Avec son dernier film révélé lors de la semaine de la critique à Cannes, Stéphan Castang file la métaphore de la violence sociale. A la croisée des genres, Vincent doit mourir a raflé l’Octopus d’or au FEFFS. Vous retrouverez notre critique vidéo et échange avec le réalisateur en fin d’article (et la Q&A du NIFFF ici) . Et si d’un simple regard nos prochains se mettaient à vouloir nous assassiner sauvagement ?

Les yeux revolver
Ce sont parfois les synopsis les plus simples qui sont les meilleurs. Avec son concept annoncé d’emblée par son titre, Vincent doit mourir repose sur une grammaire élémentaire. Peu importent les causes d’une telle épidémie et les modes de propagation, le postulat fantastique s’impose dès les premières minutes. Alors que Vincent travaille au bureau avec ses collègues, il est violemment agressé par le nouveau stagiaire qu’on dit exténué et au bord du burn out. Un acte d’apparente gratuité dans cet univers de start-up cool, alors que leurs échanges s’étaient simplement résumés à une blague qui tombe à l’eau dans la matinée. Du collègue au postier, s’en suit alors une série d’agressions pour le pauvre Vincent, campé par Karim Leklou (Un prophète, La Troisième Guerre, BAC Nord), totalement dans la peau du personnage.

Avec sa bonhommie et son physique imposant, néanmoins ordinaire, c’est la figure du « Monsieur Tout le Monde », loin des corps de mannequins qu’affectionne un autre pan du cinéma français. Ce n’est ni un héros, ni un pleutre ; il est lui-même, avec ses défauts et c’est tout. Très vite, le film prend une tout autre dimension alors que des premières règles se dessinent dans l’irruption de la violence. Par un faisceau d’indices et une analyse clinico-comique de sa situation, Vincent se refuse à une position victimaire. Il comprend très vite qu’il est a priori seul contre tous. Ironie du sort, notre héros malgré lui est précipité au bas de l’échelle où sa rencontre avec un ancien prof SDF et une serveuse en galère va changer son destin. C’est un « grand classique du cinéma de complot [qui] fait passer le salut des personnages à la marge » explique Stéphan Castang.
L’homme est un loup pour l’Homme
En filigrane, on comprend que cette violence qu’on pourrait penser gratuite trahit une société malade dans la pure tradition hobbesienne. La violence est autant un exutoire qu’une soupape de décompression de gens lambdas frappés par un capitalisme aveugle à l’humain. C’est la violence au travail symbolisée d’entrée de jeu par l’hypocrisie de l’open-space où Vincent deviendra paria, alors même qu’il est victime d’agressions de ses pairs à de multiples reprises. C’est celle de médias racistes qui vomissent leur venin au quotidien pour insuffler la haine. Il y enfin cette « violence légitime » dévoyée et brandie comme un totem pour mieux briser les administrés, les corps et les êtres, par la police devenue le bras armé du capital. Cette image quasi subliminale apparaît de manière fugace sur les réseaux sociaux de Vincent mais reste ancrée dans notre mémoire rétinienne. A l’instar de Mithridate qui prenait sa dose de poison quotidien, on s’est acclimaté à la banalité de l’horreur.

Le pic viral est sans doute atteint avec la séquence du supermarché où une marée de clients fond sur Vincent. C’est l’illustration même de la société de consommation qui détruit l’autre. On aurait tort de croire que la violence est seulement individuelle, elle est avant tout systémique. Mathieu Naert scénariste du film abonde cette lecture en rejetant cependant les déterminants individualistes qui reviendraient à valider la théorie fumeuse de « l’ensauvagement » de la société, n’en déplaise au ministre de l’intérieur :
« Ça parle peut-être plutôt de solitude. La solitude te fait devenir paranoïaque et méfiant. Tous les forcenés que l’on voit dans les faits divers, ce sont des gens qui sont complètement seuls. Notre société crée de la solitude de manière industrielle, et on en récolte les fruits. »
Mathieu Naert, scénariste du film

