Les Français du studio Sloclap aiment la castagne. Les arts martiaux constituaient en effet déjà la base thématique d’Absolver en 2017, un action RPG à la forme assez atypique. Ils récidivent cette année avec Sifu, un beat’em up exigeant conçu comme un parcours initiatique pour le corps et l’esprit avec, au bout de ce périple au sein d’une ville chinoise fictive, la victoire. Retour sur cet uppercut en plein visage.
La trame de Sifu repose sur un fondement narratif des plus classiques, soit une bonne vieille histoire de vengeance ! Alors que vous n’êtes encore qu’un bambin (ou une gamine, à vous de choisir et c’est sans incidence sur le gameplay), cinq étrangers rendent visite au dojo familial et y assassinent froidement votre maître d’arts martiaux chinois, avant de réitérer la sale besogne sur l’enfant que vous êtes, vous laissant pour mort. Mais c’était sans compter sur l’amulette magique que vous teniez au moment de votre décès, si bien que vous pouvez désormais ressusciter quand vous mordez la poussière. Aujourd’hui âgé de 20 ans et doté de plus de vies cumulées que tous les Aristochats réunis, il ne tient qu’à vous de vous entraîner suffisamment dur pour mener à bien votre quête de vengeance et trucider un par un les coupables (ou les épargner mais qui fait ça ?).
Cette motivation funeste constituera donc le fil conducteur du jeu et de sa structure cloisonnée en cinq niveaux, pour autant de cibles majeures à éliminer. Nous nous trouvons ici face à un beat’em up assorti d’une légère composante rogue-lite. Quésaco ? Explications ! Vous attaquerez le premier niveau âgé de 20 ans. Combat. Imaginez que vous mourrez. Vous ressusciterez alors à l’âge de 21 ans. Et là hop malheur : vous vous reprenez une rouste ! Vu que vous êtes mort deux fois d’affilée, votre compteur d’âge va augmenter cette fois de deux années pour atteindre 23 ans. Et ainsi de suite jusqu’à ce que vous passiez à trépas passé les 70 ans, âge-étape fatidique synonyme de mort réelle et de retour au hub principal, où vous pourrez choisir de reprendre votre progression au niveau que vous souhaitez, pourvu que vous ayez déjà vaincu son boss. Vous recommencerez toujours à l’âge le plus bas auquel vous avez atteint la mission, ce qui a pour effet de vous inciter à optimiser votre parcours pour rester le moins ridé possible et avancer en restant le plus jeune possible.
Comme dans tout bon rogue lite (avec un T à la fin comme « truite dorée »), vous conserverez précieusement les aptitudes et combos appris de façon permanente en échange d’expérience, et perdrez les compétences acquises temporairement. Sifu étant plutôt généreux dans ses gains d’expérience, on se retrouve très vite à obtenir de façon définitive l’ensemble des skills de notre arbre. À noter également la clémence du jeu dans son approche des raccourcis, qui nous permettent en cas d’échec au boss d’une mission de zapper en général 90 % voire l’entièreté de celle-ci, pour rapidement nous retrouver face au trouble-fête qui nous pose problème. Pour le coup, Sifu « respecte » vraiment le temps du joueur et c’est très utile pour s’entraîner à briser les patterns de nos adversaires les plus récalcitrants.
Le titre fait par ailleurs preuve de bonté en se refusant à vider la barre de posture de nos assaillants lorsqu’on meurt si bien que, lorsqu’on se relève, on a simplement à reprendre notre travail là où on l’avait laissé en plan. Cela peut sembler anecdotique aux personnes les moins habituées à cette mécanique mais ce choix de game design change absolument tout. Étant donné que briser la posture d’un ennemi permet de maximiser les dégâts, alors cette volonté d’ouverture des développeurs contribue vraiment à nous faciliter la tâche. Tout l’inverse d’un Sekiro par exemple, dans lequel on devait faire preuve d’une extrême agressivité envers ses opposants, en vue de briser leur garde au plus vite et sous peine de voir leur jauge de posture se régénérer encore plus vite que le foie de BennJ un 1er janvier.
Venons-en maintenant à ce qui nous intéresse : les combats pardi ! La tension sauvage qui les anime est vive et on déconseillera aux arthritiques de se lancer dans l’aventure, tant mes jointures grinçaient au moment de voir se dérouler les crédits. C’est qu’il faut être alerte dans Sifu. Vous serez régulièrement attaqué par des groupes de 5 à 10 personnes en même temps, tous armés jusqu’aux dents et près à en découdre. Vous devrez impérativement gérer à la fois votre garde (haute ou basse), votre esquive, ainsi que la lecture de votre environnement et des mouvements de vos adversaires qui n’hésitent pas à vous frapper simultanément, à l’inverse d’un Batman: Arkham Knight où les sbires du Joker avaient tendance à attendre chacun timidement leur tour pour vous coller une mandale.
Et autant dire que vous allez en allonger des avoines. Ah les joies d’un coup de batte en aluminium en pleine face, ce son mélodieux d’un crâne creux qui se fissure ! Pour les plus bricoleurs, sachez qu’un pied de table improvisé -après avoir envoyé un gus au travers de cette dernière- fonctionne aussi très bien. Quant aux fines lames, qu’ils se rassurent : les armes blanches sont de la partie ! Tout usage d’arme à feu est évidemment prohibé, cela va sans dire, vu qu’il s’agit d’un hommage aux films d’arts martiaux.
