Présenté cet été à la quinzaine des cinéastes et sorti en septembre dans les salles françaises, Déserts fait enfin son entrée sur le territoire belge à l’occasion de la 23e édition du Cinemamed, festival bruxellois mettant à l’honneur les productions méditerranéennes. Fable égarée dans le désert marocain, où ne subsistent plus que la poussière, des paysages à couper le souffle et les histoires que l’on se raconte encore au coin du feu,  le film de Faouzi Bensaïdi livre un douloureux constat sur la situation de son pays.

Cinemamed

Agents de recouvrement tout-terrain

Mehdi et Hamid sont deux agents de recouvrement originaires de Casablanca. Chaque jour, ils sillonnent le désert pour exiger les créances de personnes surendettées. Un duo mal appareillé, sorte de Laurel et Hardy tragi-comique, vêtus de leurs costumes sales et froissés, roulant avec une voiture d’un autre temps. Deux caractères bien différents, forcés de travailler ensemble par des impératifs qui les dépassent. Et pourtant, au fil des nuits dans des hôtels désuets, des heures de conduite sinueuses au milieu des collines, une relation se crée. Car, au-delà des premières apparences, ils sont les mêmes aux yeux de cette société marocaine ultralibérale. Pris en étau entre ceux du haut et ceux du bas, ils cherchent tant bien que mal à subvenir à leurs propres besoins.

DESERTS
Notre duo n'est pas au bout de leurs surprises...

Un pays essoré jusqu’à la moelle

Ces deux protagonistes nous servent de guide lors de la première partie du film, où l’on note une absence notable de fil rouge. C’est une succession de tableaux, alternant entre leurs rencontres avec les mauvais payeurs et leurs tracas dans ces territoires abandonnés. La caméra met de la distance avec la situation, essayant tant bien que mal de la saisir de façon globale, de faire un constat qui dépasse même nos personnages principaux. Celui d’un pays lentement anéanti par une politique néo-libérale extrême. Les interventions de Mehdi et Hamid s’enchaînent, sans que la situation ne varie jamais. A chaque fois, des familles obligées d’emprunter pour survivre se retrouvent pieds et poings liés lorsqu’il s’agit de rembourser. Les décors arides du désert renforcent cette sensation de vide, comme si tout avait déjà été pris. Que l’on vient chercher les dernières richesses dans les villages les plus escarpés, les lieux les plus reculés, car tout a déjà été pris ailleurs.

Rire jaune comme du sable

Une situation lourde, mais qui n’est pas présenté non sans humour. A nouveau, le dispositif de mise en scène met souvent les personnages dans des situations absurdes et grotesques qui tranchent avec les cadres léchés et géométriques dans lesquelles elles se déroulent. Un démarrage de voiture raté ou bien la réunion de l’agence de recouvrements, avec sa composition multicolore des costumes des employés provoquent les rires aigres de la salle. Une caméra qui regarde le monde s’agiter devant elle, dans un constat presque abattu. La situation est catastrophique, mais les personnages semblent ankylosés, inconscients de ce qui leur arrive et créent un décalage qui aide à faire passer la douloureuse pilule.

Conte gigogne

Après avoir pris le temps d’installer cette situation désolée, le film prend enfin une tournure tout autre et évite ainsi la redondance propre au procédé de son premier acte. Le film se remet sur les rails des codes du western (du moins en apparence) avec l’apparition d’un nouveau personnage. Un homme emprisonné à tort, en cavale. Un homme qui cherche à se venger et à retrouver sa femme qu’un autre lui a prise. En s’appropriant la voiture d’Hamid et Mehdi, allégorie du cheval du cow-boy dans ce western contemporain, il devient le moteur du récit. On suit désormais sa chevauchée.

déserts
Hamid et Mehdi, au volant de leur fidèle véhicule.

Une histoire qui possède un quelque chose d’antique, comme un retour à une matrice originelle. Elle se met en porte-à-faux de la situation actuelle du Maroc dépeinte jusqu’ici. Après avoir montré un présent qui ne laisse la place à aucun futur enviable, le réalisateur décide de se retourner vers le passé et les histoires qu’elles possèdent. Cette narration en parallèle laissant planer le doute sur sa véracité, comme les contes anciens, racontée par nos deux autres protagonistes au coin du feu, provoquant une mise en abîme trouble. Est délivré ici un conte qui les dépasse et qui subsistera, encore et toujours.

Conclusion en mirage

Une alternance des points de vue qui s’emmêle malgré tout les pinceaux. Alors que le film s’approche de sa conclusion, le méli-mélo amoindrit malheureusement la force des émotions ressenties jusque-là et la redondance des plans finit par devenir contre-productive. C’est dommage, car le changement de paradigme dans la narration permet auparavant à la mise en scène de prendre une tout autre tournure et d’apporter un vent de fraîcheur. Les montagnes grandioses et vides d’alors prennent une teinte poétique libérée de toute mélancolie sous les yeux de cet homme et de cette femme.

Encore petit fretin dans l'océan du cinéma, je nage entre les classiques et les dernières nouveautés. Parfois armé d'un crayon, parfois d'une caméra, j'observe et j'apprends des gros poissons, de l'antique cœlacanthe bicolore, du grand requin blanc oscarisé et des milliers de sardines si bien conservés.

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