« Starter », le nom d’un programme expérimental recueillant quinze filles et garçons expulsés de leurs collèges pour leur offrir un second départ. Un bon début nous offre une tranche de leurs vies, à ces ados décrocheurs, sans oublier leurs professeurs acharnés, leurs familles, leurs proches. Un documentaire lumineux, à (re)découvrir à l’occasion de sa sortie en format physique.

Contrastes

Films de contrastes. Celui des montagnes grenobloises ceignant la ville, au premier plan desquelles sommeillent les HLM, imperturbables. Celui aussi des textes littéraires apposés à la langue riche d’un vocabulaire autre, truculent, maniant le nouvel argot. Celui, finalement, de jeunes largués, parfois révoltés, souvent énervés, face au calme imperturbable d’un de leurs enseignants, Antoine Gentil. Un prof peu banal, puisqu’avec une poignée d’autres instituteurs, il gère la classe « Starter ». Un programme spécifique, repêchant une quinzaine de jeunes recrachés par le système scolaire : délinquance, soucis de santé, problèmes familiaux, psychologiques, etc. Les raisons qui amènent au décrochage sont multiples, les profils tous complètement différents. Un bon début va les suivre durant une année.

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Nous en parlions en introduction, Un bon début s’enracine déjà dans une terre, celle de Grenoble. La cité reposant entre le Drac et l’Isère accueille de plus en plus un cinéma décentralisé – c’était le cas pour Le Grand Bain, ça l’a été plus récemment encore avec La Nuit du 12 – et nul doute qu’elle infuse les plans du film d’Agnès Molia et Xabi Molia. Car malgré la force de leur sujet, malgré la puissance des interactions qui émaillent le film (dont nous parlerons plus bas), le duo de réalisateurs n’en oublie pas d’en faire un objet de cinéma, à l’imagerie forte et à l’ancrage géographique marqué. La ville, tout comme le carcan même de la classe, prennent vie, s’animent, laissant alors pleine place aux différentes trames pour se déployer.

Distillation de vrai

Emettons d’emblée le seul bémol que l’on apposera à Un bon début, c’est le placement de la caméra. Souvent trop près de ses sujets, du moins au commencement du projet, l’objectif parait instiller du faux dans les interactions… On sent le regard curieux, attiré par la focale voyeuse, on devine le verbe faux sur quelques scènes, particulièrement avec les parents d’élève. Puis rapidement, la caméra parviendra à se faire oublier : d’une part parce que les élèves s’habitueront à sa présence, d’autre part parce qu’elle saura de plus en plus prendre de la distance avec ses sujets. À s’en éloigner, pour mieux les capter. Et le procédé qui émettait du faux captera alors à contrario une justesse dans les échanges qui se déploiera dans tout le film.

Un bon début

Le cinéma des mauvaises graines

Et Un bon début s’inscrit dans une lignée de cinéma français qui se passionne à filmer ses « mauvaises graines »… Si le premier film qui vient à l’esprit est évidemment le palmé Entre les murs de Laurent Cantet – avec lequel Un bon début partage le plaisir du non-narratif – il existe pléthore d’exemples plus récents : La Vie scolaire, Les Héritiers, Les Grands Esprits, Mauvaises Herbes et tant d’autres. Autant de long-métrages qui, pour la plupart, s’attardent trop sur leurs intrications scénaristiques pour parvenir à capter un quelconque réel. Et ce qui est passionnant c’est qu’Un bon début, en se détachant totalement des contraintes narratives – l’année scolaire d’une classe est par essence une succession d’histoires décousues les unes des autres – parvient non seulement à brosser un portrait d’un réalisme passionnant mais embarque totalement son spectateur.

Un bon début

Embarquement immédiat

Et le moyen pour nous harponner est simple et à propos : l’image. Que l’image. Le duo de réalisateurs ne s’encombrera ni d’une balourde voix-off explicative, ni d’interviews face caméra, mais se contentera d’agencer des tranches de vies. Le bien nommé Antoine Gentil, l’un des professeurs, les élèves dont les aspérités marquent la caméra, les parents désabusés, parfois complètement perdus, mais aussi la lumière… Les espoirs. La coopération des artisans qui les acceptent en stage. Le défilement des saisons. Le stress avant de pousser la porte menant à l’oral de fin d’année. Les craintes. Les doutes. Les yeux embrumés par une mauvaise nouvelle. Les froides décisions de justice. La caméra capte tout et nous y projette, si bien qu’en fin de film c’est la gorge serrée que nous quittons cette classe pas comme les autres. Dernières effusions à l’annonce des résultats, puis ultime coup d’éponge contre le tableau noir. Les lumières s’éteignent, la porte se referme. L’année scolaire se termine, avec ses échecs et ses réussites, mais avec la certitude d’avoir su donner une seconde chance à ces jeunes dont plus personne ne voulait.

« Mais que faire de son regard ? Regarder vers le ciel me rend nostalgique et fixer le sol m’attriste, regretter quelque chose et se souvenir qu’on ne l’a pas sont tous deux également accablants. Alors il faut bien regarder devant soi, à sa hauteur, quel que soit le niveau où le pied est provisoirement posé. »

Les cahiers au feu...

… mais le prof certainement pas au milieu. Car si l’année s’achève sur une note plutôt positive, malgré quelques échecs, c’est l’engouement collectif autour de la figure tutélaire du professeur qui fait plaisir à voir. Terminons donc ce papier sur Un bon début – l’un des documentaires les plus réjouissants de l’année 2022 et désormais disponible en format physique – par une citation de Bernard-Marie Koltès. L’écrivain français qu’Antoine Gentil lit à sa classe, proposant ainsi un miroir troublant à la révolte grondant en chacun des adolescents qui lui font face.

Fiche technique

DVD Zone B (France)
Éditeur : Blaq Out
Durée : 94 min
Date de sortie : 07 mars 2023

Format vidéo : 576p/25 – 2.39
Bande-son : Français Dolby Digital 5.1 (et 2.0)
Sous-titres : Français

Un bon début

Buvant les Stephen King comme la sirupeuse abricotine de mon pays natal, j’ai d’abord découvert le cinéma via ses (souvent mauvaises) adaptations. Épris de Mrs. Wilkes autant que d’un syndrome de Stockholm persistant, je m’ouvre peu à peu aux films de vidéoclub et aux poisseuses séries B. Aujourd’hui, j’erre entre mes cinémas préférés, les festivals de films et les bordures de lacs helvétiques bien moins calmes qu’ils en ont l’air.

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