N’y allons pas par quatre chemins, Sifu est le beat’em up le plus excitant auquel j’ai joué depuis longtemps et un des meilleurs jeux de combat jamais créés tout court. Jouer à Sifu c’est être soudainement acteur des meilleures scènes de The Raid 2 ou du Old Boy de 2003. Certains passages font directement écho à la séquence culte de ce dernier, au moyen d’une caméra qui se déplace en travelling pour nous assoir aux premières loges d’un massacre à défilement horizontal. Les bastons du dernier-né de Sloclap sont une véritable réussite et demanderont toute votre attention. On peut juste regretter quelques rares approximations de caméra et surtout l’absence de doublages chinois histoire de vraiment faire monter l’immersion d’un cran. Pour ce dernier point, Sloclap a annoncé qu’ils arriveraient bientôt, une excellente initiative du studio.
Sifu fait partie de ces œuvres qui demandent de l’acharnement et une bonne lecture des attaques ennemies pour s’en sortir. Les premiers contacts avec les boss y sont d’ailleurs souvent synonymes de défaite car c’est là qu’on apprend leur éventail de coups. Avec du recul, la palette de mouvements des boss qu’on affronte est finalement assez succincte et la stratégie souvent la même, soit attendre qu’ils finissent leur combo pour les punir avant de vite réimposer une distance. Dans Sifu plus encore que dans tout autre cousin du genre, c’est la patience qui vous sauvera la mise. Mais où situer sa courbe de difficulté parmi les Dark Souls, Sekiro (foutu singe je ne t’oublierai jamais !), Returnal, Ghosts ‘n Goblins Resurrection et consorts, qui donnent parfois envie de faire irruption tout nu dans une animalerie pour écraser des poissons rouges dans la paume de nos mains moites ?
Contrairement aux aberrations entendues sur les chaînes de certains youtubeurs blondinets, Sifu est certes complexe mais largement accessible, autant qu’un Hotline Miami et beaucoup plus que l’aride Ghosts ‘n Goblins Resurrection ou que le fantastique Sekiro pour ne citer qu’eux, le dernier-né de From Software représentant aujourd’hui encore l’expérience la plus velue à laquelle je me sois jamais frotté. Grâce aux raccourcis évoqués plus haut et pour peu que vous vous concentriez, je n’ai aucun doute que n’importe quel profil de joueur est capable de voir le bout de l’aventure, à condition qu’il accepte de se focaliser pleinement sur les événements à l’écran et qu’il utilise intelligemment l’arbre de compétences et autres buffs associés aux autels, capables de changer la donne.
On traverse en moyenne un niveau complètement une ou deux fois pour parvenir à son boss. Il nous rétame. On retourne le voir en 5 minutes ou moins grâce à un raccourci, on l’étudie et finalement on parvient à vaincre après quelques essais. C’est comme ça que vous parviendrez au niveau final pas encore âgé de 30 ans et avec un réservoir de vies par conséquent assez énorme pour affronter le boss de fin en toute sérénité. Critiquer négativement Sifu sous prétexte qu’il n’est pas assez inclusif est donc la plus grosse imposture qu’il m’ait été donné de lire depuis la polémique stérile qui avait entouré la sortie du fabuleux Returnal.
Pour peu qu’on s’y penche sérieusement et qu’on s’en donne les moyens, Sifu a énormément à offrir. Et puis merde, avec plus de 90 % de la production JV adressée à un grand public, il y a quelque chose de vraiment malhonnête à reprocher à un jeu de s’adresser uniquement à une audience en particulier. Quel est le problème au juste ? Est-ce que j’envisagerais de blâmer les développeurs de Endless Space 2 pour qu’ils le rendent plus accessible ? Non. Je vais simplement attendre d’avoir la motivation nécessaire pour affronter ses dizaines de page de tutos.
Un des développeurs de Frostpunk confiait en 2019 « qu’à vouloir faire des jeux pour tous, on fait des jeux pour personne ». Sifu s’adresse à un groupe spécifique de joueurs, ceux qui aiment mériter leur victoire, et bon sang qu’est-ce qu’il le fait bien. Les amateurs de films d’arts martiaux et d’expériences gratifiantes profiteront pleinement de sa réalisation de haute volée, les moins téméraires passeront à côté d’un des meilleurs jeux d’action de ces dix dernières années, en attendant un mode « facile » qui ne leur apportera de toute façon aucune satisfaction. À quoi bon se battre sans rencontrer de résistance ? Mais avec tant de sorties chaque année plus à même de correspondre à leurs attentes, j’ai envie de leur dire : « Est-ce si grave ? ».
Résident permanent dans la petite bourgade de Raccoon City et prosélyte du génial Rain World depuis 2017, on l'entend parfois jurer à pleins poumons lorsqu'il perd lamentablement face au singe de Sekiro à un poil de lemming près. En quête d'une 3080 depuis bientôt un an, le malheureux espère une réception de sa commande en 2022 : l'important c'est d'y croire ! Son TOC préféré ? Recenser dans un PDF tous les jeux auxquels il a joué dans sa vie.
: Sloclap / Sloclap
: 8 février 2022
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