Pour son premier long-métrage, Baptiste Debraux développe dans les Ardennes qui l’ont vu naître un film mi-thriller, mi-drame social, avec un sacré casting. À l’occasion de sa sortie en format physique, examinons de plus près cet Homme en fuite dont les plans fleurent bon la tourbe humide et la vieille cigarette.

Ardennes meutrières

Anna Werner (Léa Drucker) se voit confier une affaire au fin fond des Ardennes, plus précisément à Rochebrune. Un fourgon blindé a été braqué et il semblerait que ce soit Johnny (Pierre Lottin) qui soit à l’origine du coup. Mais ce fameux Johnny n’est pas un inconnu dans ce bourg que toutes les entreprises désertent : il est à la racine de la grogne ouvrière qui balaie d’un vent de révolte la région. Lorsque cela arrive à ses oreilles, Paul Ligre (Bastien Bouillon), un ancien très proche ami d’enfance, remet cap vers Rochebrune. Le patelin où il ne se passe habituellement rien se transforme en véritable brasier…

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Pour un premier film, Baptiste Debraux saura s’entourer ! Outre un casting plutôt alléchant, il s’offre le très en vue Feu ! Chatterton comme groupe responsable de la composition musicale du long-métrage. Un choix judicieux, car si la musique écrase parfois un peu trop la narration et l’image, elle n’en reste pas moins l’un des grands points positifs d’Un Homme en fuite. Une B.O. tout en guitare et en sonorités rock, traversée d’une mélopée au piano (désaccordé), insufflant instantanément son atmosphère au film.

Et de “monde nouveau”, Johnny et ses camarades en rêvent évidemment… Malheureusement, on est bien loin de l’impact d’un film comme Nouvel Ordre dont nous parlions dans notre critique du (non moins génialissime) Heroico. Et nous allons tenter de voir pourquoi…

Film de points de vue(s)

Le catalyseur central de cet Homme en fuite, c’est évidemment Johnny. Le seul qui a – vraiment, totalement – tranché : pour sa cause, il est prêt à incendier une mairie, à braquer un Carrefour Market, voire à tuer. Persona du révolté jouant au Robin des Bois, sa chair vient du romanesque. Le romanesque de Stevenson – cité à travers tout le long-métrage en une métaphore filée – autant que celui de Dumas.

Robert Louis Stevenson

Pourtant, et c’est l’un des problèmes du film, ce personnage est très souvent perçu d’un point de vue parfaitement extérieur : son ami Paul, bien plus mesuré, la policière garante de l’ordre, les parents de Paul… Cette multiplication des points de vue voulue par Baptiste Debraux permet certes d’éviter tout angélisme, mais noie surtout tout le discours du film. Le potentiel puissant pamphlet sur la violence étatique des possédants sur une classe ouvrière désœuvrée se dilue de plan en plan, perd à mesure que le film avance toute sa substance, et ce ne sont pas les quelques poignées de plans finaux qui parviendront à redresser la barre. C’est dommage. La radicalité s’étiole. Le film devient fade.

Pire, le jeu d’acteur participe à ce manque de saveur. Bastien Bouillon nous sert sa soupe tiède, Lottin tire sa carte du jeu mais n’évite pas plusieurs scènes franchement gênantes tandis que le couple Anne Consigny/Philippe Frécon nous offrent les grandes heures de la déclamation qui tombe à plat… Un problème évident de direction d’acteurs – même si Léa Drucker et Marion Barbeau s’en sortent mieux – qui plombe  décidément Un Homme en fuite

Et pourtant...

Jusqu’ici, ça fait beaucoup de griefs. Et le film les mérite. Pourtant, il y a quelque chose en germe dans ce long-métrage. On sent l’influence évidente de La Nuit du 12  : ce thriller au rythme plutôt lent, ce sujet de société (là la condition des femmes, ici celle des ouvriers) inséré dans une enquête policière, l’inscription dans une France profonde et rurale, et même le partage d’un membre du casting en la personne de Bastien Bouillon.

Et s’il n’en possède pas l’impact et qu’il s’alourdit de nombreux boitements, Un Homme en fuite se pare d’une atmosphère assez unique, qui à elle seule justifie le visionnage. Une atmosphère portée par la musique, couvée par les décors brumeux des Ardennes hivernales, par des choix de plans et de lumières embrassant le clair-obscur. On ne lui pardonne pas tout, mais Un Homme en fuite offre ce que l’on ne voit pas partout ailleurs. Et c’est déjà ça…

Pour en savoir plus sur ce 1er essai, un entretien passionnant avec le réalisateur Baptiste Debraux (21 min) est à découvrir dans les suppléments du DVD.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 102 min
Date de sortie : 17 septembre 2024

Format vidéo : 576p/25 – 2.39
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1
Sous-titres : Français

Un homme en fuite

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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