Hasard du calendrier, Limbo et Mad Fate du même réalisateur hong-kongais Soi Cheang se collisionnent dans les salles. Le premier pour une sortie nationale française datée au 12 juillet, le second pour sa présentation en avant-première au NIFFF, dans sa compétition asiatique. L’occasion d’un chassé-croisé critique entre ces deux longs-métrages.
Le séjour des âmes
Débutons par Limbo, achevé en 2021 mais se frayant un chemin jusqu’aux salles françaises seulement deux ans plus tard. On y suit le bien propret Will Yam (Mason Lee), un bleu forcé à faire équipe avec le tempétueux Cham Lau (Gordon Lam) sur une étrange série de meurtres : des femmes auxquelles on a ôté la main gauche. Tandis que l’enquête avance, Cham va tomber sur Wong To (Cya Liu) : une jeune voleuse liée à l’enquête et que Cham connaît bien. Et pour cause ! C’est elle qui a chamboulé sa vie en renversant sa femme en voiture…

Noir et brutal, Soi Cheang laisse traîner sa caméra dans les bas-fonds de Hong Kong. Filmé en noir et blanc, majoritairement nocturne et trempé par la pluie, Limbo impose à ses personnages la verticalité des immeubles entre lesquels ils évoluent pour les écraser un peu plus. De véritables fourmis, surgissant d’ailleurs dans la typographie du titre en début de film, s’acharnant à courir en vain dans ces ruelles sombres et encombrées de déchets. Si la ville apparait parfois comme une promesse lointaine et lumineuse, ne ressort des plans de Limbo qu’une architecture aliénante et inhumaine qui semble nourrir la folie inhérente aux personnages. Pire, la rendre inéluctable !

Violence béton
Ce carcan de béton, démesuré, inadapté, dans lequel on ne peut se déplacer qu’en voiture (la vieille Pajero de Cham vit d’ailleurs comme un personnage à part entière à l’écran) devient peu à peu le cocon des différents protagonistes, où leurs vices et leurs névroses peuvent enfin éclore. S’en suit une folie destructrice (du tueur évidemment, mais presque tout autant des flics, des dealers et autres habitants du quartier) s’abattant inexorablement sur les membres rejetés de la société relégués aux bas-fonds crasseux : les prostituées, les drogués, les SDF, etc. Une violence verticale, écrasante, sur ce qui est plus faible que soi.

Limbo devient donc un thriller où la violence est inexorable. La force de son message, sans doute, et probablement aussi sa plus grosse faiblesse également. Car dans ce monde de pourriture(s), difficile pour le spectateur d’engager son empathie pour un personnage. Imparfait donc, Limbo restera tout de même sans le moindre doute le meilleur thriller que l’on pourra découvrir en salles cet été et la promesse de véritables vertiges esthétiques ! Rendez-vous le 12 juillet…
Drôle de sort
En parallèle, Mad Fate présenté dans la compétition asiatique du NIFFF il y a quelques jours devient le dernier bébé en date de Soi Cheang. On y trouve la même population de marginaux et les mêmes bas-fonds, mais où le bariolé des néons se substitue au noir & blanc sobre de Limbo. Ici, on suit le duo composé par The Master (Gordon Lam, encore !) et le jeune Siu-tung (Lokman Yeung), se rencontrant sur la scène de meurtre bien sanglante d’une prostituée. Si le jeune homme semble bien décidé à son tour à faire couler le sang, alléché par les visions violentes provoquées par la scène de crime, The Master est persuadé quant à lui qu’il est de son devoir de l’en empêcher. S’en suit un chassé-croisé avec le véritable meurtrier où les destins des différents protagonistes semblent s’entre-mêler… Une histoire de fatum, d’adversité inéluctable ou presque.
« God made you a psychopath with no empathy. Don’t waste it ! »

Films de pluie
Et comme pour Limbo, Piove (aka Flowing) ou Acide, tous deux également présentés au NIFFF, la pluie joue un rôle central dans ce film. Mad Fate s’ouvre sur une scène hallucinante d’un cimetière lavé par une pluie diluvienne, où The Master tente un rituel pour sauver une pauvre (et bientôt condamnée) prostituée. Alternant saillies comiques et tableaux surréalistes convoquant dans l’image du Beksiński, la pluie deviendra au cours du film l’élément déclencheur qui poussera le tueur en série à l’acte.

Si les premières séquences (le cimetière, le premier meurtre) portées par une musique omniprésente électrisent totalement son spectateur, Mad Fate deviendra peu à peu plus répétitif et cherchera moins à créer la surprise qu’à juste boucler son histoire. Pourtant, de constantes saillies comiques (notamment un chat en CGI) le distinguent parfaitement de Limbo avec lequel ils partagent une construction et un sujet pourtant connexe.
Entre Mad Fate et Limbo, le fan de Cheang Soi aura de quoi casser la croûte en attendant l’arrivée de Kowloon Walled City, son prochain long-métrage qui devrait être un pur film d’arts martiaux.

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.
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Super idée le coup du chassé croisé !
Je ne peux que plussoyer oui ! 😉
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