Ti West nous emmenait avec X dans le Texas sale des années 70 avec sa bande de désœuvrés se lançant dans le tournage d’un porno virant au bain de sang. Avec Pearl, il s’amuse au préquel en castant à nouveau la géniale Mia Goth (également présente à l’écriture) se rêvant danseuse de cabaret. Découvert en compétition internationale au NIFFF, que vaut ce p’tit bout de pellicule bien sanglant ?
1918 ou 2023 ?
La guerre fait rage, l’épidémie ronge le pays, la xénophobie atteint son paroxysme… Le point de départ de ce Pearl, situé en 1918, fait évidemment du pied à notre situation contemporaine. Pourtant, c’est bien dans une ferme isolée de l’Amérique du XXe siècle que l’on retrouve un trio de fermiers d’origine allemande : Pearl (Mia Goth), la fille d’un couple déchiré entre un père impotent et une mère décidément bien cruelle. Et c’est entre les bottes de foin, le rare bétail et cet étang infesté d’alligators que Pearl se prend à rêver de devenir une immense star du music-hall.
Pearl, le film, est aussi l’histoire d’un triple enfermement. Un enfermement sanitaire (la pandémie de grippe espagnole et le risque de contagion), un enfermement social (le problème d’être allemand en pleine première guerre) et un enfermement de genre (Pearl est une femme et subit déjà toutes les restrictions de sa condition féminine). Difficile de s’en sortir, et ce n’est pas sa rencontre avec le charmant projectionniste (David Corenswet) du cinéma de sa bourgade qui va l’élever hors de ce triangle d’embûches.
A porn story
En effet, si de façade le jeune homme pourrait être une voie de sortie pour Pearl – il se définit lui-même comme bohème, sans attache – on se rend bien compte que ses compliments ne sont pas grand-chose d’autre qu’un appât en direction de son lit. Un lit casé dans la salle de projection, où Pearl va finir par atterrir à la suite d’une fugue de sa ferme natale. L’occasion pour le projectionniste de sortir de ses placards un film un peu spécial dont le titre ne vous dira probablement rien : A Free Ride. Et pour cause ! Il s’agit du premier vrai film porno américain.
Ainsi Ti West va enchâsser les images de son propre film et une projection, bien réelle, de ce porno produit clandestinement et tourné sous le manteau (on vous laisse jeter un coup d’œil au super numéro de Revus & corrigés sur le Sexe au cinéma) pour amorcer un double enjeu. D’une part un parallèle évident avec X (ici on assiste au début du porno qui accouchera, une soixantaine d’années plus tard, au début du porn mainstream dépeint par le groupe de jeunes délurés de X), d’autre part la peinture du sort réservé aux (nombreux) déçus du rêve cinématographique. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, et l’industrie du X l’aura bien compris en piochant dans cette manne providentielle pour alimenter le roulement de ses « stars » qu’elle usera si vite pour en faire naître d’autres le lendemain. Quelque chose que le projectionniste a bien compris et qu’il sous-entend à Pearl qu’à demi-mot…
Histoire d'un pourrissement
Les mâchoires du piège se referment sur Pearl, toujours un peu plus, et s’additionnent à la peur de la maladie qui semble secouer la société plus encore que la maladie elle-même. Un contexte – celle de la grippe espagnole – bien pratique pour Ti West, puisque le film est tourné en pleine pandémie de covid-19. Ne subsiste alors pour Pearl que le rêve, bientôt brisé, et… la folie ? Une bascule qu’opère le film au travers d’une séquence hallucinante de violence, montée en effet miroir. Un long pourrissement – à l’image du cochon de lait peu à peu boulotté par les asticots – qui traversera le film de part en part, des premières images bucoliques, champêtres, saturées de couleur, pour finir sur ce générique anxiogène fixé sur un visage terrifiant.
Première belle surprise dans la compétition internationale de ce NIFFF 2023, et un joli diptyque pour Ti West qui s’assortira d’un troisième volet – MaXXXine – dont la date de sortie n’est à ce jour pas encore connue. Ne reste alors pour patienter qu’à (re)lire le test technique de X et de se refaire la filmo de Ti West, assorties de petites pépites méconnues…
Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Bien d’accord avec toi, la plus belle scène du film reste sans doute celle du monologue halluciné. Et ce choix final qui flirte avec les genres où Mia Goth apparaît défigurée par sa propre démence.
Trop hâte que le 4K Ultra HD allemand sorte pour que je puisse le découvrir ! 🙂
Idem ! Vu en salle à New-York en AVP l’ambiance était top. Un lien de préco eventuel ? 🙂
Pas de préco encore… Bientôt, bientôt ! 😉
Je reste à l’affut d’une news de ta part 🙂
Je suis Turbine addict maintenant 😉
[…] Qu’il s’agisse de X ou de Pearl, Ti West injecte dans ses productions horrifiques récentes un renouveau du féminin pourtant calqué dans les époques respectives où se déroulent ses longs-métrages. La preuve, s’il en fallait, qu’une réécriture des scream-queens un peu potiches des années quatre-vingts était possible (et nécessaire !). La critique complète de Pearl est à lire ici ! […]
[…] le manteau et dans les peep shows comme Ti West le représentera ensuite avec un regard amusé dans Pearl. En pleine effervescence, le porno aura désormais droit à ses étoiles montantes à l’image du […]