• Testé via le Xbox Game Pass PC
  • Terminé en environ 8 heures
  • RTX 3060 = DLSS option qualité + 1080p pour obtenir du 60 FPS quasi constant en ultra sans ray tracing

Comme de nombreux amateurs de frissons j’ai fait connaissance avec Bloober Team en 2016. J’avais alors jeté mon dévolu sur Layers of Fear, premier coup d’essai horrifique qui nous voyait explorer la demeure hantée d’un peintre maudit. Prometteur malgré quelques défauts, le titre témoignait déjà d’une science certaine de la mise en scène. Un an plus tard sortait l’excellent Observerune pépite cyberpunk sur laquelle tout adepte de science-fiction devrait se pencher. S’en sont suivis Layers of Fear 2 puis le sous-côté Blair Witch, depuis peu jouable en VR. Tous ont pour point commun d’être en vue subjective. C’est par conséquent un défi de taille qui attendait les Polonais avec The Medium, jeu d’horreur psychologique développé non seulement pour la première fois à la troisième personne mais pensé avec cette originalité folle de proposer des séquences de gameplay solo en écran splitté couvrant simultanément deux dimensions. Le résultat est-il à la hauteur des ambitions du studio ?

« It all starts with a dead girl.»

The Medium prend place en 1999 dans la Pologne post-communiste, un contexte historique assez inédit dans le jeu-vidéo et tissant ici une toile de fond pesante à laquelle le récit fera régulièrement écho. Soyez prévenu les thèmes abordés sont rudes. Pédophilie, rancœur post-coloniale, Holocauste ou le deuil pour ne citer qu’eux… Autant dire qu’il est recommandé d’attacher sa ceinture avant d’embarquer aux côtés de l’héroïne, qui met à profit ses capacités de médium pour aider les âmes en peine à trouver la paix dans l’au-delà. Une vocation extrasensorielle employée avec bienveillance qui nous rappelle la fantastique série de point and click des Blackwell par Wadjet Eye Games, le comique en moins. En effet dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui l’intrigue prend rapidement une tournure intime et dramatique.

On démarre donc l’aventure aux commandes de Marianne, endeuillée par la perte d’un être cher. La jeune femme fume par la fenêtre de l’appartement de son défunt père adoptif, dont elle trie les effets personnels. Un calme sinistre règne dans le logis si ce n’est le son des gouttes de pluie qui s’écrasent sur les carreaux. On réalise alors à quel point la bande sonore sait gérer ses plages de silence pour mieux les briser avec des notes fugaces voire des nappes synthétiques diffuses qui nous rappellent le brouillard de Silent Hill (voir la piste plus bas intitulée Outside NIWA pour un exemple concret). Une influence tout sauf fortuite quand on sait que Arkadiusz Reikowski a composé le soundtrack conjointement avec Akira Yamaoka. Ce nom japonais ne vous dit rien ? Il s’agit de l’artiste qui a imaginé entre autres pistes le sublime thème d’introduction de Silent Hill. Je vous recommande en passant la lecture de cet article de Gamekult qui retrace son parcours. Bon voilà c’est fait je viens à nouveau de faire référence aux collines silencieuses ! Que voulez-vous le chef d’œuvre de Konami coule dans mes veines et quand on aime on ne compte pas.

Reprenons. Soudain la sonnerie du téléphone retentit. Au bout du fil un mystérieux Thomas prétend pouvoir expliquer à l’extralucide l’origine de son don et la signification du cauchemar récurrent qui hante ses nuits ; une vision tragique où une demoiselle physiquement mal en point se fait pourchasser dans la forêt avant de se faire froidement abattre à coup de revolver à l’orée d’un lac. « It all starts with a dead girl.». Il lui donne rendez-vous au complexe de vacances pour travailleurs de Niwa, désormais désaffecté, le ministre de la défense polonais l’ayant apparemment laissé à l’abandon après que la majorité de ses occupants se soient faits massacrer dans des conditions troubles. C’est dans ces bâtiments déserts (vraiment ?) où la nature a partiellement repris ses droits qu’on ressent le plus le poids de l’ex-URSS, que ce soit par des affiches au style de propagande ou via les véhicules rouillés et le mobilier poussiéreux certifiés Union Soviétique, tels des vestiges figés d’une autre époque.

