Miss Novak a tout de l’enseignante idéale. Archétype de la vieille fille proprette et investie, elle est prête à sacrifier ses weekends pour ne pas couper le lien avec l’établissement privé dans lequel elle vient tout juste d’être affectée. Apprêtée d’un petit polo pastel, jupe longue et veste de costume XXL, Miss Novak est spécialisée en alimentation consciente, une lubie dérivée de la naturothérapie qu’elle compte bien enseigner à un cercle d’initiés dans ce lycée pas comme les autres.
Tu ne mangeras point
Après Lourdes présenté à la Mostra de Venise en 2009, Amour fou et Little Joe, respectivement remarqués à Cannes en 2014 et 2019, c’est au tour de Club Zero de venir s’illustrer sur la croisette. Jessica Hausner signe ici son sixième long-métrage avec une satire acidulée sur notre société de consommation. Un film qui met nos croyances à l’épreuve de l’emprise d’une enseignante, dédiée corps et âme à la nutrition consciente pour ses jeunes recrues parfois si crédules.
Dans cette classe d’un nouveau genre où la pédagogie alternative occupe une place cardinale, chaque élève s’est inscrit de son plein grès : certains par conviction qu’il faudrait modérer notre consommation débridée dans un monde aux ressources épuisables, d’autres par complexe, inévitable corolaire de l’adolescence. Il y aussi cette « éco-anxieuse » sauce Greta qui veut coûte que coûte préserver l’environnement comme l’exige la nouvelle expression à la mode pour décrédibiliser les détracteurs d’un capitalisme aveugle à l’écocide en marche. Et il y a le premier de la classe, Ben, qui de manière plus triviale souhaite simplement garder sa bourse. D’un tempérament plus réservé, c’est d’ailleurs le seul qui tranche dans cette école au public issu des « premiers de cordée ».
Club Zero est une proposition originale où, d’entrée de jeu, tout le monde semble marcher sur la tête. Les cours de Miss Novak où l’on se réunit en cercle, comme aux alcooliques anonymes, ressemblent davantage à une secte qu’à un cours traditionnel. C’est qu’il s’agit en premier lieu de se confesser sur les motivations qui ont poussé les élèves à adhérer à ce programme pittoresque. Petit à petit, Miss Novak embrigade les jeunes vers une alimentation toujours plus restrictive jusqu’au respirianisme, cet illustre courant qui prétend qu’on puisse se nourrir d’air et de lumière (comme chacun sait).
Le film de Jessica Hausner cultive l’absurde avec un ton volontairement distancié. L’architecture moderne est d’une froideur glaciale et par contraste, tous ces ados semblent « s’agiter comme des lucioles » devant des murs sombres comme le confie la réalisatrice amusée. Il y a d’abord une palette chromatique pastel qui saute aux yeux et qui évoluera de plus en plus vers le monochrome, à l’instar du régime monodiète auquel aspire le club. Ce jeu de couleurs rappelle son film Little Joe dans lequel le contraste avec le « rouge vermillon » était flagrant.
Le fric c’est chic !
Alors que chacun de ses membres est poussé autant par la compétition que la volonté de s’intégrer dans le groupe, les élèves vont toujours plus loin jusqu’à inquiéter leurs parents. Jessica Hausner s’amuse et n’hésite pas à singer cet éloge de la lenteur promu par l’alimentation consciente jusqu’à cette scène de « repas » stratosphérique, où les jeunes ne prennent même plus la peine d’avaler leur pitance. Chacun s’observe comme si de rien n’était, simulant une satiété de surface.
Au-delà d’une palette de couleurs tape-à-l’œil, la réalisatrice fait preuve d’intelligence dans sa mise en scène. La caméra n’est jamais aussi glaciale qu’au moment des repas de famille. La table présente une grammaire quasi religieuse où les servantes viennent apporter des plateaux qui dégoulinent de fric et d’indécence. Caméra statique en hauteur, chaque geste est mesuré. Qu’il s’agisse de la famille bobo ou de celle plus noble, c’est le même sentiment qui traverse les repas : celui de proches complètement déconnectés du réel, à l’image de ce père qui se lance dans une leçon de morale sur le gaspillage pendant que l’arrosage automatique déborde à vomir sur la terrasse.
Ensemble et séparés
Un paradoxe alors que la nature même d’un repas devrait toujours répondre à la convivialité. Rien d’anormal donc que des adolescents cherchent refuge d’une prison à une autre. Même ces riches villas sont séparées du monde extérieur par de gigantesques portes qui rappellent ironiquement une cellule. C’est d’ailleurs sur ce sujet que Club Zéro est le plus cinglant. Alors que d’ici une petite dizaine d’années, on estime que la moitié de la planère sera obèse ou en surpoids causant par la même une avalanche de diabète, de maladies cardio-vasculaires et cancers, Jessica Hausner se plaît à déployer un diagnostic particulièrement acerbe sur notre société schizophrénique.
Un monde où l’on nous vend à longueur de journée des mannequins filiformes mais où pas un panneau publicitaire ne nous dissuade de nous baffrer. Consommer plus pour remplir le vide d’une existence superficielle dictée par l’argent. En jouant sur le registre de la vanité et de l’absurde, Jessica Hausner livre un film intelligent, porté par une remarquable OST réalisée par le compositeur Markus Binder. Celui-ci évoque sa démarche lors de la conférence de presse dédiée au film :
« Je voulais que la musique du film soit profane. J’insiste vraiment là-dessus. Je trouve la religion intéressante d’un point de vue culturel, mais sinon je m’en méfie. On pourrait dire que la musique techno ou électro incarne la laïcisation de la musique sacrée.»
Markus Binder compositeur de l'OST
Si la réalisatrice est d’habitude plus coutumière de « la musique diégétique, autrement dit de la musique que les personnages entendent », elle souhaitait « montrer que les événements se succèdent inévitablement les uns aux autres ». Composée exclusivement pour le film, l’OST fait mouche en nous rappelant au réel. Résolument radical dans son approche, Club Zéro n’est jamais gratuit pour autant. Si le dénouement peut sembler un peu abscond, cela reste finalement secondaire. Au rang des défauts, on reprochera peut-être quelques très légères incohérences par moments mais qu’on pardonnera volontiers.
Le message de cette farce moderne suffit amplement à maintenir le spectateur en haleine. L’endoctrinement se nourrit des peurs de notre époque. Et c’est à commencer par elles qu’il faudrait s’attaquer de plein fouet. Chacun se trouve finalement complice par pure hypocrisie. Un film qui ne plaira pas à tout le monde… et c’est tant mieux !
Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
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