En plus de réunir le public dans un même temple qu’on appelle cinéma, la raison d’être de tout bon festival est de mettre en lumière de nouveaux talents. Gérardmer ne faisait pas défaut cette année et la sélection officielle laissait la part belle à de jeunes réalisateurs. Premier long métrage de Chloé Okuno, Watcher retrace l’histoire de Julia et son mari d’origine roumaine, qui quittent ensemble les États-Unis pour s’installer à Bucarest. Alors que son mari est très prisé au travail, Julia s’interroge sur sa future vie. En proie à la solitude, elle s’aperçoit qu’une silhouette l’épie depuis la fenêtre de l’immeuble voisin…

Notre critique de Watcher

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Fenêtre sur cour

Watcher est le genre de long-métrage qui sait empreindre son intrigue des questions sociales qui traversent (et déchirent) notre époque. On retrouve Maika Monroe absolument renversante dans le rôle d’une femme harcelée. Si le synopsis renvoie à des intrigues qu’on a déjà vues plus d’une fois dans le cinéma d’horreur, Watcher sait trouver sa voie dans le traitement de ces thèmes. Classique sur la forme, ce thriller cache un objet politique plus affirmé qu’une énième histoire de serial killers sanguinaires et de sauvetages policiers in extremis. C’est même tout l’inverse. Julia est seule, parfaitement seule dans ce nouveau pays où elle ne baragouine que quelques mots roumains.

En miroir, Watcher révèle la froideur d’une société trustée par des hommes qui évoluent dans une sphère hermétique (cloisonnée même) à celle des femmes. C’est autant l’image déclinée du self-made-man, au chef de brigade, qu’à la petite frappe de quartier : autant de déclinaisons du pouvoir aveugles à ceux qui l’entourent. Chacun d’entre eux est systématiquement affairé à autre chose, son mari au travail, la police ennuyée par un énième appel nocturne d’une future affaire classée sans suite et le petit truand (néanmoins le plus sympathique) ne lâchera pas son téléphone une seconde.

C’est autant l’être cher, que l’Etat et le voisin anonyme qui sont pris à défaut. On songerait presque au refrain de cette campagne publicitaire des années 90 où les carabineros cherchaient à laver leur image après la dictature de Pinochet (1973-1990) en se présentant comme « un ami sur ton chemin ». Hymne largement singé par la révolution chilienne sauvagement réprimée et devenue symbole mondial des luttes féministes. Une tradition du combat largement entretenue par l’histoire chilienne.

« Dors tranquille, innocente enfant. Sans redouter le brigand. Car sur tes doux rêves souriants. Veille le carabinier, ton amant. »

Watcher
Tous les cris des SOS partent dans les airs

Julia ne trouvera aucun réconfort auprès de ces derniers qui minimiseront systématiquement ses témoignages quand ils ne préféreront pas en rire, en roumain de surcroit. Des adresses qui résonnent pourtant comme autant d’alertes avant que l’irréparable ne soit commis. Comme un coup de poignard du réel alors que les victimes de féminicides sont en hausse et ce malgré des appels à l’aide encore trop ignorés des autorités et des proches. C’est aussi une réflexion sur le sexisme ordinaire qui confisque la parole des femmes. C’est en partie le cas du mari qui commence à croire que sa compagne affabule. Même s’il n’est pas foncièrement mauvais, c’est la structure de la société qui sépare toute prise de conscience du réel, vécu comme une réalité alternative par les victimes féminines et une fantaisie pour les hommes.

Au supermarché, à la maison, dans la rue jusqu’au métro symbolique, Julia est de plus en plus seule. Très vite, le spectateur abandonne toute espérance de trouver quelconque soutien auprès de l’entourage masculin de Julia. Masculin car il reste une lueur de solidarité féminine avec sa voisine avec qui Chloé redécouvre le sourire au cours d’un apéro spontané où les deux femmes échangent et engagent même un moyen de communication dédié en cas d’agression de l’une d’entre elles.

« Maybe he is staring at the woman who’s staring at him. »

"Un violeur sur ton chemin"

Pour autant, Chloé Okuno ne tombe jamais dans la caricature dans les relations humaines qu’elle dessine. Watcher recherche aucunement la culpabilité mais appelle au contraire à la prise de conscience collective. Les Hommes ne sont pas non plus présentés comme des tortionnaires, mais même quand ils sont susceptibles de lui venir en aide, de la police au voisinage, tout porte à croire qu’ils ne sont jamais sur le même rapport. L’image de la silhouette, c’est aussi celle de l’autre, personne et tout le monde à la fois.

