Film de déracinements successifs, le Retour à Séoul du franco-cambodgien Davy Chou ressort ces jours-ci en format physique… De quoi se (re)plonger dans ce long-métrage proposé dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes 2022.
Lost in translation
Au hasard d’inattendus changements de programme aériens dus à un typhon, Freddie redirige son voyage nippon sur les côtes sud-coréennes. Vingt-cinq ans après y être née, elle foule à nouveau la terre de son pays natal, quitté précipitamment après avoir été adopté en France. Ignorant tout des coutumes locales et ne parlant pas la langue, elle va se jeter à corps perdu à la suite de ses origines, bousculant au passage tous ses projets de vie.
Film naissant d’une expérience personnelle pour Davy Chou, qui, lors d’une projection de son documentaire Le Sommeil d’or en Corée du Sud a fini par accompagner une amie dans un souper où elle retrouvait son père biologique, lui-même coréen. Chamboulé par les atours que prit ce repas partagé aux relations empêchées par la distance d’une langue et d’une culture inconnues, Davy Chou décida d’en faire un long-métrage de fiction.
Volontés d'ailleurs
Si l’on comprend au cours de l’histoire que Freddie n’aura de cesse dans ses jeunes années émancipées de quitter la France pour se perdre sur la péninsule nippone, le typhon renvoyant son vol sur les côtes coréennes ne semble qu’une bonne excuse bien attendue pour enfin se lancer dans la quête de ses origines. Le Japon exerçait sur elle un magnétisme en ça qu’il était ce « presque-Corée » où elle pouvait tâter du doigt les terres exotiques desquelles elle venait sans toutefois directement affronter son propre pays, où inexorablement les questions des origines auraient surgi. Pourtant, ce simple coup du sort météorologique se matérialise dans le film non pas comme une contrainte, mais comme la manne providentielle, la pichenette du destin lui permettant enfin de faire face à la réalité : si elle s’exilait si souvent au pays du soleil levant, c’était juste pour se rapprocher au plus près de l’endroit qui l’avait vu naître.
Une contrainte immédiatement détournée à son avantage donc, mécanisme qui jalonnera finalement tout le parcours de Freddie… Qu’il s’agisse d’injonctions culturelles, d’anciennes promesses passées, de prescriptions sociétales, de barrières linguistiques, etc. Freddie saura toujours contourner l’impératif, se délester des conventions, pour renaître, pour se réinventer, à l’image des consécutives mues qu’elle effectuera tout au long du film. D’un malentendu culturel dans un restaurant, elle parviendra à émuler une gênante mais tenace connexion entre plusieurs tables de parfaits inconnus, qui soudra son amitié avec Tena (Guka Han), son interprète pour toute la suite du film. D’un étrange plan-cul avec un homme bien plus âgé qu’elle, elle fera naître une vocation et une carrière tout entière. Et les exemples pourraient continuer à s’égrainer ici tant la construction de ce personnage se matérialise par ces déjouements constants du destin.
Femme fantôme
« En un claquement de doigt, je pourrais te faire disparaitre de ma vie... »
Citation de Freddie dans le film
Cette phrase susurrée par Freddie à l’un de ses amants devenu relation sérieuse pourrait figurer au frontispice de Retour à Séoul, tant cette notion d’éclipse volontaire traverse le long-métrage. S’échapper du quotidien, de la routine, pour à nouveau devenir cette inconnue qui déboule d’on ne sait où pour aller plus loin encore… Sauter à pieds joints sur les pivots du destin, se laisser happer par les changements de trajectoires, se glisser dans la peau d’une autre, comme si l’abandon à sa naissance puis son adoption l’avait conditionnée à ces changements d’identité constants, qu’inconsciemment elle répèterait par la suite.
Un état qui la détache de la conformation aux injonctions sociétales, puisque lorsque l’on n’est personne – ou constamment quelqu’un d’autre – nul besoin de craindre le regard de l’autre. Qu’un geste paraisse déplacé, qu’une coutume soit bafouée, qu’un sourire attendu ne reste finalement qu’un visage crispé, impassible, rien de tout cela n’a de conséquence à celle qui n’a pas de nom, de face, d’identité. À celle qui ne sera qu’un lit laissé vide le lendemain ou un numéro de téléphone ne recrachant qu’une tonalité synonyme d’absence… Freddie saura d’ailleurs dynamiter toute relation à l’instant même où les liens commencent à se lignifier, dès qu’une proximité la force à la vulnérabilité : qu’un amant lui déclare sa flamme, qu’un groupe d’amis décide de fêter son anniversaire, qu’un père pleure les années d’absence, en voilà beaucoup trop pour une femme qui ne souhaiterait être qu’un fantôme.
Casting cinq-étoiles
Retour à Séoul est le récit d’une acceptation, du passage sur un traumatisme inconscient mais profond, que le franco-cambodgien Davy Chou semble lui-même bien connaître. Et son film de se construire en miroir avec pour décor de début et de fin la réception d’un hôtel, le rituel de rigueur, l’échange de sourires courtois mais dénués de sens et au final la clé tendue vers une chambre où n’être, à nouveau, personne.
Passionnant dans son fond, magnifié formellement, Retour à Séoul est surtout la révélation d’une actrice qui irradie l’écran, Park Ji-min. Parfait en caméléon tantôt taiseux, tantôt émettrice d’une énergie communicative, elle porte littéralement sur ses épaules le projet de Davy Chou aux côtés de Guka Han (Tena) et de Oh Kwang-rok (le père biologique, déjà rencontré dans plusieurs films de Park Chan-wook comme Old Boy ou Lady Vengeance). Bref, sa toute récente sortie en format physique est l’occasion de se (re)plonger dans ce long-métrage marquant de l’année écoulée !
Fiche technique
DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 115 min
Date de sortie : 04 juillet 2023
Format vidéo : 576p/25 – 1.85
Bande-son : Coréen Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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