des rognons dans une auberge que face à un quinoa dans un restaurant urbain. »
Jean Dujardin, dans Le Figaro
Jeannot et la promo
Il reste de Sur les chemins noirs de magnifiques paysages d’une France rurale, qu’on aurait mille fois voulu détailler plus longuement que le visage de Dujardin, filmé sous toutes les coutures. Et une campagne promo balourde (inspirant le titre de cette critique), où Dujardin passe de journal en plateau répéter combien il tient à ses rognons, à sa France profonde et à la ruralité qu’on oublie trop souvent… Un message qui s’entend, souvent légitime, mais asséné de manière si artificielle qu’il en perd toute substance. Bref, un flop qui nous incite à (re)découvrir le livre de Tesson éponyme ou à plonger dans de vrais films contemplatifs, dont La Panthère des neiges et La Montagne sont de parfaits exemples.
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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