Est-ce le voisin ou ce passant au regard insistant ? À moins que Julia ne s’enferme dans la paranoïa. C’est sur ce point que Watcher marque sa singularité. Plutôt que d’instiguer le doute quant à la véracité des craintes de Julia, la réalisatrice adopte constamment la perspective de la victime, si bien que le spectateur n’a heureusement pas à souffrir d’un énième twist sur la folie, dénominateur commun de la pauvreté scénaristique. Et cerise sur le gâteau bien trop déclinée jusqu’à l’usure chez des acteurs comme Di Caprio ces dernières années.

Watcher
Maika Monroe est toujours juste dans son rôle

It Follows dix ans après...

Tout l’intérêt réside dans le comportement de Julia qui va réagir et se saisir elle-même de son sort en renversant la charge de la faute qu’on prête trop souvent aux victimes avec le désormais tristement célèbre « syndrome de la jupe courte » et sa variante du « Pourquoi tu me regardes ? ». Là où Maika Monroe ne pouvait que fuir devant le boogeyman de l’excellent It Follows, l’actrice est résolument déterminée à affronter son agresseur. Près de dix ans s’est écoulé depuis le film de David Robert Mitchell où l’actrice jouait une fragile adolescente poursuivie par cette angoissante silhouette au pas si tranquille. Autre temps, autre mœurs, c’est une autre Maika Monroe qu’on découvre sous le regard féminin de Chloé Okuno.

Maika Monroe a presque trente ans maintenant et c’est une femme résolument affirmée et proactive qui traverse Watcher. Toujours élégant dans son approche, ce thriller casse les codes de la fragilité féminine et invite à l’auto organisation devant la faillite des institutions. En cherchant coûte que coûte à suivre son agresseur, Julia renverse l’équilibre du rapport de prédation. Glaçant, Watcher sait toujours faire preuve d’intelligence dans sa narration qu’il distille par petites touches de suspense sans jamais sombrer dans le pathos.

Maika Monroe, polymorphe dans ce rôle engagé

Mention spéciale à la scène du cinéma où son oppresseur s’assied juste derrière elle, telle une ombre insaisissable et dont on ne peut par essence se délier. Un quasi cauchemar qui rappelle le souffle d’une terreur nocturne. C’est toute l’image du harcèlement et du poids du fardeau du regard des hommes. Chloé Okuno sait jouer sur le hors-champ pour amplifier le sentiment que notre intimité est systématiquement violée. De cette large fenêtre qui s’ouvre sur la cour extérieure aux personnes en arrière-plan, Watcher tout comme It Follows dix ans plus tôt, sonde le regard du spectateur, devenu alerte au moindre détail.

Maika Monroe est remarquable dans ce nouveau rôle sensible et quasiment allégorique. On pensera tout naturellement à cette scène où Julia, habillée d’une robe rouge, symbole du pouvoir qu’on couple également au désir, boit effrontément un verre de rouge dans son salon, en pleine ligne de mire d’un voyeur trop pudique pour se découvrir du voile de son rideau. Notons d’ailleurs que même se sachant épiée, jamais Julia n’éteindra la lumière de son appartement. D’une justesse éclatante, Maika Monroe tient la tête haute à son agresseur. Tout un symbole pour la cause féminine.

Watcher
Le rouge de la séduction et le regard fier, Julia affronte le regard de son agresseur

Rentré bredouille du 30e festival de Gérardmer et éclipsé par des propositions à la marge, Watcher n’a certes pas grand-chose à voir avec le registre fantastique mais il mérite toute votre attention. Sortie prévue le 12 avril… En VOD seulement malheureusement. Une fâcheuse tendance qui m’insupporte autant qu’elle me chagrine.

Chloé Okuno, réalisatrice

Née en Californie, elle étudie en Californie à Berkeley, où elle obtient un master en réalisation de l’American Film Institute. Elle gagne le Franklin J. Schaffner Fellow Award et réalise le court métrage horrifique Slut. Elle a aussi écrit le remake du film Audrey Rose de Robert Wise pour Orion Pictures, ainsi qu’un segment de l’anthologie d’horreur V/H/S/94, qu’elle réalise également. Watcher est son premier long métrage. 

Bande-annonce de Watcher

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.

Nyctalope comme Riddick et pourvu d’une très bonne ouïe, je suis prêt à bondir sur les éditions physiques et les plateformes de SVOD. Mais si la qualité n'est pas au rendez-vous, gare à la morsure !

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Astrid
Astrid
1 année

Une critique bien développée qui donne envie de voir le film !
Merci !

Ummagumma
1 année
Répondr à  KillerSe7ven

J’ai hâte de le voir aussi pour le coup.

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