Diapositive précédente
Diapositive suivante

Aux frontières du réel

Une autre marque de fabrique du studio tient à la qualité de ses doublages. On écoute avec attention les empreintes des morts, comprendre que certains objets tangibles de notre réalité sont encore imprégnés de bribes vocales du passé, des fragments que seule une médium peut capter. Ces courts extraits disséminés ça et là, couplés aux documents écrits, nous permettent de mieux saisir la folie meurtrière qui a frappé le centre de loisirs et le traumatisme de l’Holocauste plane constamment telle une épée de Damoclès. Mention spéciale à la performance de Troy Baker qui incarne magistralement la voix du démon The Maw. On ne va pas en dévoiler plus sur le scénario mais soyez assuré d’être impliqué jusqu’aux dernières secondes tant il s’avère poignant et prompt autant à émouvoir qu’à faire frissonner, même si le jeu dérange plus qu’il ne fait véritablement peur. C’est l’empathie qui nous saisit le plus souvent et on ressort de l’expérience relativement défait. Et ça même le saisissant générique d’ouverture n’aurait pu nous y préparer.

Le titre ne se contente pas d’offrir une trame originale, il nous immerge également dans un univers à la direction artistique surréaliste inspirée des tableaux du peintre polonais Zdzislaw Beksinski. Vous trouverez de nombreuses toiles à admirer ici. L’homme souhaitait retranscrire les photographies de ses rêves au travers des poils de son pinceau. Décrochage de mâchoire garanti au sens propre comme au figuré. Les environnements lors des phases d’exploration urbaine ne sont pas en reste et apparaissent très détaillés. On pense par exemple à ce passant muni d’un parapluie et dont on aperçoit subrepticement la silhouette anonyme derrière une vitre tandis qu’on fouille tristement un funérarium. Quant à la mise en scène elle impressionne, en partie grâce à une caméra libre comme l’air qui n’hésite pas à s’envoler, tourner autour des personnages, se rapprocher pour embrasser un gros plan et mieux capter l’émotion à la racine.

Les graphismes sont globalement épatants, hormis peut-être quelques expressions de visages tendancieuses à l’occasion. On se surprend fréquemment à demeurer immobile pour s’imprégner des angles de vue qui, n’ayons pas peur de le dire, comptent parmi les meilleurs qu’il m’ait été donné de voir depuis belle lurette. Alfred Hitchcock me susurre dans l’oreillette qu’il est lui-même ébloui, c’est vous dire que je n’exagère pas ! Par ailleurs le choix d’avoir privilégié un HUD sobre et discret renforce l’immersion et le cachet photographique des cadrages. Mentionnons aussi la maîtrise absolue de l’éclairage et des contrastes. Eh oui les talents de Bloober Team sont à mes yeux les développeurs contemporains les plus doués en la matière et l’utilisation géniale des sources de lumière participe grandement à la symbolique lugubre du royaume d’outre-tombe.

Diapositive précédente
Diapositive suivante

Banana na na na na banana split

Là où The Medium nous subjugue le plus c’est dans sa représentation des séquences de gameplay en écran splitté. Celles-ci font la part belle aux fulgurances de design en jouant avec les règles physiques différentes des deux espaces-temps, séparés mais néanmoins connectés. Accomplir certaines actions d’un côté du miroir entraînera ainsi des bouleversements dans l’autre. Les mécaniques sont assez peu variées avec toutefois des astuces quant à la façon dont Marianne dissocie son enveloppe corporelle de son esprit. Cela ouvre la voie à des énigmes prenantes et plutôt inventives à défaut de vraiment nous triturer le ciboulot. Dans tous les cas on ne peut que s’incliner face à un concept si insolite. Redéfinir une pratique traditionnellement multi-joueurs comme l’écran partagé et la rendre solo : clairement il fallait oser. On regrettera juste que ces passages fassent notablement chuter le nombre d’images par secondes, dommage.