La violence n’est pas un choix, elle est subie et s’est infiltrée partout jusqu’à contaminer les êtres qui lui obéissent comme des possédés. Pourtant le réalisateur se refuse à emprunter l’esthétique des films de zombies, même si les enseignements de Romero participent de l’ADN du film. Stéphan Castang flirte avec les registres et on voudrait lui donner raison quand il explique « qu’il fallait rester loyal avec les codes du genre et qu’en même temps, ce n’était pas vraiment un film de genre ». Paradoxe de la violence, nous sommes nos propres bourreaux, à la fois acteurs et victimes d’un système indéfectible.
S’il est vrai que ce long-métrage emprunte çà et là des éléments de la culture populaire, à l’image d’Invasion Los Angeles de Carpenter, Stephan Castang propose sa propre vision entre la satire, la tragédie et les films de survie post-apo. Pourtant le réalisateur ne choisit aucunement une vision aussi pessimiste que celle de La Route et son avatar vidéoludique The Last of us. L’ironie de la situation est omniprésente et fait office de révélateur comme il le suggère avec justesse :
« Le film n’est pas post-apocalyptique, plutôt pré-apocalyptique, on pourrait presque dire qu’il s’agit d’une apocalypse intime. »
Stephan Castang, réalisateur du film

Relève la gueule, je suis là, t'es pas seul
On sent que le monde de Vincent doit mourir est à l’aube d’un autre possible. C’est en fermant les yeux qu’on renoue avec nos prochains. C’est presque l’image mythologique de Persée et Médusa qui pétrifiait les mortels. Pour vaincre la gorgone, il faut se refuser à voir l’horreur. On pourrait multiplier les références à la mythologie grecque, de Cassandre à Orphée et tant d’autres figures symboliques.

Au milieu de cette incompréhensible épidémie, Vincent trouve ainsi le salut auprès d’une serveuse qu’il n’aurait peut-être jamais regardée sans le mauvais sort qui s’est abattu sur lui. Cette relation touchante avec Margaux est écrite avec justesse et incarnée avec brio par Vimala Pons. Si c’est un exercice périlleux d’intégrer de nouveaux protagonistes à la moitié d’un film, l’actrice parvient par son charisme et sa spontanéité à nous faire immédiatement nous attacher à son personnage cabossé. « C’est une histoire d’amour qui échappe aux codes de l’eau de rose. Ce sont des naufragés » raconte Stephan Castang.

Sans basculer dans le nihilisme et malgré le titre du film, qui prend des airs d’injonction morale avec le verbe devoir, plutôt qu’un suicide collectif, n’est-ce pas avant tout une histoire de résurrection ? Sans virer dans l’optimisme béat, l’épilogue est une parenthèse, un moment suspendu dans un monde qui a perdu toute capacité de recul et d’introspection sur ce qui le détruit de l’intérieur. Un film original et intelligent, attendu en salle pour le 15 novembre 2023.
Critique de Vincent doit mourir

Stéphan Castang , réalisateur de Vincent doit mourir

Cinéaste et comédien né en 1973, Stéphan Castang a un parcours croisé entre théâtre et cinéma. Au théâtre, il a joué avec Marion Guerrero, Benoît Lambert, Ivan Grinberg ou encore Thomas Poulard. Il a travaillé avec la compagnie L’Artifice en tant que comédien ou dramaturge et est également auteur de textes pour le théâtre. Il est chargé de cours à l’Université Bourgogne-Franche-Comté et à Paris VIII. Comme cinéaste, il a écrit et réalisé plusieurs courts-métrages. Lauréat 2021 de la Fondation Gan pour le cinéma, Vincent doit mourir est son premier long-métrage.
Filmographie
- 2023 : Vincent doit mourir
- 2020 : Finale
- 2016 : Panthéon Discount
- 2015 : Fin de campagne
- 2014 : Service compris
- 2011 : Jeunesses françaises
Interview de Stéphan Castang
Bande-annonce

Critique JV et ciné toujours prêt à mener des interviews lors de festivals ! Amateur de films de genre et de tout ce qui tend vers l'Etrange. N'hésitez pas à me contacter en consultant mon profil.
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J’ai adoré ce film au NIFFF ! Merci pour cet article bien complet et ces vidéos 😉