Enfin ne vous attendez pas à tirer sur vos ennemis, à économiser vos ressources ou toute autre manœuvre qui nous rattacherait au genre du survival horror. Non on baigne ici jusqu’aux épaules dans l’horreur psychologique : vous ne possèderez jamais aucune arme et il n’y a pas d’inventaire. Votre seul adversaire sera un démon synonyme de game over instantané dès qu’ils vous attrape, donnant lieu à des parties de cache-cache sous haute tension. Ces moments un brin trop punitifs ne traînent heureusement jamais en longueur pour peu qu’on fasse preuve d’observation et de patience et au pire les checkpoints sont généreux.

Diapositive précédente
Diapositive suivante

Verdict

Taberlipopette qu'est-ce que l'ambition de The Medium fait du bien ! Le dernier-né de Bloober Team propose non seulement une histoire intelligente, un gameplay original et une BO à réveiller les morts mais il s'accorde aussi le luxe d'une mise en scène plus inspirée que bon nombre de AAA actuels. Le studio atteint la maturité avec ce projet qui constituera sans aucun doute une pierre angulaire pour eux tant tout le savoir-faire accumulé dans leurs précédentes productions se retrouve ici transcendé. Les rumeurs courent depuis que les Polonais se sont alliés avec Konami fin juin 2021 et pour l'heure personne ne sait s'ils œuvrent à la renaissance de Silent Hill. En tout cas une chose est sûre pour votre scribouillard : à défaut de Team Silent je ne pourrais désormais rêver meilleur medium que Bloober Team pour redonner vie aux collines silencieuses si chères à mon cœur.

Pour
  • Un AA aussi beau qu'un AAA
  • L'horreur psychologique sous son meilleur jour
  • La direction artistique tantôt surréaliste tantôt urbaine
  • Mise en scène de haute volée
  • Une bande sonore à se damner
  • Le gameplay bi-dimensionnel simultané
  • Des thèmes graves traités avec justesse
  • Doublages de grande qualité
Contre
  • Framerate qui chute en écran partagé
  • Les rares phases d'infiltration parfois frustrantes

Résident permanent dans la petite bourgade de Raccoon City et prosélyte du génial Rain World depuis 2017, on l'entend parfois jurer à pleins poumons lorsqu'il perd lamentablement face au singe de Sekiro à un poil de lemming près. En quête d'une 3080 depuis bientôt un an, le malheureux espère une réception de sa commande en 2022 : l'important c'est d'y croire ! Son TOC préféré ? Recenser dans un PDF tous les jeux auxquels il a joué dans sa vie.

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notifier de
guest
6 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Commentaires sur Inline
Voir tous vos commentaires
KillerSe7ven
Administrateur
2 années

Étonnement, un jeu peu médiatisé par la presse. Ca donne envie d’essayer en tout cas.

le loup celeste
Administrateur
2 années
Répondr à  KillerSe7ven

Je l’avais trouvé excellent lors de sa parution sur le Xbox Game Pass. Un AA de grande qualité avec une direction artistique et une trame scénaristique marquantes.

Nosphor68
Nosphor68
2 années

Enfin une Critique juste sur The Medium , un jeu tellement massacré par la Presse sous prétexte que c’était un jeu sorti Day-One sur le Gamepass (c’est tellement facile dans les médias de taper sur Microsoft peu importe la raison…….)

Il est facilement dans mon Top 10 de l’année 👍🎮👍

Bravo pour cette Critique (vous méritez tellement plus de vues) 👍👍👍

le loup celeste
Administrateur
2 années
Répondr à  Nosphor68

Beaucoup trop sous-estimé ce jeu oui.
Merci pour le compliment Nosphor68.

6
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x